"UN CRI DU COEUR"
Le premier roman de Maïmouna Abdoulaye
Documentaliste à la foire de Dakar, titulaire d'un diplôme de 3e cycle en littérature moderne, Maimouna Abdoulaye, sénégalaise, vient de sortir son premier roman "Un cri du coeur".
Elle ne relate pas seulement la vie d'une jeune femme musulmane que doit surmonter seule les aléas de la vie, mais ce roman est aussi le cri de toutes les mères qui apprennent que leur enfant est atteinte d'une maladie très grave: "L'insuffisance mitrale".
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Vous avez écrit sous le nom de Maïmouna Abdoulaye alors que votre véritable identité est Fatou-Bintou Fall. Pourquoi?
Maïmouna est le prénom que m'avait choisi mon père à la naissance, mais son marabout a préféré m'appeler Fatou-Binou, qui est d'ailleurs le nom qui figure sur mon état-civil. Ma mère, elle, a gardé le prénom qu'avait choisi son mari pour l'enfant. C'est la raison pour laquelle ma famille et mes amis ne me connaissent que sous le nom de Maïmouna.
Et Abdoulaye?
C'est le prénom de mon père.
"Un cri du coeur" est votre premier roman. Pourquoi ce titre?
Le titre initial était "Insuffisance Mitrale" car ma fille souffre de cette maladie. Mais, lorsque j'ai voulu déposer mon livre chez l'éditeur, il m'a fait comprendre que ce titre n'était pas du tout commercial. J'ai essayé d'en trouver un autre mais en vain. Un jour une amie ma annoncé fièrement qu'elle avait un titre pour moi, celui que vous connaissez.
Votre livre est-il autobiographique?
En partie seulement. Il y a des passages autobiographiques, des moments que j'ai vécus, mais à travers une conscience qui, à l'époque, souffrait beaucoup. J'ai écrit ce livre lorsque j'était enceinte de 8 mois. J'étais allée chez le médecin qui m'avait annoncé que la maladie de ma fille ne pouvait pas être soignée à Dakar. J'ai eu l'impression que le ciel me tombait sur la tête. Ce roman est un roman d'humeur car je l'ai écrit en 10 jours. Il y a des arrangements pour les besoins du livre et l'ordre des événements n'est pas toujours respecté. Dautre part, certains personnages ne correspondent pas ou plus à la réalité, mais c'est ainsi que je les avais aperçus à l'époque.
Ecrire ce livre était-il vraiment une nécessité pour vous?
Oui, ça a été un exutoire. Mon amie et confidente était partie en voyage, je passais le plus clair de mon temps seule à la maison, parce que les enfants étaient à l'école et que j'étais en congé de maternité. Il me fallait exprimer ce que je ressentais.
Les personnages centraux de votre roman sont des descendants de marabout. Etes-vous, vous-même, issue d'une grande famille de marabouts?
Pas vraiment. Je suis née dans le milieu maraboutique car mon père était très proche des marabouts. Je suis née à Bambey, dans le fief même du mouridisme et pour moi le mouridisme est mon milieu naturel. J'ai grandi dans cette ambiance.
Et qu'appelez vous ambiance mouride?
Le mouridisme c'est un humanisme, une manière d'être, un ensemble de règles de bonne conduite, d'humilité et d'abnégation. C'est une manière d'être qui m'a toujours séduite. J'ai vu mon père incarner certaines qualités que l'école m'a appris à glorifier et à aimer. Le mouridisme est pour moi un idéal que j'ai toujours voulu atteindre.
Et jusqu'à maintenant vous ê d'ascendance. Ma grand-mère paternelle est peuhle ainsi que mon arrière grand-mère maternelle. Mais j'ai également des parents ouolofs. Ma mère aime à me dire que je suis très peuhle dans mon attitude.
A savoir?
Je serais, paraît-il, orgueilleuse, fière et susceptible.
Mais pourquoi tout votre roman se déroule-t-il dans le même milieu?
Parce que c'est le mien.
Une famille aussi traditionnelle et religieuse que celle que vous décrivez dans votre roman est-elle prête à accepter une femme intellectuelle dont les idées qu'elle aura reçues à l'université seraient en désaccord avec celles prônées par la communauté?
Oui, bien sûr, d'ailleurs il y a de nombreuses intellectuelles parmi les mourides. L'une des forces de cette communauté est sa tolérance.
Par conséquent un mariage entre un fils de marabout et une intellectuelle peut très bien être célébré?
Oui, absolument. D'ailleurs un tel mariage n'est possible que dans le milieu mouride avec les valeurs mourides.
Si une jeunne femme arrive avec des idées qui sont en désaccord avec les leurs que se passe-t-il?
Les mourides sont très tolérants. Ils se disent toujours que cette personne leur reviendra, que ce sont des incartades de jeunesse et qu'il ne faut pas se presser. Les mourides ne rejettent jamais personne.
Oui, mais dans votre livre vous décrivez un couple qui part à la dérive et cette mésentente vient me semble-t-il de cette femme, qui par sa formation se distingue de la communauté?
Non, la difficulté du couple vient du fait qu'à un moment donné, le couple s'est coupé du mouridisme et de ses principes pour vivre dans une société où prédominent l'argent et le goût de paraître. Si le couple, et la co-épouse, ne s'étaient pas écartés du milieu qui étaient le leur, ils auraient évolué, normalement, dans la sagesse mouride avec des valeurs qu'ils connaissaient.
Le couple a fini, après moult difficultés, à divorcer. Le divorce est-il bien accepté chez les mourides?
