Après "Nika l'Africaine" sorti en 2007, Aurore Costa publie son deuxième roman intitulé "Perles de verre et cauris brisés". Il se présente comme la suite de "Nika l'Africaine". |
Votre roman, "Perles de verre et cauris brisés" a également pour sous-titre "Nika l'Africaine" et on y retrouve effectivement des personnages de votre premier roman. Est-ce donc le même roman qui se poursuit ?
En effet ! Il me tarde d'ailleurs de terminer cette saga de quatre volumes (si j'y arrive bien évidemment ... ) pour passer à autre chose. Ma seule inquiétude c'est de lasser mes lecteurs.
Ce deuxième tome est centré sur la rencontre, l'union et le brassage des cultures occidentale et africaine. Lesquels, selon vous, ont le plus profité de ce brassage, les Blancs ou les Noirs ?
En ce qui me concerne, je dirai le Noir. A cause de son humilité, sa malléabilité, son innocence et sa patience d'être à l'écoute des autres, le Noir a appris et même s'est imprégné de la culture de l'envahisseur, parfois, au détriment de la sienne. Nous avons, en plus de notre savoir ancestral, acquis celui du colonisateur. Le malheur, c'est que nous avons tout autant ingéré ce qu'il y avait de mauvais dans leur culture. Quant au Blanc, par mépris et par orgueil, il a aussitôt rejeté en bloc les autres civilisations. Aujourd'hui scientifiques, chercheurs et historiens reviennent en arrière avec l'espoir de découvrir les secrets que détenaient ces autochtones, surtout du point de vue de la médecine ancestrale. Mais n'est-il pas trop tard ? Bon nombre de nos anciens sont partis, emportant leurs secrets dans l'au-delà.
Le matérialisme apparaît même comme l'un des défauts les plus représentatifs de la société occidentale...
Ce qui est vrai. Le présent nous le montre bien. Nous subissons chaque jour les transformations des biens de consommation. Pourquoi y a-t-il plusieurs marques de yaourt, de sucre et même d'eau ? Pourquoi nous sentons-nous obligés de changer de portable, d'ordinateur ou de télé ? J'ai voulu sensibiliser mes lecteurs sur le défaut qu'est l'envie, de toujours avoir envie, de vouloir tout posséder souvent par orgueil. Si les moyens financiers ne permettent pas d'avoir le superflu, pourquoi ne pas s'en abstenir et s'en tenir qu'au strict nécessaire ? L'envie est un défaut qui mène au pire (vol, meurtre, suicide, guerre ... ). Pourtant, c'est justement ce défaut que nous, Africains, avons retenu le mieux. Vous savez, la guerre de Brazzaville en 1997 m'a permis de me remettre en question. En ayant tout perdu, j'ai compris ce que voulait dire : "Vanité des vanités, tout n'est que vanité". Je pense que nous, humains, devons réapprendre à vivre simplement.
C'est comme si quelque chose se brise dans l'âme africaine depuis l'arrivée des Blancs ?
Malheureusement, oui, quelque chose se brise. L'Afrique, à cause de la course au pouvoir, des biens matériels et surtout à cause du dieu "Argent", a perdu son humanisme, son insouciance, sa cordialité et l'innocence qui la caractérisaient. Le modernisme nous éloigne les uns des autres.
Pourquoi "Perles de verre et cauris brisés" ?
D'abord parce que le Blanc, en faisant scintiller la brillance du verre, a dévalorisé le cauri, base de toute une civilisation. Le cauri servait de monnaie, de parure et d'objet de croyance. Et puis, n'est-ce pas à cause de l'envie de posséder ces perles de verre, cette brillance, que l'Afrique ne cesse de se briser ?
Et en ce qui concerne l'Afrique, c'est le mysticisme, la superstition diraient certains, qui semble la caractériser le plus. Comme dans le roman précédent, il est beaucoup question de sorcellerie dans "Perles de verre et Cauris brisés". Est-ce votre thème de prédilection ?
Non, pas vraiment. Il ne faut pas perdre de vue que mon roman est une saga familiale qui se passe fin XVIIIe - milieu XXe siècle. Je tente de relater les faits sans trop me disperser et à cette époque, l'Afrique était animiste. Cette religion tend essentiellement à la sorcellerie. L'animisme n'était pas propre à l'Afrique. L'histoire des peuples, en tout temps, dans tous les continents, nous parle de sorcellerie. S'il n'y avait pas eu l'inquisition, l'Europe aurait continué à être fortement sorcière. Actuellement, nous avons des médiums, des magnétiseurs, des sophrologues, des herboristes et autres. Ne faisaient-ils pas partie, à l'époque, de ces soi-disant "sorciers"?
L'autre thème important que l'on retrouve dans ce second roman, c'est la polygamie, toujours présentée de façon péjorative. D'autres, pourtant, justifient la polygamie par le besoin de main-d'œuvre pour les travaux des champs, le souci de perpétuer le nom, bref, elle aurait des aspects positifs. Que dites-vous à ce propos ?
Les hommes trouvent toujours des raisons pour justifier leur besoin de luxure. Personnellement, je ne sais si j'aurais accepté de faire partie d'un "harem". Quant à Makaba, je ne saurais le traiter de pédophile puisqu'à l'époque, les vieux avaient le droit d'épouser des gamines à peine pubères. L'histoire des peuples nous apprend que partout, même en Europe, les filles étaient mariées aux environs de treize-quatorze ans. Puis les mentalités ont changé sauf, bien évidemment, l'envie des hommes de posséder plusieurs épouses et de penser sexe dès lors qu'ils aperçoivent une belle femme.
Votre roman montre combien, malgré la cupidité et l'hypocrisie ambiantes, un attachement sincère et désintéressé peut lier Blancs et Noirs. En somme, la fraternité entre les races n'est pas une utopie !
Non, lorsque l'humain ne regarde pas son nombril. L'homme a le pouvoir de réunir les peuples tout comme de les désunir. Malheureusement, trop souvent, l'orgueil, l'argent, les préjugés, la stupidité et le manque d'instruction font que certaines personnes se croient supérieures à d'autres. Je vais vous raconter une anecdote. J'étais invitée à un dîner où nous étions une quinzaine à table. Un vieux couple s'est mis à déblatérer sur les Noirs en disant qu'ils mangeaient avec les doigts. Lorsque, calmement, je leur ai dit qu'au temps jadis leurs rois mangeaient également avec les doigts, ils ont certifié que non. Que c'était les sauvages qui utilisaient leurs doigts. Heureusement que dans l'assemblée il y avait une personne un peu plus instruite, ce qui a mis fin au débat. La fraternité entre les races n'est pas une utopie. C'est l'instruction qui manque.
Y a-t-il des auteurs qui vous inspirent ? Qui vous servent d'exemple ?
Pour mon premier livre, j'ai pris comme support le roman de Nan Salerno et Rosamond Vanderburgh qui avait pour titre "La fille du Chaman' paru en 1980. Ce livre m'avait tellement marquée que je l'ai toujours en mémoire. Pourquoi ? Probablement le métissage qui est également la base du roman. Quant au deuxième, les sensations ressenties dans "Les oiseaux se cachent pour mourir" de Colleen Mc Cullough paru en 1983 si je ne me trompe ont fait que je recherche cette même ambiance amoureuse.
Propos recueillis
par Liss Kihindou
https://lissdanslavalleedeslivres.blogspot.com/