Poète, scénariste, éditrice, journaliste, chercheure-associée à l'Institut d'études des femmes de l'Université d'Ottawa, lauréate du Prix de poésie Trillium en 2004, la Burkinabé Angèle Bassolé-Ouédraogo est une femme plurielle. Publié en février 2012, son œuvre poétique est un hommage rendu à la bravoure et au talent de Yennenga , et, au-delà de cette figure historique, à toutes les femmes africaines. A la faveur de cette production, elle s'ouvre à AMINA et évoque sa carrière littéraire et ses projets. |
Pourquoi "Yennenga" ?
Yennenga vient clore ma trilogie consacrée aux femmes d'Afrique, en hommage à leur bravoure et courage qui sont historiques mais inconnus des Africains et du monde.
Quelles sont les valeurs véhiculées par Yennenga dont peuvent s'inspirer les femmes africaines aujourd'hui ?
Yennenga véhicule des valeurs comme le courage, la détermination, la bravoure, l'espérance, la combativité, la persévérance. Il n'y a pas que les femmes africaines qui peuvent s'en inspirer mais aussi les hommes, les jeunes et les enfants. Yennenga montre que nous avons de qui tenir, nos ancêtres femmes, et nous rappelle chaque jour que tout le peuple moaga descend d'une femme valeureuse et forte. Mes précédents recueils rendaient un hommage global à toutes les combattantes africaines, Yennenga rend un hommage particulier à la fille intrépide du roi Nédéga de Gambaga.
Yennenga clôt la trilogie commencée avec Sahéliennes en 2006 et poursuivie avec Les Porteuses d'Afrique en 2007. Pourquoi avoir choisi la trilogie et que vous a-t-elle permis de dire ?
J'ai choisi la trilogie parce qu'il y avait beaucoup à dire sur l'histoire de ces mères courage oubliées de la grande Histoire africaine. Une seule œuvre ne suffisait pas à leur rendre l'hommage mérité que je voulais. Même trois livres ne suffisent pas à rappeler leurs hauts faits tant leur héroïsme, leur originalité et leur courage sont inspirants.
Il y a beaucoup d'héroïnes méconnues des Africaines et Africains. Comment corriger ce déficit ?
Que peut apporter la littérature ? C'est très simple. Il faut les introduire dans les programmes éducatifs. Au lieu de continuer à nous parler de « nos ancêtres les Gaulois », à mal copier des systèmes éducatifs qui ne nous apportent rien, parce que pas adaptés à nos réalités, qu'on apprenne aux enfants et jeunes Africains leur Histoire, qu'on aille puiser dans notre passé ces modèles et figures toujours d'actualité qui stimulent notre imaginaire collectif. Qu'on dise à nos enfants que ce n'est pas uniquement « le blanc qui est fort » mais que notre Histoire regorge aussi de femmes et d'hommes admirables dont nous pouvons être fiers. Combien d'Africains savent que la plupart des inventions modernes que nous utilisons dans nos maisons (réfrigérateurs, cuisinières, fers à repasser, etc.) sont l'œuvre d'inventeurs et de savants noirs ? Combien parmi nous savent que le feu rouge existe grâce à un Noir ? Que la transfusion sanguine est possible aujourd'hui, par les recherches d'un médecin noir qui a découvert le plasma et que lui-même, ironiquement, est mort accidenté par manque de sang ? Il faut redonner à cette génération obnubilée par l'Occident de quoi être fière d'être Africains, des héroïnes et des héros pour peupler leur Histoire. Ils n'ont rien à envier aux autres. Il faut redonner aux Africains cette estime de soi et ce n'est pas en singeant tout ce qui vient de l'extérieur que nous y parviendrons. Nous devons revoir complètement notre manière d'être, d'exister et de penser. Nous devons réapprendre à aimer ce que nous sommes et ne plus avoir honte d'être africain. La littérature apporte beaucoup plus qu'on ne le pense. Ceux qui croient que le développement se limite aux ponts et aux échangeurs se trompent grandement. Le plus important, c'est ce que nous sommes au fond de nous-mêmes, pas ce que l'on a. Ce sont nos valeurs intrinsèques, ce sont les belles découvertes et les échanges que nous apportent la lecture, l'écriture, la culture de manière générale. La littérature contribue au développement des sociétés. C'est une autre école: l'école de la vie. On apprend beaucoup en lisant. Ailleurs, comme au Canada, les écrivains sont considérés, à l'extérieur, comme de véritables ambassadeurs du pays. C'est important car la postérité ne retiendra que ce que nous sommes.
C'était un peu dans cette démarche que vous aviez mis en chantier le Festival international de poésie et Malaïka, maison d'édition africaine basée au Canada. Des Africaines ont-elles pu saisir ces opportunités pour s'illustrer ?
Oui, en effet. Malaïka est une maison d'édition orientée vers l'Afrique dans sa ligne éditoriale mais ouverte à tous, hommes, femmes, Africains et autres. Le premier critère d'appréciation est que l'œuvre porte sur l'Afrique mais ce n'est pas un critère suffisant non plus. Nous ne publions pas n'importe quoi parce que ça parle d'Afrique ou que ça vient de femmes africaines. Nous sommes fermement ancrées dans la ligne de l'excellence et ne publions pas de livres pour le plaisir de publier. Au premier Marché africain de la poésie en Afrique (MAP en mars 2005), de nombreuses poétesses africaines étaient présentes et le colloque à l'Université de Ouagadougou a été une occasion formidable de rencontres entre étudiants, étudiantes et les écrivains de pays d'Afrique, du Canada, des états-Unis et de la France. Il est toujours très difficile d'organiser ce genre d'évènements en Afrique quand on n'est pas sur place. Cela coûte très cher et les gens s'imaginent que vous venez avec des malles pleines d'argent dans vos bagages. Cette première édition du MAP a été entièrement autofinancée. Je n'ai bénéficié d'aucune subvention extérieure et j'ai tout payé de ma poche. Cela a été un franc succès dont je suis encore fière même si j'ai récolté de la part de certains de mes compatriotes et anciens profs des critiques diffamatoires qui m'ont un peu, sinon beaucoup déçue. Mais j'ai une philosophie de vie qui me pousse toujours à foncer droit devant moi et à ne pas regarder en arrière. Je fais comme les Anglais: « Let them say » et je continue ma route. Il en faut plus pour me décourager. La vie est un combat de tous les jours et je me définis comme une survivante. Je survivrai toujours à tout grâce à Dieu en qui je crois de toutes mes forces.
Quels sont vos projets ?
Finaliser mon premier film documentaire Sèbèko sur la vie d'esclavage des domestiques africaines au Canada, publier mon premier roman, Zaamê, lancer les collections Jeunesse, Spiritualités et Musiques d'Afrique (portraits de musiciens engagés du continent) de Malaïka.
Un dernier mot ?
Soyons fiers d'être Africaines et Africains. Valorisons nos richesses culturelles et humaines. Transmettons à nos enfants la mémoire des femmes Debout. Rendons à nos ancêtres comme Yennenga l'hommage qui leur est dû et que l'égalité entre femmes et hommes ne demeure pas un vain mot.
Propos recueillis
par Tiego Tiemtoré