Poursuivie par les éditions du Seuil pour plagiat, Calixthe Beyala n'en
continue pas moins une carrière époustouflante. Après
avoir été couronnée du prix du Meilleur Ecrivain
Africain 1994, l'auteur de "Assèze l'Africaine" réanime le
débat féministe en publiant un brûlot qui n'épargne
ni le sexe mâle, ni la gent feminine assoupie.
Calixthe Beyala n'hésite pas non plus à s'engager en politique : la liste municipale du 20e arrondissement parisien sur laquelle elle était inscrite vient de remporter les élections. Auréolée de succès, Calixthe Beyala nous a confié en exclusivité ses inquiétudes en ce qui concerne le droit des femmes et ses espoirs de renouveau. |
Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d'écrire ce pamphlet féministe ?
Parce que les féministes, de nos jours, ne sont plus écoutées. On tend à oublier que des milliers de femmes ont lutté contre l'injustice dont la gent féminine était victime. Ce livre, qui n'est pas tendre, j'en conviens, est un hommage que je rends à ces féministes valeureuses. Mais c'est aussi une mise en garde: lorsque j'entends à la TV certains hommes politiques affirmer qu'ils vont nous remettre au fourneau, j'enrage! J'ai l'impression de vivre une période de régression totale.
Vos romans étaient déjà marqués par la pensée féministe. Pourquoi êtes-vous passée soudainement du roman à l'essai ?
Le pamphlet me permet de dire ce que j'ai à dire de manière directe et brute.
En effet, votre essai est direct et même excessif ... Prenez-vous plaisir à jeter des anathèmes ?
Ecrire, c'est avant tout jouir de la langue. En ce sens, on peut dire que j'éprouve un plaisir à créer du texte. Mais il serait faux de penser que je n'écris que pour le plaisir de la langue.
Vos formules paraissent injustes envers le sexe fort, parce que trop excessives...
Pourquoi injustes ? Qu'ai je dit de faux ? Je n'ai pas écrit que tous les hommes sont des tyrans. J'ai seulement voulu dire que nous, femmes vivant en France, nous sommes des privilégiées et que la majorité des femmes de par le Monde vivent dans des conditions alarmantes. C'est cela qui me révolte! Mais je ne suis pas excessive! Mon vocabulaire est cru, c'est vrai, mais il faut aussi considérer que dans un monde où le "politiquement correct" prime sur tout, parler vrai paraît excessif. Je suis extrême, mais je ne raconte rien de faux.
A lire votre essai, on se rend compte que vous êtes plus sensible au machisme qu'au racisme...
Je suis aussi sensible au racisme qu'au machisme, mais de toute façon, je considère que la lutte féministe est une lutte contre le racisme. Selon moi, il n'existe que deux races : la race mâle et la race femelle. Partout où la femme a été confrontée à l'homme, elle a été "esclavagisée". A partir de ce constat, il est clair que les femmes doivent s'unir pour mener leur combat... Je me sens beaucoup plus proche de n'importe quelle femme que d'un homme, c'est certain !
Les féministes américaines, dont vous êtes proches, sont taxées de "politiquement correct". Récusez vous cette appellation ?
Le "politiquement correct" qui serait selon les médias américains, la dictature des minorités, les a beaucoup desservies. Certains mots ont été bannis : on affirmait que l'on voulait ainsi protéger les minorités alors qu'on les baillonnait ! Il s'est opéré un nivellement par le bas... En fait, la seule classe qui a bénéficié du "politiquement correct", c'est la bourgeoisie : elle a pu, en se servant des minorités, imposer sa censure morale.
Pourquoi, selon vous, la nouvelle génération de femmes est-elle aussi peu militante ?
Tout simplement parce que ces femmes ont reçu le fruit des luttes de leurs mères en héritage. Elles ne savent pas ce que c'est que de lutter pour ses droits. Il faut dire que les féministes ont été sacrément dénigrées par les hommes. N'oublions pas qu'on les a insultées comme jamais on ne l'avait fait ! Les féministes passaient pour des laideronnes, voire des lesbiennes. Pour se démarquer de la génération militante, les femmes d'aujourd'hui nient le féminisme. Et c'est une grande erreur ! On ne peut pas ne pas être féministe, lorsqu'on est une femme.
Pour exprimer votre combat en faveur du droit des femmes, vous utilisez un néologisme, la "féminitude". Quel concept recouvre ce nouveau mot ?
Vous n'êtes pas sans savoir que le mouvement de la négritude a placé sur un piedestal la femme africaine. En sublimant l'Africaine, des poètes comme Senghor ont en fait voulu glorifier le passé anté-colonial africain. La féminitude serait pour moi un mélange de féminisme et de négritude. Avec ce nouveau concept, je cherche à montrer en quoi la femme noire est supérieure. Je veux affirmer la suprématie de la femme noire sur l'homme noir. En Afrique, c'est la femme qui travaille, c'est elle qui fait en sorte que ce continent ne parte pas totalement à la dérive.
Vous éprouvez de l'aversion pour toute forme d'intellectualisme...
Oui, pour l'intellectualisme tel qu'il est pratiqué en Afrique. Les intellectuels africains se sont beaucoup trop compromis avec les pouvoirs en place. Quant À l'intellectualisme occidental, il ne me concerne pas vraiment.
Vous êtes engagée sur la liste d'Union de la Gauche dans le 20e. Vous aimez cet arrondissement ?
J'ai mon appartement à Belleville. J'y vis depuis huit ou neuf ans. J'adore le cosmopolitisme qui règne dans ce quartier. Et surtout je peux m'y promener en portant un pagne sans qu'on me dévisage ! Je m'y sens chez moi en fait. C'est comme un village à l'intérieur de Paris. Un endroit qu'il faut absolument préserver !
Avez-vous été particulièrement influencée par certains écrivains ?
J'aime beaucoup Louis-Ferdinand Céline. Nous avons beaucoup d'atomes crochus, nous utilisons une langue crue, authentique... L'un de mes autres écrivains fétiches est Dostoïevski. Il me donne l'impression d'être un transfuge... C'est un homme présent sans l'être vraiment. Dans ce sens, je me sens très proche de lui. Il faut participer au Monde sans y participer. Il ne faut jamais appartenir à quoi que ce soit.
Qu'en est-il de cette histoire de plagiat dont vous accuse les éditions du Seuil ?
Cette sombre affaire est tout simplement le symbole de ma réussite. Les problèmes accompagnent toujours le succès. Mon éditeur, en apprenant l'affaire, m'a appelée pour me dire bravo. Vous avouerez que le motif (ndlr: une quarantaine de passages d'un roman de Calixthe Beyala seraient inspirés du best-seller de Buten, publié au Seuil) est on ne peut plus ridicule : en ne parle de plagiat que lorsque plusieurs chapitres ont été recopiés, non lorsque quelques phrases banales se ressemblent ! En littérature, nous utilisons un matériel commun qui est le langage : cela veut dire que les ressemblances fortuites sont obligatoires !
Cette affaire aura eu le mérite de mettre en évidence mon succès colossal, que beaucoup jalousent... Grâce aux éditions du Seuil, je sais maintenant que je suis rentrée dans la cour des grands !
Propos recueillis
par Jean-Bernard Gervais