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"Je suis une Africaine...j'ai vingt ans"
autobiographie d'une jeune institutrice togolaise

publiée dans l'hebdomadaire Dakar Jeunes, le 12 mars 1942, p.11.

Mis en ligne avec l'aimable autorisation des Archives du Sénégal
et le concours du Département d'Histoire de l'Université Cheikh Anta Diop
Ont collaboré : Pascale Barthélémy, Charles Becker, Pape Momar Diop, Ibrahima Thioub, Jean-Marie Volet

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LA FORMATION PROFESSIONNELLE DES JEUNES FILLES AFRICAINES ET L'ECOLE NORMALE DE RUFISQUE ...

Extrait de : Pascale Barthélémy. Femmes, Africaines et diplômées. Une élite auxiliaire à l'époque coloniale. Sages-femmes et institutrices en AOF (1918-1957), Université Paris 7-Diderot, 2004, 945 p.

[p.315]
À partir de 1938, deux filières permettent aux jeunes filles africaines qui ont obtenu leur certificat d'études primaires d'accéder à une formation professionnelle : la section « sages-femmes » de l'École de médecine, et la section « normale » de l'École de jeunes filles de l'AOF, ouverte à Rufisque. Trente-cinq ans après la création de l'École normale de garçons à Saint-Louis en 1903, les filles bénéficient d'une institution du même type. L'École normale de Rufisque se révèle cependant un établissement singulier dans le système scolaire colonial - et sans équivalent à notre connaissance dans l'ensemble de l'Empire français [...]

Les deux écoles féminines fonctionnent en parallèle, à la fois complémentaires et concurrentes, de 1938 à 1956. À cette dernière date, le vote de la loi-cadre qui amorce la territorialisation politique, ainsi qu'une affaire d'indiscipline au sein de l'École normale conduisent au renvoi des jeunes filles non sénégalaises dans leurs territoires[1]. La section « sages-femmes », devenue École des sages-femmes africaines en 1953 après la suppression de l'École de médecine, recrute quant à elle une dernière promotion d'élèves venues de toute l'AOF en 1957.

De 1938 à 1957, les conditions d'accès à ces formations sont largement déterminées par les évolutions politiques qui affectent les relations entre colonisateurs et colonisés. Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale se traduisent notamment par l'alignement du système éducatif colonial sur le modèle métropolitain, réforme aux conséquences majeures sur l'enseignement féminin [...]. La sociologie des jeunes filles recrutées évolue également : l'élargissement quantitatif ne s'accompagne pas d'une démocratisation sociale, au contraire. Le principe de reproduction se trouve confirmé mais de nouvelles actrices, les mères et les soeurs des jeunes filles admises dans les écoles supérieures, jouent un rôle non négligeable et montrent la diffusion de l'enseignement féminin et du modèle de la femme professionnellement active [...].

[Les] années d'internat [...] constituent une étape cruciale dans la constitution d'un sentiment d'appartenance collective chez les femmes diplômées. Le temps passé au sein des écoles supérieures, relativement court au regard de toute une scolarité [p.306] représente un moment fondateur dans le parcours des futures sages-femmes et enseignantes. D'abord, parce que ces années de formation représentent l'aboutissement d'un engagement personnel et familial qui conserve une dimension exceptionnelle dans des sociétés où les filles scolarisées sont toujours peu nombreuses. Ensuite, parce que ces années à Dakar ou à Rufisque perfectionnent l'acquisition d'un certain nombre d'habitudes gestuelles, mentales et intellectuelles sensées créer l'homogénéité du groupe, différencier les anciennes élèves des autres femmes africaines et signaler leur adhésion aux valeurs et à la culture françaises. Ces années d'école correspondent à une période initiatique d'autant plus fondatrice qu'elle se joue à l'adolescence, à un âge de forte imprégnation. L'analyse des modalités de la transmission des normes permet d'en évaluer la rigidité et l'impact, mais aussi de percevoir les échappées possibles, de décrire conjointement le processus d'imprégnation et les réappropriations et formes d'autonomie dont disposent les jeunes filles[2].

[...] Le projet pédagogique de Germaine Le Goff, qui imprima sa marque sur l'institution de 1938 à 1945, repose sur un certain nombre de principes éducatifs appliqués aux deux sexes dans les écoles des colonies françaises : priorité accordée à la morale et à la transmission d'un savoir pratique ; importance de la valorisation du « milieu » africain nécessaire au développement d'une culture « franco-africaine » chez l'élite lettrée, appelée à s'instruire tout en respectant le principe de la « juste distance » analysé par F. Colonna à propos des instituteurs formés au Cours normal de Bouzaréah en Algérie[3]. et que l'on retrouve dans la formation des instituteurs d'AOF[4].

[...] Ces conceptions sont approfondies et amplifiées à destination des filles, dont la formation est conçue comme fondamentale dans la perspective de créer la « famille indigène évoluée », mais également que les réformes postérieures à la Seconde Guerre mondiale et le départ de Germaine Le Goff modifient l'esprit régnant au sein de l'institution et favorisent une instruction intellectuelle plus approfondie des jeunes filles.

Pascale Barthélémy

Notes
[1] Cet incident est mentionné par Jean Capelle, L'Education en Afrique noire à la veille des indépendances (1946-1958), Paris, Karthala, 1990, 326 p. ainsi que dans Sira Diop (coord.), Répertoire des anciennes élèves de l'École normale de Rufisque, document non publié, 1988, 255 p.
[2] Nous n'utilisons pas volontairement le terme d'acculturation qui contient toujours en germe, malgré les adaptations prudentes qui peuvent en être faites, l'idée de l'abandon de la culture d'origine et de la réception passive d'un modèle imposé de l'extérieur. Nous voudrions montrer que 'identité des normaliennes se construit dans l'acceptation des injonctions de l'autorité, mais aussi par l'interprétation des normes qui contraint en retour l'institution à se réformer. Cette analyse ne remet pas en cause la violence propre au système d'enseignement colonial, mais attire l'attention sur le fait que colonisateurs et colonisées jouent un rôle dans ce rapport de force.
[3] Fanny Colonna, Instituteurs algériens, 1883-1939, Paris, Presses de la FNSP, 1975, 239 p.
[4] Jean-Hervé Jezequel, Les mangeurs de craies. Socio-histoire d'une catégorie lettrée à l'époque coloniale. Les instituteurs diplômés de l'Ecole Normale William Ponty (c. 1900 - c. 1960), thèse de l'EHESS, 2002, 2 vol., 792 p.



Editor ([email protected])
The University of Western Australia/French
Created: 04-Feb-2008.
https://aflit.arts.uwa.edu.au/dakar_jeunes1.html