Après Venise où eut lieu sa première mondiale, puis Toronto, Namur, Chicago et Tübingen, le film « Notre étrangère » a été présenté au Festival international d'Amiens en novembre 2010 où il a reçu le Grand Prix du long métrage. Il sera en sélection officielle long métrage à la prochaine édition du Fespaco en 2011. Pour Sarah Bouyain le chemin est tracé. |
Pourquoi avez vous réalisé « Notre étrangère » ?
Pour parler de métissage. Je suis une métisse franco burkinabé, née à Reims dans le département de la Marne. « Notre étrangère » est un long métrage de fiction qui est parti de mon envie d'apprendre le dioula, une langue parlée dans toute l'Afrique de l'Ouest et, en particulier, à Bobo Dioulasso, deuxième ville au Burkina. C'est surtout la langue de mon père. En l'apprenant, j'ai découvert le sens derrière des mots dont je percevais juste les sonorités. J'ai voulu faire un film qui traduirait les émotions de cette découverte. Je ne crois pas avoir réussi à faire ce film-là, mais la réalisation de ce film m'a amenée à réfléchir sur la filiation, l'appartenance, le sentiment d'être étranger. Ce sont ces questions-là qui sont à présent au cœur du film. J'ai aussi écrit plusieurs articles concernant le thème du métissage et de l'exil pour Africultures et le Codesria.
Le cinéma est une vocation pour vous ?
D'abord je voulais être peintre, mais pour rassurer mes parents, je me suis plutôt dirigée vers une école de technicien de cinéma, l'Ecole de Vaugirard (Ecole nationale Louis Lumière). En attendant d'obtenir le concours qui me permettrait d'entrer à l'école, j'ai étudié les mathématiques à la faculté de Jussieu et j'allais beaucoup au cinéma. A la sortie de l'école, j'ai fait un stage à la caméra sur « Léon » de Luc Besson. J'ai travaillé durant dix ans en tant qu'assistante caméra sur tous types de films, des fictions, des publicités, etc. Ce n'est pas un métier facile. Par chance, j'ai eu des alliés, des réalisateurs africains qui m'ont fait confiance et m'ont offert de travailler sur leurs tournages : Gaston Kaboré, Idrissa Ouédraogo et Henri Duparc. Mais j'avais surtout envie d'écrire et de réaliser des films. Finalement, en 2010, « Notre étrangère » est à l'affiche.
Quels furent vos travaux antérieurs à « Notre étrangère » ?
En 2000, j'ai réalisé le film documentaire « Les Enfants du Blanc ». J'ai aussi écrit des nouvelles qui sont parues en 2003 sous la forme d'un recueil intitulé « Métisse façon », édité par La chambre d'échos. Dans « Les Enfants du Blanc » il s'agit du métissage colonial. Pendant la colonisation, dans ce qu'on appelait l'AOF (Afrique occidentale française), les enfants métis qui naissaient de la rencontre (plus ou moins forcée pour la femme) de coloniaux français et de femmes africaines étaient placés dans des orphelinats réservés aux Métis. Dans l'immense majorité des cas, leur père français ne les reconnaissait pas. On élevait ces enfants à part, sans qu'on sache très bien quel était le dessein poursuivi par les autorités coloniales. Je crois qu'il n'y en avait pas vraiment. C'est un angle mort de la politique coloniale.
Que sont devenues ces personnes ?
Ces personnes qui ont été élevées en orphelinat ont reçu une éducation qui leur a permis d'accéder à une certaine bourgeoisie africaine. Mais ils ont été coupés de leur famille et de leur culture française. Cela a fait d'eux des étrangers sur leur sol natal. Ma grand mère paternelle, née en 1920, était métisse et élevée en orphelinat. Elle est le fil rouge de mon documentaire. J'interroge mon métissage à travers le sien. Les nouvelles qui composent « Métisse façon » parlent aussi beaucoup du métissage colonial et, plus largement, de la rencontre entre la France et l'Afrique. Je fais exprès d'employer des termes aussi généraux que France et Afrique, car ces appellations recouvrent une large part de fantasme hérité du temps colonial Et quand un Africain rencontre un Français, les fantasmes qu'ils projettent mutuellement l'un sur l'autre, s'entrechoquent et peuvent créer des malentendus.
Vous avez beaucoup lu sur la question de la douleur coloniale...
Oui, notamment Albert Memmi avec son fameux ouvrage « Portrait du colonisé et portrait du colonisateur », qui dissèque les relations entre colonisés et colonisateurs, et Alain Ruscio avec ses deux ouvrages « Amours coloniales : aventures et fantasmes exotiques de Claire de Duras et Georges Simenon » et « Le Credo de l'Homme blanc ». Ces deux livres montrent à quel point la façon dont le Noir est perçu dans la société française, découle de l'idéologie coloniale. L'image de l'indigène, qui rit tout le temps et a le rythme dans la peau, vient de là. Quant à « Notre étrangère », elle est plus ancrée à l'époque actuelle, car le métissage du personnage principal interroge la filiation et l'identité.
Le métissage est dur à vivre ?
Le métissage est difficile à vivre lorsque l'un de ses deux parents est absent. Ce n'est pas mon cas, j'ai été élevée par mes deux parents. Nous vivions en France. Mon père travaillait à l'Unesco. Il était profondément attaché à son pays, le Burkina. S'il n'y vivait pas, c'était pour des raisons économiques. J'étais proche de lui et je crois que je me suis appropriée le rapport nostalgique qu'il entretenait avec sa terre natale.
Propos recueillis
par Monique Chabot