Les femmes Africaines sont de plus en plus lucides et aspirent à de grands changements. À travers son héroïne, Patricia Philomène M. Bassek, dont c'est le premier roman, nous livre une part de leurs convictions et de leurs choix. |
Mama Ida est âgée de 55 ans. Elle a 10 enfants et un mari.
Cela suffisait à son bonheur, jusqu'au jour où, sous les coups de ce
dernier, elle s'écroule en perdant du sang...
Patricia, sa fille aînée est une femme moderne. Chef de service de la promotion de la famille au ministère des affaires sociales, elle souhaite réussir sa carrière et son ménage. Tâche ardue, dans une société où la logique régnante est une logique masculine.
Bien sûr, depuis on sait qu'une femme peut penser, travailler, utiliser des méthodes contraceptives. Seulement derrière ces victoires concrètes, persiste un mur: celui de l'incompréhension entre la gent féminine elle même; puis l'incompréhension des hommes de cette société.
Mama Ida et Patricia, les personnages principaux de "La tache de sang" n'y échapperont pas. Face à deux visions du monde contraires, comment s'entretenir sur l'opportunité d'une onzième maternité dont l'issue sera fatale? En butte à des modes de pensées différents, les femmes en général parviendront-elles à gagner la considération et le respect qui sont d'emblée acquis aux hommes? La plume de Philomène M. Bassek y veille...
Cet auteur camerounais, professeur de philosophie au lycée Leclerc de Yaoundé et mère de trois enfants tient là un sujet d'actualité. Son style épuré augurait une lecture facile. Mais la trame du roman tarde à prendre forme. Plusieurs détails, parfois sans aucun rapport avec la pensée que souhaite développer l'écrivain en sont la cause.
Quelles raisons vous ont portée à écrire ce roman?
"La tache de sang" est le fruit d'une longue gestation. Une étude sommaire sur le statut de la femme africaine dans la société précoloniale, à l'université, a suscité mon désir de mieux connaître la femme en général, et la femme africaine en particulier. Puis, une pièce de théâtre inédite et quelques articles sont nés. Mon expérience surtout dans les tontines et les associations féministes, entre autres lieux, m'a donné la certitude du besoin qu'éprouvent les femmes à travers leurs récriminations et leurs coups de boutoirs contre les hommes, de mener une existence autre. Bref, c'est le souci d'aider les femmes à une meilleure compréhension de soi et de son environnement humain qui est à l'origine de ce roman.
La mère de votre héroïne Patricia a trouvé son épanouissement dans la procréation. La génération actuelle, elle, aspire à autre chose. Mais les barrières sont énormes et dans la majorité, sont érigées par le sexe dit fort. Avez-vous idée de l'action prioritaire à mener pour en venir à bout?
La question est difficile quand on sait que l'homme est un être total et multidimensionnel. Le fait de lui accorder un droit dans un domaine particulier ne suffit pas toujours à le combler. Néanmoins, l'élément primordial qui mérite d'être révisé en faveur de la femme est à mon avis, sa mise sous tutelle sous toutes les formes. C'est la raison fondamentale pour laquelle son existence, sa formation et son avenir sont envisagés avec beaucoup de légèreté. L'abolir forcerait par exemple les parents à éduquer leurs fillettes, non plus pour en faire seulement de bonnes cuisinières ou de bonnes mères, mais aussi dans le but de développer leurs qualités et capacités propres. Bien entretenir son ménage apporte beaucoup aux membres de la famille. Mettre au monde des enfants et les éduquer droitement est une fierté pour tous, mais cela ne fait pas de la femme un être autonome.
Pourtant, dans "La tache de sang", vous faites échouer une réunion de femmes dont le but est justement de mettre à plat toutes leurs requêtes afin de mieux mener leurs revendications.
Cet échec exprime simplement le chemin encore long et difficile à parcourir dans leur combat. La femme se heurte à plus d'un obstacle: les hommes (parents, amies, beaux-parents, maris, amants...); la société par ses structures, l'illétrisme, l'ignorance et l'absence de moyens concrets pour mener cette lutte. La génération actuelle de femmes aimerait se libérer de toutes ces contraintes. Mais, en a-t-elle, recherche-t-elle les moyens?
Mama Ida fera les frais de cette mini-révolution. Certes, elle ne peut survivre que si elle renonce à sa onzième grossesse. Simplement, la décision de la faire avorter est prise à son insu. Cet abus de droit de la part de sa fille n'est-il pas aussi condamnable que la soumission qu'elle (Mama Ida) voue à son époux?
L'acte posé par Patricia et son amie est pardonnable parce que salvateur. Mama Ida leur en est reconnaissante à la fin, même si l'idéal eût été qu'elle fût auparavant avisée et acquise à cette délicate entreprise. Par ailleurs, cette décision de la faire avorter n'était sans doute pas la seule occasion pour elle de se libérer d'une certaine façon. Mais pour que jaillisse au bout du roman ce brin de lumière, il eût fallu, pour toute autre circonstance, le choc qu'elle a reçu.
"La tache de sang" peut aussi être considéré comme un réquisitoire contre l'absence de communication dans la société africaine?
Effectivement. La communication y est minime et cela affecte la propagation d'idées nouvelles. La considération des hommes à l'égard de leurs épouses se limite à leurs propres intérêts.
A propos des hommes de votre roman, le mari de Patricia semble avoir, à votre égard, plus de considération que celui de Mama Ida. Pourquoi?
Son mérite est de reconnaître et d'apprécier l'évolution de la condition féminine. Il limite malheureusement à ses propres intérêts, la valeur qu'il concède à la femme. Cela se manifeste par son allergie à tout discours sur la libération de la femme. L'homme idéal est celui qui donne du poisson à la femme, qui lui apprend à le pécher et qui l'encourage à le pécher lorsqu'elle sait déjà le faire.
N'est-ce pas un peu utopique?
Non. Les revendications des femmes africaines, comme toutes les revendications des autres citoyens doivent faire l'objet de débats au sein d'une assemblée démocratique. Et pour garantir leurs succès, ces femmes gagneraient à se solidariser, à s'engager massivement dans la défense de leurs libertés et à faire de leur lutte l'affaire de tout le monde.
Certains personnages féminins de "La tache de sang" ont néanmoins déjà conquis des libertés. Ils n'en sont pas pour autant épanouis. Que leur faut-il?
L'équilibre moral et psychologique qui devrait résulter de leur réussite économique et sociale. Mais la femme qui a conquis sa place dans la société s'aperçoit que son entourage tend malgré tout à faire d'elle un objet érotique, une mère, "un ministre de l'intérieur" plutôt qu'un être autonome jouant un rôle social, fût-il important.
A travers toute l'histoire de l'humanité, celui qui a rapporté la nourriture à la maison a fait la loi à domicile. Le travail des femmes et toutes leurs autres revendications ne risquent-elles (si ce n'est pas encore le cas) à terme de détruire ce noyau central de la société qu'est la famille?
Non. Il s'agira simplement pour l'homme de ne plus faire la loi au foyer. Désormais, il lui est demandé de nouer avec la femme des relations nobles et symbiotiques. Les notions de complexe d'infériorité et de supériorité n'y auront plus de place, et, le travail ménager comme celui d'élever les enfants seront pour l'homme dépouillés de toute indignité.
Retour à la page de Madame Bassek | Autres interviews publiées par AMINA | Retour à la liste générale des auteurs | Retour à la page d'accueil | Retour au haut de la page