De plus en plus de Congolaises prennent la plume pour s'exprimer à travers des œuvres romanesques ou pratiques. La quarantaine, mère d'une fillette de dix ans, cette avocate engagée et militante de la société civile congolaise née en Belgique d'un père congolais et d'une mère belge, a écrit un recueil de poèmes paru en 2006 aux Editions l'Harmattan. Diplômée de l'Institut supérieur des sciences sociales de Liège, des facultés de droit de l'université de Liège en Belgique et de l'université protestante de Kinshasa, cette femme élégante et autoritaire, a accepté de se confier à AMINA. |
Pourquoi avez-vous choisi l'écriture comme moyen d'expression ?
Je n'ai pas fait le choix de l'écriture. C'est l'écriture qui s'est imposée à moi comme une nécessité, un besoin, quelque chose qui m'a toujours semblé vital. J'estime avoir évolué dans un environnement familial privilégié car j'ai eu un père qui a toujours été un guide dans ma vie. Il m'a donné le goût du débat et l'ambition d'aller toujours plus loin. De pouvoir défendre mes idées et me permettre d'être ce que je suis, c'est-à-dire une femme indépendante d'esprit et de convictions. Mon père est celui qui m'a offert cette liberté d'action et d'expression. Il m'a toujours appris que ce qui était important dans la vie c'est non seulement de se battre pour ses ambitions mais également de les exprimer et surtout de les assumer à travers des valeurs d'honnêteté et d'intégrité.
Et votre mère ?
Ma mère est une femme remplie d'amour. Elle a toujours été à nos côtés et nous a toujours épaulées. J'ai dans mes tiroirs plein de manuscrits stockés depuis l'âge de treize ans. Mais "Congo, mots pour maux" est le premier recueil pour lequel j'ai pris le risque de me dénuder puisqu'il est le premier de mes écrits à avoir été édité.
Pourquoi ce titre " Congo, mots pour maux" ?
J'avais cette nécessité de sortir le Congo de son anonymat surtout par respect pour nos victimes cloîtrées dans un silence meurtrier. J'en avais la responsabilité en ma qualité de citoyenne et surtout de militante appartenant à un réseau de femmes leaders avec lesquelles, nous participons à la lutte contre toutes les formes de discriminations et de violences particulièrement les violences sexuelles commises dans les diverses provinces de notre pays. J'ai vu des choses tellement horribles, indescriptibles qu'il me fallait dénoncer afin qu'elles ne restent pas impunies. J'en avais assez que mon pays agonise, que mes frères et sœurs meurent tous les jours sans qu'on puisse en déterminer le nombre exact.
Face à ce spectacle ahurissant, la poétesse que vous êtes s'est posé sans doute beaucoup de questions...
J'étais obsédée par la question de savoir ce que je
pouvais faire pour que nos morts dont on ne connaît même pas le
nombre exact puissent être reconnus et avoir le droit de poursuivre les
responsables. Aussi, il fallait épingler derrière tous ces maux
du Congo, des mots pour déposer la douleur silencieuse de tout un
peuple.
Participer à écrire un morceau de son Histoire afin que les
générations futures puissent apprendre et se souvenir du long
chemin parcouru par notre peuple.
Il fallait rendre hommage au Congo pour tous ces maux injustement subis.
J'avais besoin de mettre la lumière sur tant de souffrances et
d'impunités.
Dans mon entendement, la poésie, comme n'importe quel genre
littéraire, est un partage avec l'autre. Elle est un genre sublime qui
permet énormément d'audace dans l'écriture. Enfin, je
pense que la poésie permet également au rêve d'exister.
Parce qu'on ne peut faire de grandes choses dans la vie si on ne les a pas
rêvées au préalable.
Quels sont les sujets abordés dans vos poèmes ?
Je parle des maux du Congo. L'injuste, la colonisation, la dictature, la guerre
mais surtout mes espoirs en cette nouvelle nation congolaise que nous devons
construire ensemble, nous, Congolais. Ma toile de fond est de réunir
tous les Congolais autour d'un idéal, la construction de la nation
congolaise autour d'un dénominateur commun, le sentiment profond de se
sentir congolais.
Je suis passionnée par le fleuve Congo qui est notre force, notre
unité et notre source nourricière. Il nous ramène à
nos racines. J'ai grandi à Kinshasa au bord du fleuve rempli de
mystère et de beauté arrogante qui m'a toujours fascinée
et inspirée. Ce que j'ai essayé de faire à travers ce
recueil, c'est d'épingler les choses qui ne vont pas dans mon pays.
Partager mon engagement pour le Congo et lutter contre l'ignorance.
J'écris parce que j'ai besoin de communiquer et de partager. Je
déverse dans mes écrits l'excès de mes passions.
Pourquoi avez-vous choisi d'illustrer vos poèmes ?
Cela m'est également apparu comme une évidence car j'aime
l'art, la peinture, la sculpture, la musique, j'aime le beau. Et je crois que
si mes poèmes sont illustrés, c'est parce que j'ai
également voulu rendre hommage aux artistes congolais et plus
particulièrement, à ma rencontre avec un jeune peintre congolais
talentueux avec lequel nous partageons la même foi et aussi la même
façon de vivre le Congo.
Je n'ai pas écrit un livre d'économie ou de politique pour
proposer des remèdes. Je veux être comme un phare, une
lumière, une référence pour le Congo. En tant que
poète, j'ai voulu provoquer des questionnements : "D'où on vient
? Qui on est ? Qu'est-ce qu'on veut faire de notre pays ?"
Je crois que la poésie est quelque chose qui permet de dépasser
ses propres limites, c'est un voyage vers l'optimisme, vers l'espoir tout en
étant réaliste. C'est cela le message de mon livre, mon
engagement pour le Congo. Dans la vie, l'indifférence est
véritablement une sensation que je ne ressens jamais. Il m'est
insupportable de voir des situations d'injustice sans pouvoir réagir.
Travaillez-vous déjà à votre prochain ouvrage ?
J'ai deux livres en chantier. L'un est un recueil de nouvelles, l'autre un recueil de poèmes. La Nouvelle est une œuvre collective. Six écrivains trois femmes et trois hommes y ont participé. Une maison française, Sépia, en est l'éditrice. L'ouvrage sort sous le titre de "Nouvelles de Kinshasa", une compilation de six petites nouvelles dont la mienne, qui s'intitule "Parcours d'une vie".
Qu'en est-il du nouveau recueil de poèmes ?
C'est un recueil des poèmes dans lequel je rends hommage à mes sœurs congolaises qui ont souffert dans leur chair et dans leur corps de violences sexuelles. Cet ouvrage sera disponible à la fin de cette année. C'est de la poésie écrite en vers et non en prose.
A part la lecture quels sont vos hobbies ?
Je suis une véritable mélomane. J'aime la rumba congolaise, Papa Wemba, Lokura Kanza, le nouveau rythme français, le slam symbole d'une nouvelle poésie qui parle, le rap français, la salsa ainsi que la musique classique comme Mozart, Chopin... J'aime aussi le sport, particulièrement les arts martiaux que j'ai beaucoup pratiqués. De plus, j'adore cuisiner. C'est pour moi un moment de distraction et de détente.
Photos et propos recueillis
par John Malangu Kojalango Wa Ndaya