Mme Marie-Danielle Aka est Ivoirienne et professeur certifié de Lettres modernes. Les Nouvelles Éditions Ivoiriennes la découvrent avec le concours de "Nouvelles", organisé en 1995, en collaboration avec le Centre Culturel Français. "Le Silence des Déshérités, qui suscite une grande polémique, est son premier roman. |
Quand et comment est née votre vocation littéraire?
Avec un désir grandissant de communiquer aux autres ma passion des livres et de leur faire partager les multiples facettes de la vie qu'ils nous offrent.
Le choix d'enseigner le français va-t-il contribuer à parfaire votre goût pour la littérature?
Non ! Je ne le crois pas. L'enseignement du français est plutôt la conséquence naturelle de ma passion pour la lecture.
Quels sont vos stimulants pour écrire?
Ce qui me pousse à écrire, m'inspire ? Mais tout simplement la vie ! Je ne parle pas de celle dans laquelle une main magique fait triompher le Bien, le Beau et la Vérité. Je parle de cette vie, tout à la fois cruelle et douce, pathétique et joyeuse, tragique et comique. En un mot, celle que nous affrontons tous les jours avec nos larmes et nos rires et qu'il nous faut accepter ainsi.
On vous découvre à la faveur d'un concours de "Nouvelles". Votre nouvelle "Oeil pour oeil, dent pour dent" est d'une grande cruauté. Êtes-vous une femme cruelle?
Pourquoi voulez-vous que je sois une femme cruelle parce que "Oeil pour oeil" est une nouvelle dramatique, dure? Sincèrement, je ne crois pas être une femme cruelle. Ma grande sensibilité devant toutes les souffranes d'autrui serait plutôt ma qualité et mon fardeau...Cependant, le contexte façonne l'être. La personne la plus douce, la plus sensible et aimable placée dans certaines circonstances peut être d'une méchanceté exécrable, d'une cruauté atroce.
Cette nouvelle posait le problème de la rivalité entre co-épouses. Quelle est votre position sur la polygamie qui persiste malgré les lois?
Toute femme, adolescente, jeune fille, adulte, rêve de jouir toute seule de son homme. C'est seulement lorsque ce rêve s'est brisé pour une raison ou une autre : âge avancé, veuvage prématuré, solitude... que la femme envisage la polygamie comme solution à son problème. Je pense qu'au-delà des contraintes sociales, des couttumes, il n'existe aucune femme partisane de la polygamie. Un foyer polygame est un univers infernal pour l'homme, les femmes et surtout les enfants. Je ne suis pas sûre que l'homme, dont l'égo sexuel partaît satisfait, est lui-même heureux.
Pourriez-vous vous imaginer dans un foyer polygame?
Mon imagination à ce sujet se révèle d'une stérilité désarmante. Je suis désolée.
Votre premier roman soulève une grande polémique dans le pays. Pourriez-vous le résumer?
En quelques phrases : "Le Silence des Déshérités" narre la vie tragique d'une jeune étudiante.
Cette dernière subit le harcèlement sexuel de ses professeurs pour valider les deux unités de valeur restantes pour obtenir sa licence. Elle meurt à la suite d'un avortement sans savoir qu'elle a été admise à son examen.
Quel était votre but en écrivant ce livre?
Mon objectif majeur : exposer la complexité du problème du harcèlement sexuel. Et, du point de vue moral, montrer que nul ne peut s'écarter de ses règles, de son éducation sans en subir les conséquences comme si une nécessité d'équilibre présidait au destin de chacun.
Des enseignants n'ont pas apprécié la dénonciation de cette pratique qui existe dans tous les milieux socio-professionnels. Pourquoi donc les enseignants?
Les enseignants n'apprécient pas, parce qu'ils se sentent trahis par une des leurs. Toute corporation a ses plaies qu'elle cache. Et pour les enseignants, la tentation folle que constituent les jeunes collégiennes, les lycéennes, les étudiantes, est la maladie honteuse de la famille de l'Education exigeant la solidarité de tous pour demeurer cachée.
Votre époux est enseignant. Cela ne vous a-t-il pas gêné qu'on pense que vous aviez obtenu vos diplômes par son intervention?
