Après deux films unanimement salués par la presse "Le génie d'Abou" (fiction) et "La coiffeuse de la rue Pétion" (documentaire), la plus jeune cinéaste ivoirienne fait une remarquable irruption dans l'univers de la littérature africaine d'expression française avec ce premier roman écrit dès l'âge de dix-sept ans, dans un style âpre, intense, qui révèle son talent et sa saisissante maturité. |
Vous êtes surtout connue en tant que réalisatrice et scénariste, mais pas comme écrivain...
J'ai commencé à écrire avant de me lancer dans le 7e Art. C'est mon premier roman. Je l'ai rédigé il y a dix ans. Il a été édité pour la première fois en France dans une édition collective du journal le "Monde". J'ai eu aussi l'occasion de publier des textes dans la "Revue noire" et d'autres publications littéraires.
Comment le trouvez-vous aujourd'hui?
Il est assez touchant. C'est une oeuvre littéraire d'une jeune fille de dix-sept ans avec ses angoisses et ses inquiétudes, face à son avenir. J'avais envie de partager les réflexions qu'il renferme.
Pourquoi "La grande dévoreuse"?
C'est une métaphore de la ville et de la vie. Les forces négatives qui peuvent vous dévorer et vous avaler.
Qu'est ce qui a poussé une jeune fille africaine d'un milleu aisé à s'intéresser aux problèmes des jeunes de condition modeste?
C'est justement l'intérêt de ma démarche, le fait de se préoccuper d'une réalité qui n'est pas la mienne. J'exprime une sorte de compassion que j'essaie de transcrire.
Avez-vous voulu poser un acte militant?
Je ne pense pas. C'est un constat et une envie de dire les choses. Dès qu'on voit des jeunes exprimer une certaine violence, tout de suite on les condamne avant même d'essayer de comprendre les causes de cette situation. Quand vous avez 75% des jeunes dans un pays qui ne peuvent être accueillis sur le marché de l'emploi parce qu'ils n'ont pas pu accéder à l'école par manque d'argent ou à cause d'un système éducatif sélectif, cela ne peut qu'engendrer des frustrations et des conflits.
Vos héroïnes (Sax et Amoin), sont-ils des jeunes gens que vous avez recontrés à Abidjan au moment de la grande révolte démocratique de 1990?
Ce sont des personnages tout a fait imaginaires. J'étais adolescente, j'étais sensible à leur cause. Je me souviens qu'il y a eu une année blanche pour l'Université et une partie du secondaire, qui a pénalisé tout le monde. Les aspirations fondamentales sont les mêmes pour tous les jeunes en âge scolaire, les riches comme les pauvres.
Les récents événements intervenus dans votre pays vous ont-ils véritablement surpris?
Je me trouvais à Abidjan pour les fêtes de fin d'année. Comme tout le monde, j'ai été surprise par le cours des choses. Dans le même temps, il y avait une certaine tension très forte. Il fallait qu'elle trouve une issue. Nous attendons de voir la suite, afin d'avoir une vision claire.
Comment la fille de la ministre de la Communication du gouvernement Bédié que vous étiez, a-t-elle vécu ces changements?
J'ai regardé ce qui s'est passé, écouté les différents points de vue. On était dans une sorte d'impasse politique. Un coup d'État ne fait jamais plaisir. Si cela peut déboucher sur des élections libres et transparentes, pourquoi pas?
Êtes-vous une bonne cuisinière? Vous décrivez avec une remarquable précision les gestes des femmes au moment de la préparation du foutou? (pâte de banane plantain associée au manioc).
Je les ai observées dans la cour de mon village à Tiassalé. Je ne cuisine presque pas.
Au grand désespoir de votre mère?
(Rire). De nos jours, les hommes savent aussi confectionner des bons plats.
Pendant que leurs épouses rédigent de futurs best-sellers?
Pas jusque là. (Rire communicatif). Je pense réanmoins que les rôles sont un peu moins traditionnels.
Florence Dini