Que de voyages pour cette Ivoirienne d'une trentaine d'années ? De
Bouaké lieu de sa naissance, à l'École primaire religieuse
de Yamoussoukro, en passant par le Lycée classique d'Abidjan, pour finir
à Lille... L'impression de froideur qui émane à
première vue de Maïmouna Coulibaly dissimule en
réalité l'expression d'une réserve et d'une
discrétion qui cachent une ténacité et une énergie de
tous les diables...
La tête et les jambes ont souvent travaillé de concert dans le parcours de Maïmouna. Déjà, l'écolière Coulibaly participait à la rédaction d'un petit bulletin scolaire en se spécialisant dans les billets sportifs. Rien d'étonnant donc à la retrouver à peine licenciée en Lettres modernes, cumulant un stage en qualité de pigiste et ses fonctions de capitaine de l'équipe de volley-ball de l'Abidjan-Université-Club. L'année 1987 marquera un tournant dans la vie de Maimouna Coulibaly, transformant un stage de quarante-cinq jours en trois années de journalisme du soir qui coïncideront avec la création d'un quotidien du soir. Toute l'effervescence de la création est présente ; travailler jusqu'à deux ou trois heures du matin, être à l'affût de la moindre nouvelle... Bref, l'intemporalité de la passion. En 1990 l'heure est au changement et l'oeil incorruptible de Maimouna Coulibaly ne se satisfait plus de l'apprentissage sur le tas. Ce souhait bientôt assorti d'une bourse est encouragé par le sérail des anciens journalistes ivoiriens de l'École de journalisme de Lille. A Lille c'est la découverte d'un autre rythme, d'une autre intensité. La tristesse de ne plus pouvoir jouer au volley est vite remplacée par la nécessité d'aller au bout de ses études et de ses ambitions. Ce que fait Maïmouna jusqu'en 1992 au sortir de l'École de Journalisme. La jeune femme accomplira des stages à France-3 Amiens et France-3 Clermont-Ferrand, avant de s'inscrite sur le planning France-3, grâce auquel elle effectuera quelques remplacements. Il est difficile de rencontrer la figure féminine du Festival Africain de Lille. De fait, Maimouna Coulibaly, co-organisatrioe du Festival, navigue d'un pôle à l'autre, entourée de Nocky Djedanoum, co-organisateur et alter ego et de leur collaboratrice chevronnée Franklin. La rencontre aura finalement lieu. L'entretien commence dans un souffle avant que ne s'accomplisse la profonde métamorphose qui révélera derrière le masque de l'organisatrice, une belle figure de femme doublée d'une amatrice d'art éclairée. Rencontre avec une femme discrète et pragmatique... |
Vous êtes avec Nocky Diedonoum la la coordinatrice des Rencontres Littéraires entre l'Aftique et le Nord de la France. L'année 2001 a marqué la neuvième édition de votre création. Comment Fest'Africa a-t-il réellement été engendré? Ce résultat est-il le produit d'une initiative personnelle ou la fruit d'une sollicitation extérieure ?
Tout désir de création trouve sa source dans l'insatisfaction. Fest'Africa n'échappe pas à cette règle. Ce projet est né d'un sentiment de décalage. Pour mieux situer mon propos, je le reclasse dans son contexte. Je suis en seconde année de l'école lorsque je rencontre Nocky, qui lui préparait un DESS de gestion de projet. Nous avions soif de littérature africaine, de spectacles, rien de tel n'existait dans la région. Pour tout vous dire, le premier film de la diaspora que nous ayons vu était "Tina" avec Angèla Bassett. Le sentiment de décalage fut accentué par les questions incongrues sur l'Afrique posées par nos congénères à l'école, ce qui - soit dit en passant - est tout de même intolérable pour des futurs journalistes. Par ailleurs, je manquais de m'étouffer chaque fois que je cherchais un livre et que je me retrouvais face à la trentaine d'ouvrages africains stockés dans une réserve à la Fnac ou au Furet. Nous nous sommes interrogés sur les raisons de la méconnaissance européenne quant à la création artistique africaine non folklorique. Au départ, nous souhaitions créer un événementiel à Abidjan, parce qu'il nous semblait invraisemblable qu'il n'existe rien de ce genre. Nocky a d'ailleurs effectué une mission à Abidjan avec des créateurs, des artistes, sans parvenir à fédérer autour de ce projet.
