Depuis la nuit des temps, les femmes soumises aux diktats de la beauté n'en finissent pas de grever le budget familial, pour le plus grand bonheur de l'industrie de la beauté qui prospère. Une course effrénée qui laisse sur la paille les grosses consommatrices que nous sommes. D'après les statistiques, la femme noire dépense deux fois plus que l'Européenne, alors même que nos préoccupations dans ce domaine ne sont pas prises en compte. Dans les années quatre-vingts, cette réalité atteint en plein visage la jeune et non moins coquette Khadi, jeune médecin qui décide de voler à notre secours en optant pour la médecine esthétique. Peu développée à l'époque, cette spécialité est du seul ressort des chirurgiens et autres dermatologues qui à eux seuls ne peuvent répondre aux revendications esthétiques des femmes. Voilà comment, loin des sentiers battus, Dr Sy Bizet a trouvé sa voie en empruntant une filière jusque-là inexplorée. Aujourd'hui, son cabinet ne désemplit pas, mais malgré un emploi du temps très chargé, notre charmante docteure se livre aux délices de l'écriture. A croire que chez elle, le succès aiguise l'appétit et le goût du défi. |
Pionnière dans la belle aventure de la médecine esthétique, comment vous êtes-vous imposée dans le métier ?
Lorsque je me suis intéressée à cette spécialité, je me suis vite aperçue qu'elle était considérée comme une compétence au même titre que la diététique. Encore aujourd'hui, le cursus scolaire ne concerne que la peau blanche ; et le seul diplôme universitaire est celui décerné par les dermatologues. Alors pour trouver ma voie et comprendre la demande esthétique de ma clientèle, j'ai travaillé pendant deux ans et demi aux côtés des chirurgiens esthétiques. Ce qui m'a permis de créer cet espace et de l'adapter aux besoins spécifiques de la femme noire qui sont les taches, les cicatrices, les cheveux...
Avez-vous exercé en Afrique ?
Oui, après un stage en chirurgie esthétique en 1986, je suis rentrée à Abidjan pour créer le premier cabinet de médecine esthétique. Et là j'ai eu tout le loisir d'expérimenter et d'adapter sur les peaux noires les protocoles qui, a priori, sont destinés aux femmes blanches. Un exercice qui m'a permis de bien connaître le terrain, de comprendre les problèmes et de proposer des solutions. Cette expérience riche en essais, tâtonnements et découvertes m'a appris le métier. De retour à Paris, j'ai refait un autre stage avant de m'installer à mon compte en 1992.
Se créer une clientèle, était-ce une tâche difficile ?
Il faut dire que la population noire en France est nombreuse, mais éparpillée, donc plus difficile à toucher, car le tam-tam ne marche pas comme en Afrique (rires !!). Donc j'ai dû approcher les esthéticiennes, les magazines et le bouche à oreille a fait le reste.
Le comportement de la peau noire varie-t-il selon qu'on soit en Afrique ou en Europe ?
Les conditions climatiques affectent toutes les peaux, quelle que soit leur couleur. C'est pourquoi il est conseillé de changer de cosmétiques selon les saisons: des crèmes riches pour l'hiver, légères pour l'été. Une peau a besoin d'être bien hydratée, car ainsi elle résiste mieux au stress, à l'acné et même aux dartres, résultat d'un manque de lipides. Dans les pays chauds et humides, cette précaution devient moins nécessaire, même lorsqu'on vit en climatisé. Par contre la gamme de soins doit être adaptée au type de peau (sèche, mixte ou grasse). En ce qui concerne les taches, les produits doivent répondre aux besoins spécifiques de chacune.
Pourquoi cette préférence pour les crèmes vendues en pharmacie ?
En tant que médecin, je reste dans la logique médicale, sans compter que les laboratoires dermato-cosmétiques, dotés d'unités de recherche, nous tiennent régulièrement informés des performances de leurs produits qui ont l'aval du ministère de la Santé. Leurs crèmes, associées à des traitements thérapeutiques, ont une connotation scientifique qui les rend plus crédibles aux yeux de l'opinion.
Pourquoi les crèmes coûtent-elles cher ?
Vous savez, derrière tout bon tube de crème se profile toute une logistique qui exige beaucoup de moyens : depuis les ingrédients, en passant par la formulation, jusqu'aux unités de recherche... Il est vrai que les marques de luxe jouent un peu sur le concept de "je tape fort pour la crédibilité ..." Cela dit, il ne faut pas espérer faire des miracles avec une crème à deux sous !