Oui, dans la mesure où la religion musulmane l'autorise, mais ce n'est pas recommandé.
Y a-t-il beaucoup de cas?
Oui, quelques-uns.
Vous êtes sénégalaise, pensez-vous que vos compatriotes sont des femmes soumises?
Je ne le pense pas. Elles en donnent l'impression mais elles ne le sont pas. Leur attitude est une tactique pour mieux se battre. La femme sénégalaise est très libérée. Elle a un contrat à remplir avec la société et dès qu'elle l'a rempli, elle est libre de ses faits et gestes et parfois elle en impose à l'homme. La Sénégalaise a un esprit d'indépendance qui remonte très loin.
Et quel est son contrat vis-à-vis de la société?
Une femme doit s'occuper de ses enfants. Une femme peut rester avec un homme qui la délaisse, non pas par soumission, mais pour les enfants. Le renoncement est une valeur chez nous.
Et pensez-vous que la femme sénégalaise s'occupe bien de ses enfants?
Oui, je crois.
A un moment dans votre roman, vous avez un petit coup de griffe pour les driankhés. Pouquoi?
Le mot driankhé dans mon livre a un sens péjoratif. Peut-être que dans la vie on peut trouver des driankhés qui ont une certaine morale, mais en général elles se confinent dans un monde très dur. Elles évoluent dans un monde où l'argent est roi et où leur unique source de revenu est leur condition d'être femme. J'ai eu à les observer et vraiment je les plains. Ce n'est pas facile de vivre dans un monde de requins sans scrupule, sans valeurs morales et souvent sans amitié.
Vous êtes très dure avec elles, mais elles, comment jugent-elles les intellectuelles?
Comme des idiotes.
Après cet échange d'amabilitiés, si nous parlions des hommes!
Alors que pensez-vous des hommes sénégalais? Peut-on les épouser sans le regretter?
Il m'est très difficile de répondre.
Pourquoi? Vous avez peur de vous attirer les foudres de la gente masculine sénégalaise?
Grands éclats de rire. Je crois que mon livre les asticote déjà beaucoup, alors prudence...
En tout cas le premier mari de Maïmouna était un homme exécrable...
Oui, mais il ne faut pas généraliser. Ce n'est qu'un roman.
Donc à vous entendre, les sénégalais peuvent être de bons maris?
Disons qui'il y a entre l'homme et la femme une perception des choses un peu différente, et que notre sensibilité n'est pas la même. Par exemple au Sénégal il est mal vu qu'un homme extériorise ses sentiments et cette attitude d'indifférence peut créer des malentendus dans le couple.
Si je vous ai bien comprise, dès que l'on connaît leur "mode d'emploi", plus aucun problème ne se pose?
Ils sont gentils et ils donnent la dépense journalière.
Mais c'est la moindre des choses...
Dans beaucoup d'autres pays, la dépense journalière n'est pas une obligation morale comme ici.
Quels sont les principaux reproches que vous formuleriez aux hommes sénégalais?
Leur féodalité.
Et sont-ils respectueux des femmes?
Oui, ils les respectent beaucoup.
Votre livre a-t-il été lu dans le milieu mouride? Comment a-t-il été accepté?
Mon ex-beau-frère est en train de le lire. Certains hommes viennent me dire qu'ils ne sont pas d'accord et que l'on devrait discuter. Les femmes, au contraire, sont de tout coeur avec moi.
Personne ne vous a condamnée?
Non, mais je n'attaque personne!
Pas même Habib Diop que est dans votre livre le mari de Maïmouna...
Vous savez, l'homme dont j'ai parlé dans le livre a été récupéré par la communauté et il est devenu un grand mouride. Il prie beaucoup.
Victoire au mouridisme!!
Le mouridisme est toujours victorieux parce qu'il n'y a jamais de rejet, d'excommunion. C'est sa force et c'est la raison pour laquelle nous sommes aussi nombreux.
Quelles sont vos relations avec la communauté maintenant?
Très bonnes. Ils viennent me voir et je communie avec eux pour toutes les grandes occasions.
La maladie de votre fille tient une place très importante dans votre livre. Comment va-t-elle maintenant?
Elle a été opérée en France. Depuis, je me sens beaucoup plus apaisée et la gaieté est revenue à la maison.
Votre fille souffrait d'insuffisance mitrale, pouvez-vous nous expliquer les causes de cette maladie qui sévit encore au Sénégal?
C'est une complication cardiaque du rhumatisme articulaire aigu provoqué par des angines rouges mal soignées. C'est une maladie très grave que ne peut être jugulée que par une intervention chirurgicale très coûteuse (plusieurs millions de FCFA). Cette maladie sévit surtout dans les milieux insalubres et je voudrais attirer l'attention de toutes les mères sur sa gravité, alors qu'il suffirait seulement d'un dépistage automatique et de quelques antibiotiques pour entraver la maladie. Je pense également que si les pouvoirs publics menaient une campagne intensive d'informations auprès des populations, cette maladie serait éradiquée, comme elle l'a été en France et en Angleterre par exemple.
Donc vous avez décidé de créer une fondation pour que d'autres puissent profiter de votre expérience?
Oui quelques bonnes volontés ont fondé cette association il y a un an.
Et quelle est sa mission?
Les médecins nous envoient beaucoup de femmes et nous leur prodiguons des conseils.
Quelles sont vos sources de financement?
Nous n'en avons pas. Nous avons commencé à cotiser et certains ministres et médecins appuient notre action.