J'ai rencontré mon époux alors qu'il était encore élève au lycée. Quand je suis arrivée à l'Université, il était déjà enseignant. Bien que possédant des atouts pour m'inscrire dans son département, j'ai opté pour les Lettres modernes pour ne pas avoir le sentiment d'une réussite entachée d'irrégularités. Cette résolution fort noble m'a valu de recommencer ma deuxième année. Des années après ma sortie de l'Université, je n'ai pas eu connaissance de son intervention dans l'obtention de mes diplômes parce que lui et moi avons toujours séparé notre vie publique de notre vie privée. Il n'intervient pas dans ma vie professionnelle, et moi j'évite de m'immiscer dans la sienne.
Natou Boléga, votre héroïne, n'avait-elle pas d'autres choix que de livrer son corps à son professeur?
Entendons-nous bien ! Pour moi, le problème du choix a ceci de particulier, que ce qui constitue le choix pour l'un, peut se révéler être un non-choix pour l'autre... Dans "Le Silence des Déshérités", Natou Boléga n'a jamais livré son corps. Elle a été contrainte de céder son corps. La différence est grande. Dans la seconde perspective, elle est victime d'un système qui ne croit plus en des valeurs comme l'honneur, la fierté, mais seulement en la réussite et qui fait de la compétition sans merci, le fondement de tous les rapports humains.
Quand et comment peut-on dire qu'il y a harcèlement sexuel?
Le harcèlement sexuel, c'est mettre une personne dans une situation où elle se sent mal à l'aise, menacée, à cause de son sexe. Généralement, cela se passe dans une relation où une des personnes dans une position privilégiée tourmente l'autre par des avances sexuelles. Dans ce cas, le harcèlement sexuel présuppose la capacité de représailles si la personne harcelée refuse.
Quelles sont les causes qui poussent les jeunes filles à subir le harcèlement sexuel?
Le harcèlement sexuel consiste à déprécier et à humilier une employée, une élève, une étudiante parce qu'elle a moins de pouvoir. Selon moi, la raison principale qui pousse la femme en général à céder à l'homme dans ce cas d'espèce, est la peur des représailles.
Connaissez-vous des filles qui ont obtenu leur diplôme en se donnant à des professeurs?
Je sais que vous posez la question parce qu'en la matière, il s'agit presque toujours de rumeurs. Il est rare que les protagonistes l'avouent publiquement. Cependant, je connais des filles qui, comme Sabine, un des personnages de l'oeuvre, ont fini par confier aux détours d'une conversation avoir eu recours aux NST (Notes Sexuellement Transmissibles). Néanmoins, j'estime qu'il est malsain de divulguer ce genre d'information qui n'honore en définitif, personne. Non, je ne veux confondre personne. Si c'est un silence coupable, je l'assume.
Une loi pour sévir contre le harcèlement sexuel a été votée en Côte-d'Ivoire. Pourriez-vous nous en parler?
Elle vise à protéger la femme que la société traite souvent comme un simple objet de plaisir pour les hommes. Elle offre le droit à la jeune fille qui se sent mal à l'aise, en raison de l'attention que lui prête un homme, un enseignant, de le dire. Je ne connais pas encore parfaitement cette loi, mais si je me fie à ce que j'en sais, son application sera difficile.
De nombreux lecteurs ne comprennent pas la fin malheureuse de Natou Boléga...
La fin malheureuse de Natou Boléga est conforme à son incapacité à vivre dans deux mondes qui constituent son aire d'évolution. Sa fin est semblable à celle de Samba Diallo dans "L'Aventure ambiguë". La mort de Natou Boléga la libère de l'indétermination qui l'empêche de vivre.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes filles?
Je m'adresserai d'abord aux parents. Ils doivent apprendre à leurs enfants à réussir dans la dignité, à mériter par le travail ce qu'ils désirent.
Aux jeunes filles, je dirai que la vie est une question d'option. Il faut croire en quelque chose et s'y accrocher. Il faut qu'elles apprennent à se respecter elles-mêmes pour pouvoir se regarder en face.
Quels sont vos projets littéraires?
Pouvoir publier les oeuvres achevées et terminer les nouvelles et le roman que je suis en train d'écrire.
Propos recueillis par Isaïe Biton Koulibaly