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"Je suis une Africaine...j'ai vingt ans"
autobiographie d'une jeune institutrice togolaise

publiée dans l'hebdomadaire Dakar Jeunes, le 12 mars 1942, p.11.

Mis en ligne avec l'aimable autorisation des Archives du Sénégal
et le concours du Département d'Histoire de l'Université Cheikh Anta Diop
Ont collaboré : Pascale Barthélémy, Charles Becker, Pape Momar Diop, Ibrahima Thioub, Jean-Marie Volet

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POUR SITUER L'AUTOBIOGRAPHIE "JE SUIS UNE AFRICAINE... J'AI VINGT ANS" (1942)

L'origine de l'école française au Sénégal remonte à 1817, date à laquelle Jean Dard ouvrit la première école coloniale à Saint-Louis. Cet établissement comptait quatre-vingts élèves africains appelés à « former une génération d'Africains avec qui les explorateurs et les colonisateurs pourraient s'entendre et développer des échanges commerciaux et culturels » [1]. L'exploitation à sens unique qui fut imposée aux colonies par la métropole ne permit cependant pas d'obtenir le résultat escompté et les parents musulmans préférèrent continuer à envoyer leurs enfants dans des écoles coraniques bien enracinées dans la région plutôt qu'à l'école française [2]. Ce n'est qu'au début du 20e siècle que le gouvernement colonial entreprit de mettre en place un système éducatif permettant de former une « élite indigène » commune à toute l'Afrique Occidentale Française. Au début, l'enseignement public français aux colonies s'adressa presque exclusivement aux hommes, les filles étant laissées à la charge des congrégations. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la proportion entre filles et garçons était d'une seule fille pour quarante-cinq garçons scolarisés dans l'enseignement primaire public[3]. Face à ce déséquilibre, l'administration prit un certain nombre de mesures pour développer un enseignement plus favorable aux filles. En 1918, une section de sages-femmes fut ouverte à l'école de Médecine de Dakar, suivie d'une section d'infirmières-visiteuses en 1930. La première école Normale d'institutrices fut ouverte à Rufisque en 1938.

Le petit nombre de filles scolarisées et l'arrivée tardive d'établissements permettant aux Africaines d'accéder à un enseignement "supérieur", expliquent le nombre très restreint de documents écrits par des femmes durant l'époque coloniale. Le texte autobiographique intitulé « Je suis une Africaine...j'ai vingt ans » publié en 1942 dans l'hebdomadaire sénégalais Dakar-Jeunes est donc un document unique en son genre, écrit par l'une des premières jeunes femmes ayant bénéficié d'une éducation jugée "prestigieuse" à son époque. Ce texte n'est pas signé, mais il pourrait avoir été écrit par une des deux filles Lawson qui sortirent de l'école Normale de Rufisque en 1941 (la première promotion diplômée comptait cinq Togolaises, en raison du travail préparatoire efficace de l'école Primaire Supérieure de Lomé) [4]. Son intérêt est multiple car il évoque la généalogie de l'auteure, la mobilité de ses aïeuls, la vie familiale, les circonstances qui conduisirent la narratrice à l'école primaire puis à l'école Victor Ballot (qui comptait alors, d'après l'auteure, quatre-vingts élèves dont quatorze filles), ses excellents résultats et enfin sa satisfaction d'être admise à l'école Normale de Rufisque. Et puis, plus important encore, ce texte nous permet de découvrir la vision de l'avenir d'une jeune institutrice diplômée et prête à se lancer dans la vie professionnelle au début des années 1940, avec dignité et indépendance.

Jean-Marie Volet
Janvier 2008

Notes
[1] Doris Y. Kadish, « Introduction » in Charlotte Dard, La chaumière africaine. Histoire d'une famille française jetée sur la côte occidentale de l'Afrique à la suite du naufrage de la frégate "La Méduse" (1824). Paris, L'Harmattan, 2005, pp. xxv-xxvi. Sur Jean Dard, voir aussi Joseph Gaucher, Les débuts de l'enseignement en Afrique francophone. Jean Dard et l'école mutuelle de Saint-Louis du Sénégal, Paris, Le Livre Africain, 1968.
[2] Pape Momar Diop, « L'enseignement de la fille indigène en AOF, 1903-1958 », in AOF : réalités et héritage. Sociétés ouest africaines et ordre colonial 1895-1960. Dakar, Direction des Archives du Sénégal, 1997, pp. 1081-1096. Consulté en ligne, le 21 janvier 2008, à l'URL : https://tekrur-ucad.refer.sn/article.php3?id_article=91.
[3] Pascale Barthélémy, « Instruction ou éducation ? La formation des Africaines à l'école Normale d'institutrices de l'AOF de 1938 à 1958 ». Cahiers d'études africaines, 2003, pp. 169-170. Consulté en ligne, le 21 janvier 2008, à l'URL : https://etudesafricaines.revues.ord/document2005.html.
[4] Pascale Barthélémy, Correspondance email du 24 janvier 2008 adressée à Charles Becker :
« J'avais photocopié à Dakar l'article que vous avez eu la bonne idée de numériser (et que je vous remercie de m'avoir envoyé) et je m'en suis donc servi dans ma thèse.
Pour moi il peut s'agir d'un témoignage de l'une des deux filles Lawson qui sont sorties de l'Ecole normale de Rufisque en 1941 (1ère promotion, qui comptait d'ailleurs 5 togolaises, en raison du travail préparatoire efficace de l'EPS de Lomé).
Soit Hélène Lawson (épouse Creppy par la suite) soit, et je penche pour celle-ci, Frida Lawson, sur laquelle j'ai peu de renseignements mais qui a beaucoup écrit pendant ses années de scolarité à Rufisque.
Elle a un "style" bien à elle que l'on retrouve dans des compte-rendus rédigés pour sa directrice (Germaine Le Goff) dont vous avez sans doute entendu parlé (elle a dirigé Rufisque de 38 à 45, je lui ai consacré un article dans les Hommages à Catherine Coquery). Frida Lawson était chargée de mener (comme responsable) les expéditions que représentaient les voyages de retour dans leurs familles pour les élèves au moment des grandes vacances. J'ai photocopié plusieurs de ses récits de "traversée" de l'AOF et les ai analysés dans ma thèse mais ce sont des documents à "fouiller" encore. » Pour davantage de précisions, on pourra se reporter aux archives de la famille Lawson publiées récemment par Adam Jones, An African family archive : The Lawsons of Little-Popo/Aneho, 1841-1938, Oxford, Oxford University Press, 2005, 566 p.


Editor ([email protected])
The University of Western Australia/French
Created: 04-Feb-2008.
https://aflit.arts.uwa.edu.au/dakar_jeunes2.html