Emilie Anifrani Ehah, d'origine togolaise, est installée au Sénégal depuis onze ans. Elle vient de signer son premier roman "Incidents de parcours" aux Éditions Panthéon. Fervente défenseur des droits de la femme, l'auteur dénonce dans son roman toutes les embûches qui parsèment le parcours professionnel des femmes, et plus encore dans les sociétés africaines, où le poids de la famile et des traditions est encore très lourd. AMINA vous propose de recontrer cette jeune romancière. |
Comment êtes-vous venue à la littérature?
Je crois que j'écris depuis toujours, même si "Incidents de parcours" est mon premier roman. J'ai actuellement quatre autres romans en cours. Il me manquait le temps de trouver un éditeur. Aujourd'hui que le premier roman est sorti, l'enchaînement avec les autres sera plus rapide.
Pouvez-vous présenter votre roman aux lectrices qui n'ont pas encore eu le privilège de le lire?
C'est le récit d'une femme africaine, belle et ambitieuse, qui se voit confronter à une discrimination professionnelle, comme si ces deux qualités étaient antinomiques pour une femme. Ce livre ressemble à un cri d'alarme pour que les femmes puissent s'épanouir dans leur environnement professionnel. Dans un ultime appel au secours. Elmira, l'héroïne, tentera même de se sucider. En fait, ce livre n'est rien de plus que la mise en scène d'une femme qui pourrait être chacune d'entre nous.
Vous présentez votre personnage comme une victime de son environnement professionnel. Ne croyez-vous pas que les rivalités entre hommes peuvent être tout aussi farouches que celles entre deux personnes de sexes opposés?
Je ne le pense pas. Un homme dans la même situation a droit aux circonstances atténuantes. La femme, elle, part toujours avec un préjugé défavorable. Sa compétence est contestée alors que celle de l'homme est acceptée d'emblée.
Même dans un environnement hostile, certaines femmes réussissent. Alors, pourquoi pas votre personnage?
C'est vrai que nous avons des exemples de femmes qui ont réussi, que ce soit dans le domaine politique, scientifique ou artistique et je suis toujours ravie de les découvrir, mais il faut les considérer comme des exceptions. Elmira représente la majorité des femmes qui, malgré leur compétence, éprouvent mille difficultés à percer ou à réussir dans leur travail.
Vous décrivez également Elmira comme une femme fatale qui attire la convoitise. Pensezvous qu'être jolie peut être un handicap pour une femme?
Dans notre environnement africain, une femme belle à recherche d'un emploi est jaugée physiquement. Elle trouve un travail plus rapidement, certes, mais elle est encore trop souvent synonyme de tête vide. C'est dommage. Ça l'est d'autant plus que beaucoup de femmes se complaisent dans cette image et portent préjudice aux autres.
Ne pensez-vous pas qu'Elmira, dans ses réactions, est avant tout narcissique et égoïste?
Je dirais qu'elle est plus simplement la somme de toutes les femmes et en tant que telle elle réagit parfois plus avec le coeur qu'avec son âme. J'ai créé Elmira, mais je ne suis pas toujours d'accord avec elle. Elmira n'est pas forcément une référence, et nous devons aller au-delà de ce personnage.
Vous admirez les femmes qui travaillent et réussissent. Mais que pensez-vous des femmes qui ressentent un grand bonheur à rester chez elles et à veiller à l'équilibre familial?
Elles m'énervent ! Ce sont ces femmes qui portent préjudice aux autres et qui rendent le combat plus difficile. J'aime voir les femmes bouger. Ces femmes au foyer nous ralentissent surtout quand elles nous sont citées en exemple.
Et que faites-vous de la tolérance?
(Éclats de rires). Je suis un peu moins catégorique qu'avant. Je ne leur jette pas la pierre car je dois accepter le choix de chacune, alors j'essaie de les comprendre.
Et si votre mari vous demandait de quitter votre emploi?
(Stupéfaction). Qu'il me donne des raisons valables.
Lui, vos enfants (vous en avez deux) et les bonnes oeuvres!
Non ! Il ne me le demandera jamais et si je devais m'occuper de bonnes oeuvres, dans ce cas, cela s'expliquerait par une vocation. Et je ne l'ai pas encore découverte.
Que pensez-vous de la Journée internationale de la femme, le 8 mars?
Je regrette seulement que ce ne soit pas tous les jours la Journée de la femme. C'est déjà un bon début qu'au moins une fois par an, tout le monde se tourne vers les femmes et ait une pensée positive pour elles. Je trouve cela fantastique.
Vous croyez vraiment que cette Journée pourra changer quelque chose au sort des femmes?
Concrètement, elle ne changera rien. Mais je pense qu'elle peut entraîner, avec beaucoup de temps et de patience, un changement en profondeur. Qu'on le veuille ou non, des débats s'installent, les hommes sont sensibilisés et il faut prendre cette initiative comme un début plutôt encourageant.
1995 fut l'année de la Conférence de Beijing. Des milliers de femmes se sont réunies, des résolutions ont été votées et aujourd'hui qu'en reste-t-il?
Je reconnais que l'application de ces résolutions est lente. Mais ce fait ne s'explique-t-il pas par les administrations qui doivent les appliquer? Et qui trouve-t-on surtout dans ces administrations : les hommes ! Quel intérêt trouveraient-ils à accélérer les procédures?
Quel avenir voyez-vous pour la femme africaine?
Je constate de plus en plus que les femmes acceptent de s'auto-critiquer et c'est primordial si on souhaite ne pas s'arrêter en cours de route. On avance lentement c'est vrai, mais je sais que dans dix ans nous ne serons plus au même point. On aura progressé, même si on avance à la vitesse d'un escargot. Cette évolution se retrouve aussi au niveau de nos enfants. Nous ne sommes plus semblables à nos mères et nos filles sont déjà différentes de nous.
"Incidents de parcours" est votre premier roman, quatre autres sont déjà en cours. Quels sont vos autres projets?
Je souhaiterais plus tard mettre en place une structure pour aider les femmes à la création littéraire. J'ai recontré beaucoup de difficultés pour trouver un éditeur et je me suis rendue compte des lacunes qui existaient dans ce domaine.
Vos prochains livres traiteront-ils encore des femmes?
Pour l'instant, je n'ai pas envie d'écrire sur autre chose.
Propos recueillis
par Véronique Ahyi.