Elle est née à Abidjan en 1971. Elle vit en France depuis 1983 et travaille dans un Cabinet d'avocats. Mais son cœur n'est jamais parti de sa terre natale. Elle y retourne sans cesse à travers les aventures qu'elle a vécu ou pu vivre dans ce décor paradisiaque où on ne vit que pour vivre. On rit, on pleure mais la terre ne s'arrête jamais de tourner. Alors on ignore ses tours et on se laisse emporter sans trop se poser de questions. Mais Marguerite prend quand même une pause entre ses multiples voyages au fond de ses souvenirs pour nous faire partager une vraie vie de jeunes africains racontée par une vraie Africaine. |
Comment êtes-vous arrivée à l'écriture ?
L'écriture est une thérapie pour moi. J'écris lorsque j'ai un peu le blues. Mais ce n'est pas pour autant que mes écrits sont tristes. Ecrire me calme. Je me défoule; ensuite, je vais beaucoup mieux.
Aya, est-ce vous ?
Non, j'étais trop jeune lorsque je vivais à Abidjan pour être Aya. Le temps, l'ambiance, le décor, sont pour moi des souvenirs d'enfance. Parce que l'histoire de cette bande dessinée se déroule en 1978. L'attitude des trois héroïnes est plutôt celle que j'ai vue chez ma sœur, mes cousines et les voisines du quartier qui avaient de sacrés caractères. J'ai mêlé à tout ça mon imagination pour montrer le côté vivant de l'Afrique, les vraies réalités du quotidien africain loin de la famine et de la maladie que veulent seulement voir les occidentaux.
Vous, vous avez vécu cette réalité. Mais l'illustrateur, comment peut-il être aussi vrai dans sa vision du monde ivoirien ?
Effectivement, j'ai vécu en Côte d'Ivoire jusqu'à l'âge de 12 ans. Mes parents y vivent toujours. Clément Oubrerie, l'illustrateur, est allé en Côte d'Ivoire avec moi. Il s'est imprégné de cette ambiance typiquement ivoirienne. Elle ne s'invente pas. Cette ambiance, il faut se rendre sur place pour la comprendre. Clément s'est promené un peu partout. Il a même été dans les maquis, l'allocodrome. C'était important pour lui de connaître la Côte d'Ivoire qu'il a d'ailleurs aimée de suite. Cet amour, il a su le traduire dans les pages d'Aya.
Comment vous êtes-vous retrouvés sur ce projet ?
Je connaissais déjà Clément pour ses illustrations de livres d'enfants. Et j'aimais ce qu'il faisait. Ses dessins, ses couleurs, son style particulier. C'est tout naturellement que j'ai tenu à lui présenter un résumé de mon projet pour qu'il me donne son avis. Il a tout de suite aimé et a décidé d'en faire les dessins.
Quelle est la part de réalité dans l'histoire ?
Comme je le dis plus haut, 50% de souvenirs et 50% d'imagination. Le décor fait partie des souvenirs de mon enfance. C'était la belle époque ivoirienne. Aya ressemble par son caractère à ma grande sœur. Les copines plus délurées sont plutôt les filles du quartier. Elles surprenaient par leur habileté, leur subtilité et surtout leur désinvolture. Ce qui était à l'époque très courant. Par contre, les péripéties sont de mon imagination.
Qu'est-ce qui vous a inspiré cette œuvre ?
Mes souvenirs m'ont beaucoup marquée. Et j'aimais les raconter. A force d'en parler à tout mon entourage à répétition, surtout à mes neveux et nièces, j'ai eu la bonne idée de les écrire. Quand je raconte les histoires de mon enfance, je sens que ça plaît et ça fait beaucoup rire. C'est pourquoi je compte poursuivre sur cette voie. Je fais déjà le Aya II, la suite d'Aya I. Elle sortira en septembre et je me mets à l'écriture de romans pour adolescents.
Vous utilisez un langage familier particulier. Est-ce propre à la Côte d'Ivoire ?
Tout à fait. C'est le nouchi. C'est un français africanisé avec le sourire, comme le soulignent les créateurs de nouchi.com. C'est le langage de la rue inventé par les jeunes. C'est un peu comme le verlan en France ou les langages codés des jeunes des cités. Il est très parlé en Côte d'Ivoire. Il fait partie de l'identité de l'Ivoirien. Je ne pouvais pas faire une histoire sur les jeunes ivoiriens sans leur faire parler le nouchi. Et encore, j'ai été assez sobre dans son utilisation.
Comment est accueillie la bande dessinée ?
Très bien puisque nous avons reçu le prix du meilleur premier album à Angoulême et nous avons été le coup de cœur de la Fnac pendant plusieurs semaines. Nous sommes apparus au journal télé de 13 h sur France 2 du week-end, à TV5, France O... Nous sommes passés sur des chaînes de radios, nous avons eu beaucoup de presse également.
Quelle satisfaction en éprouvez-vous personnellement ?
Je souhaite souligner que pour nous, ce prix d'Angoulême est très important. Il réunit plus de 2000 albums par an. Tous les pays sont représentés. Pourtant, on ne voit presque jamais les pays africains. Alors être reconnu prix du meilleur premier album parmi tout ce monde est un honneur que je souhaite à plus d'œuvres africaines. Je suis en plus la première Africaine à obtenir un si grand prix, la bande dessinée n'étant pas un monde de femmes. Je suis également fière de raconter une vraie vie de jeunes dans le quartier d'un pays africain. C'est tout à fait nouveau, depuis 33 ans qu'existe le festival d'Angoulême. Alors je suis assez étonnée que ça n'intéresse pas plus les magazines africains et les Africains. Je suis fière de cette œuvre non pas parce que j'en suis l'auteur mais parce que ça présente l'Afrique sous un autre angle. La vie toute simple. Elle montre aux Français et aux autres que l'Afrique n'est pas que la misère, la famille, le sida, les coups d'état à répétition. Mais que comme partout ailleurs, on y vit, on aime, on pleure, on va à l'école, on a des rêves. Il y a des difficultés comme partout ailleurs, mais à la hauteur du cadre de vie. En réalité, quand on y est, on ne vit pas les choses de façon aussi dramatique. La panique est vécue de façon exponentielle en Europe. Les Africains sont plutôt zen et optimistes de culture. Ils prennent le meilleur côté des choses. Parce que la vie continue justement... Et c'est ce message que je veux donner tout simplement dans Aya. J'en ai un peu assez de voir les mauvais cotés de notre continent. Même s'ils existent, on ne les croise pas à tous les coins de rue.
Propos recueillis
par Cristèle D.