Les éditions CEDA d'Abidjan viennent de publier Mme Marie Gisèle Aka, l'auteur d'un livre bouleversant intitulé: "Les haillons de l'amour". Notre collaborateur Isaie Biton Koulibaly, qui est aussi écrivain, s'est entretenu avec cette nouvelle venue sur la scène littéraire ivoirienne |
Sur la 4ème page de couverture de votre livre il est écrit que vous êtes polyglotte. Comment avez-vous appris toutes ces langues ?
Je suis née et j'ai grandi dans un environnement francophone ; je dois l'anglais et l'espagnol à mes études, et j'ai appris le russe lors d'un séjour d'une année dans l'ex-URSS.
Née à Beyrouth, avez-vous un souvenir du Liban ?
Non, malheureusement, car j'avais un peu moins d'un an quand ma famille a quitté le Liban. Néanmoins, c'est un pays qui m'aurait plu, sans doute, eu égard à son histoire, sa diversité culturelle et sa beauté.
Vous venez d'écrire votre premier livre publié. Avez-vous d'autres textes dans vos tiroirs ?
J'ai un recueil de poèmes inédit: "Malaises". Cependant, il n'a pas encore reçu l'agrément des éditeurs ; la poésie n'étant pas accessible au grand public qui la trouve, le plus souvent, hermétique.
Comment êtes-vous venue à la littérature ?
Mes parents ont toujours considéré la culture comme primordiale dans l'éducation. Très tôt, ils ont mis un point d'honneur à me donner le goût de la lecture. Par la suite, tout naturellement, je me suis sentie attirée par les belles lettres.
Quel est le contenu de votre roman "Les Haillons de l'amour" ?
C'est l'histoire d'une jeune fille de bonne famille qui voue une telle admiration à son père, qu'elle laisse son attachement se muer en amour. Son romantisme l'entraîne alors dans un désert de désillusions qui finira par lui faire perdre la tête puisqu'elle assassinera son père.
Votre histoire est originale. Comment êtes-vous arrivée à créer une telle fiction ?
Du début à la fin du roman, je me suis laissée guider par mon inspiration. Ne connaissant personne qui ait eu à vivre une situation aussi dramatique, je n'ai pu que me fier à mon imagination. En écrivant cette histoire, j'ai voulu avant tout rompre avec les sujets classiques de la littérature africaine. Pour moi, le public S'est suffisamment abreuvé des thèmes sacro-saints de l'école rurale, du conflit de générations, du poids de la tradition...
Réellement voit-on dans la vie de tous les jours une fille tomber amoureuse de son père ?
L'inceste existe dans toutes les couches sociales mais il est tu pour préserver l'honneur et la dignité. Je pense que l'éducation, les échecs et les rancœurs des parents sont à mettre en cause quand cela se produit.
Ce qu'on ne comprend pas c'est l'attitude du père qui accepte d'avoir des relations coupables avec se fille. Comment le justifiez-vous ?
Vous interprétez son attitude de la sorte, mais à aucun moment je ne fais apparaître une quelconque volonté du père d'avoir des relations coupables avec sa fille. Certes, il l'adore et il veut la protéger, mais c'est là, je crois, le devoir de tout parent. Dans mon livre, je laisse planer le doute, car mon souci est de rendre le lecteur actif. C'est à lui seul de juger selon sa perception des mots, des images, des personnages et des situations.
A votre avis comment éviter l'inceste entre le père et la fille et môme entre la mère et le fils ?
L'inceste traduit une triple pathologie : sociale, individuelle et éducative. Les conditions économiques défavorables de la promiscuité entraînent à la longue une absence de régulation familiale et sociale. L'alcoolisme, les troubles du caractère, telle ou telle maladie mentale, font perdre le sens des valeurs. Enfin, l'éducation que les parents inoculent à leurs enfants doit permettre d'éviter toute confusion relationnelle.
L'assassinat du père par la fille a pour vous l'autour quelle signification ?
Il a d'abord valeur de symbole car Johanne détruit avant tout le mythe. C'est une réponse désespérée face à son idéal brisé. Pour moi, c'est une manière de condamner le père pour avoir suscité cette situation ambiguë.
Vous êtes l'épouse de Monsieur Amani, est-il pour vous l'homme idéal ?
Oui, bien sûr ! Il est compréhensif, déterminé, généreux et honnête. Il me protège et me pousse à aller toujours au delà de mes capacités, à ne pas fléchir devant les difficultés. Mais il a aussi ses petits défauts ! ...
Quels sont vos auteurs préférés ?
J'éprouve une admiration et une passion pour les œuvres de Balzac et je me sens en parfaite adéquation avec Baudelaire, Appolinaire et Rimbaud, dont la poésie me bouleverse.
Que peut apporter à la femme africaine la lecture de votre livre ?
La conviction qu'il n'y a rien de plus important que la vie de femme, d'épouse et de mère. Car c'est elle qui détient la clé de la réussite de son foyer, de l'éducation de ses enfants. Elle doit être saris cesse présente auprès de sa famille pour la guider, l'entourer de tout son amour et surtout veiller à son épanouissement La femme africaine ne doit pas, comme la mère de Johanne l'a fait, privilégier sa vie professionnelle et son émancipation au détriment du bien-être familial.
N'aviez-vous pas un déchirement en écrivant une histoire aussi triste et inimaginable ?
Il est vrai que j'ai été bouleversée. La tristesse et la souffrance qui émane du roman m'ont tellement touchée que j'ai eu du mal à croire que l'histoire était imaginaire.
Pour terminer votre vie a-t-elle été changée depuis la naissance de votre fille ?
Depuis un an qu'elle est née, ma vie a complètement changé. Non seulement je suis beaucoup plus occupée qu'avant, mais je réalise à quel point un enfant peut transformer notre regard sur la vie, donner un sens nouveau à l'idéal que l'on s'est fixé. Un enfant c'est la joie dans la maison mais aussi le sentiment de continuité de la vie, la certitude que les racines sont bien ancrées à jamais.
Propos recueillis
par Isaie Biton Koulibaly