Burkinabè et chef d'entreprise, Adèle Nikièma s'intéresse, à travers ce roman de 150 pages, à un fait de société: les femmes accusées de sorcellerie, marginalisées, chassées et abandonnées par leur famille. Elles ont parfois du mal à trouver de quoi se nourrir malgré quelques bonnes volontés qui les aident. L'auteur, Adèle Nikièma, puise dans les effrayantes histoires de son enfance pour décrire un monde où les songes se confondent avec le réel. Elle explique ses motivations et ses projets littéraires. |
Qu'est-ce qui vous pousse à écrire ? Vos sources d'inspiration ?
J'ai commencé à écrire il y a plus de
10 ans pendant les soirs et longs week-ends d'hiver en France, quand la
nostalgie de mon pays m'attristait. J'écrivais car cela m'apaisait et me
rapprochait de mon pays, de mes souvenirs d'enfance. J'écrivais tout et
n'importe quoi. L'essentiel était d'écrire. Et puis un jour,
l'idée m'a pris d'écrire une histoire en continu, et non de
verser en vrac sur un papier mes sentiments du moment.
Je voulais savoir si j'étais capable de mener une histoire de bout en bout.
Je me suis inspirée des faits de société et j'ai
commencé "La mangeuse d'âmes" que j'ai mis onze ans à
finir. J'écrivais quand je voulais et, souvent, pendant un an ou deux,
je n'écrivais rien. Le jour où j'ai mis le point final à
ce roman, je l'ai fait lire à mon conjoint et à des connaissances
qui m'ont incitée à chercher à le publier. Je n'y avais
même pas pensé avant.
Pourquoi avez-vous choisi le genre romanesque ?
J'ai longtemps écrit des poèmes car c'est le genre que j'aime le plus. Mais pour raconter une histoire qui puisse concerner tout le monde, le genre romanesque est le plus indiqué.
Pourquoi ce titre, "La mangeuse d'âmes" ?
Je voulais un titre qui choque et qui retienne l'attention. En France, je me suis dit que ce titre allait intriguer plus d'une personne car nos sociétés africaines sont habituées à entendre parler de mangeurs d'âmes mais moins la société européenne. Donc, je suis partie du titre qui me plaisait, pour construire l'intrigue à travers les histoires entendues dans mon enfance mais aussi dans mon âge adulte.
Votre livre met en scène une jeune femme africaine, Fati, accusée de sorcellerie : la société va la marginaliser et sa famille va l'exclure. Quel message voulez-vous faire passer à travers les déboires de Fati ?
Je souhaite faire passer un message de tolérance envers ces personnes qui sont le plus souvent exclues par ignorance des causes de certaines maladies qui frappent la société plutôt que par des faits avérés de sorcellerie. Le plus étrange, quand même, c'est que sont concernées, surtout et toujours, des femmes seules et sans défense. Pourquoi ?
Les produits de la vente du roman iront au centre Delwindé de Ouagadougou où plus de 300 femmes sont accueillies. Pourquoi ce choix ?
J'ai publié mon roman en France et lors d'un séjour à Ouaga. En parlant de ce roman à mon entourage, on m'a fait savoir l'existence de ce centre. J'ai été le voir par moi-même, et sœur Maria qui s'en occupe m'a parlé de près de 400 femmes hébergées venant de tout le Burkina et qui vivent surtout des dons des bonnes âmes. J'ai admiré l'effort et l'abnégation de certaines personnes qui œuvrent pour le bien-être des autres. J'ai décidé de reverser les droits d'auteur et d'y ajouter d'ailleurs de mes propres deniers pour faire un geste pour ces femmes. Par humanisme, car cela m'a beaucoup touchée. J'ai pu apporter à ce centre des médicaments génériques essentiels, du matériel médical pour le dispensaire et des vivres.
Avez-vous rencontré des difficultés pour vous faire éditer ?
Oui, beaucoup. J'ai envoyé le roman à plus de 200 éditeurs. Au moment où je voulais abandonner, je suis entrée en contact avec les "Editions de la lune" qui sont un bon compromis entre l'édition classique et l'édition à compte d'auteur.
Que peut, selon vous, apporter la littérature à l'Afrique ?
La littérature apporte beaucoup à l'Afrique. Les Africains lisent énormément, ils sont ouverts à la connaissance et curieux du monde qui les entoure. Il faut surtout que beaucoup d'Africains aient accès à l'instruction car beaucoup ne savent pas lire. L'Afrique avance à petits pas, mais elle avance.
Au Burkina Faso, il n'y a pas beaucoup de femmes écrivains. Pour quelles raisons d'après vous ?
Cela viendra. J'ai constaté qu'il y en a quand même un peu plus aujourd'hui qu'auparavant. Je pense que la femme en règle générale est très sensible et aime exprimer sa sensibilité, contrairement à l'homme qui aura tendance à ne pas se dévoiler. Je crois que, dans un futur proche, le monde littéraire et/ou artistique comptera des femmes burkinabè de talent.
Quels sont les écrivains africains qui vous ont inspirée ?
J'ai beaucoup aimé Birago Diop, Ampaté Bâ, Chinua Achebe, bien sûr Senghor. Au Burkina, j'ai adoré les contes du Laarlé Naba quand j'étais enfant. J'aurais aimé retrouver tous ces contes dans un recueil écrit. Peut-être cela existe-t-il...
En tant qu'écrivaine, quel jugement portez-vous sur la situation des femmes africaines aujourd'hui ?
Elle est loin d'être satisfaisante mais elle s'améliore de plus en plus et c'est ça l'essentiel : l'espoir.
Quels sont vos projets ?
J'ai un nouveau roman sur le feu. Enfin, le feu est tiède car cela fait un an que j'ai commencé ce roman et j'en suis toujours au premier chapitre. J'écris selon mes envies et le temps dont je dispose. Il est vrai que je suis stressée et fatiguée par mes affaires et l'inspiration me vient moins vite.
Un dernier mot ?
Mon premier roman a été vraiment un roman d'apprentissage de
l'écriture car c'est un exercice très difficile. J'admire par
conséquent tous les romanciers qui arrivent à écrivent
régulièrement et avec talent car écrire est un vrai
métier. Je ne suis pas encore une bonne écrivaine mais cela
viendra avec l'expérience.
Je voulais saluer toutes les personnes du monde entier qui, de par leurs
œuvres et leurs actions discrètes, soutiennent les personnes dans
le besoin, dans la détresse. C'est eux, les vrais humanistes et je
souhaiterais un jour pouvoir prendre le temps et le plaisir de faire comme eux.
Contact: [email protected]
Propos recueillis
par Tiego Tiemtoré