Vous êtes médecin et vous voilà écrivain... Quelles sont vos motivations ?
Dans mon métier, les conseils occupent une grande partie de mon temps car 20% de nos soucis de peau s'expliquent par les erreurs cosmétiques. Aussi, en 2000, j'ai décidé de réunir dans un livre mes dix-neuf ans d'expérience. "Le livre de la beauté noire" est une synthèse globale qui aborde à la fois les cheveux, la peau et même la silhouette. J'ai voulu mon livre ludique, dépouillé des termes techniques et scientifiques, et bourré de témoignages répondant aux questions que se posent les femmes sur leur beauté. J'ai consacré un chapitre entier aux ravages causés par le blanchiment de la peau noire A l'époque, j'avais réalisé une dizaine d'émissions à RFI, qui ont contribué à la prise de conscience générale puisque un an après, paraissait la législation sur le retrait de l'hydroquinone dans les cosmétiques. La pratique en France a tendance à disparaître avec les jeunes générations qui s'y intéressent de moins en moins. Malheureusement, ce n'est pas le cas en Afrique.
Vous avez une explication ?
J'aurais tendance à incriminer les hommes noirs qui, par leurs fantasmes sexuels, cautionnent la pratique. Certains affichent leur préférence pour la femme claire et vont jusqu'à acheter eux-mêmes les produits pour leurs femmes.
"Confidences érotiques des grandes noires et des petites blanches" est le titre de votre deuxième livre ... Un peu provocateur... Non ?
Pas du tout. Mais certains journalistes l'ont jugé prétentieux... Ils ont vu une connotation péjorative dans l'expression "grandes noires et petites blanches". Alors que je ne faisais que reprendre certaines familiarités entre femmes lorsqu'on dit "Comment vas-tu ma grande... Alors ma petite tu vas bien ?" qui pour moi sont loin d'être une échelle de valeur. Bref, après avoir porté "La Beauté noire" comme une grossesse, je n'avais qu'une seule envie à sa naissance : continuer à écrire... Donc un an après, j'ai écrit celui-ci : l'histoire des femmes dans leur quotidien, leurs amours, leurs inquiétudes ou leurs relations avec les hommes. Une version française de "Sex and the city", si vous voulez. Il y est question de séduction, de beauté... pour moi, être coquette n'est pas un défaut car la beauté offerte aux regards des autres n'est jamais qu'une politesse qu'on leur rend. Je me suis beaucoup amusée à écrire ce livre gai, drôle, frais, plein d'humour.
"Ce que femmes désirent (CQFD)" est votre troisième ouvrage...
Oui. Pendant quelques années, prise par d'autres préoccupations et par des changements dans ma vie, j'ai posé ma plume pour la reprendre seulement depuis un an. CQFD, est co-écrit avec Eliza Dalan et sa sortie est prévue pour juin 2007. Le désir féminin est le sujet qui y est traité. Notre but était de montrer qu'en traversant les siècles, et malgré la libération de la femme, le désir féminin n'a pas pris une ride.
Vous parlez de techniques de séduction...
Oui, parce qu'il s'agit bien d'un art. Et il s'apprend et se transmet. En écrivant le livre, j'ai été agréablement surprise de voir toute la richesse des techniques de séduction africaine. Au Mali, par exemple, chaque famille a sa formule magique, et son secret de fabrication du woussalan transmis de mère en fille. Les femmes concoctent ce parfum d'ambiance, sensuel, et érotique loin des regards indiscrets et des coépouses. Aussi, le port des perles et du string très à la mode en Occident a toujours été pour l'Africaine une technique de séduction. Je donne beaucoup de petites recettes glanées ici et là.
Entre vos deux activités, laquelle préférez-vous ?
Les deux me comblent de joie. Autant avec l'écriture, j'ai ce besoin d'être solitaire, autant le contact du médecin avec la clientèle reste magique. Car derrière chaque cas qui vous est soumis, il y a une souffrance qui en cache une autre où se profile un besoin d'écoute et de conseils. Je suis consciente d'avoir un métier qui me permet d'offrir au quotidien un petit peu de moi aux autres. Et cela n'a pas de prix.
Propos recueillis
par Assiatou B. Siradiou Diallo
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