Nous avons alors décidé de lancer l'opération ici à Lille. La suite est plutôt classique: création de l'association, établissement de dossiers de présentation, proposition à la mairie. Il y a dix ans, l'adjointe du maire à la Culture, Jacqueline Buffon, a immédiatement réagi avec enthousiasme. Le projet de base était énorme, l'aval a été obtenu à condition de réduire le nombre d'activités. C'est ainsi que nous avons débuté en 1993 avec l'appellation "Lettres d'Afrique" et une affiche prestigieuse: Sony Labou Tansi, Tierno Monenembo et Jean-Jacques Nicolo.
Nous savons que la bon fonctionnement de Fest'Africa est le fruit d'un travail collectif. Quelles sont exactement vos fonctions au sein de cette équipe ?
Vous faites bien de poser la question. N'attendez pas d'énumération unique et conventionnelle, car dans notre petite structure, nous sommes tous polyvalents. L'association a été créée en 1992 et pendant un an Nocky et moi-même avons travaillé comme des forçats. Vous comprendrez que limités économiquement, il nous semblait plus judicieux de consacrer nos fonds au strict nécessaire. En 1993, nous avons adopté le nom Fest'Africa, mais tout le travail d'organisation reposait sur nos épaules: de la logistique au secrétariat, en passant par le marketing et la gestion. Jusqu'en 1998 - date d'arrivée de Franklin - nous composions avec les passages de stagiaires et nos propres compétences. Pour répondre précisément à votre question, je dirai qu'à ce jour Nocky est le directeur artistique et co-organisateur du Festival, ce qui fait de moi une co-organisatrice et secrétaire générale.
En quoi Fest'Africa est-il novateur ou se distingue-t-il des autres Salons du livre africains ?
Dès le départ Fest'Africa a emprunté la voie de la pluridisciplinarité avec la littérature au sommet de la pyramide. D'une année sur l'autre, les disciplines variaient, bien que nous prenions soin de conserver une certaine alternance entre la littérature, les arts plastiques, le théâtre, le conte et la musique. En 1999, par exemple, nous organisions les premières Rencontres cinématographiques africaines. En dépit du souhait de réitérer l'expérience, nous regrettons de ne pouvoir le faire en raison de problèmes de subventions liés au fonctionnement du Conseil européen.
C'est ainsi que nous avons pu organiser des ateliers d'écriture destinés aux adultes l'année dernière, en partenariat avec PADPF. C'est d'ailleurs à cette occasion, que Ken Bugul a assuré des ateliers en prison.
Des ateliers d'écriture à l'immersion des écrivains en milieu scolaire, il n'y a qu'un pas.. Fest'Africa joue la carte de l'échange par tous les moyens. Qu'apporte concrètement cette initiative à la littérature africaine ?
Je considère pour ma part, ne vous en déplaise, qu'une action aussi infime soit-elle, qui contribue à mieux faire connaître les oeuvres de nos écrivains, mérite d'être soulignée et amplifiée. Il n'y a pas de petites actions. Pour moi, cette initiative participe du désir de sortir d'une image réductrice de l'Afrique.
Tout commence en 1998, timidement avec deux voire trois collèges. Aujourd'hui, nous en sommes à environ une quinzaine, collèges et lycées confondus. Comment voulez-vous que des adolescents -totalement vierges en matière de littérature africaine - ne soient pas curieux de découvrir un univers différent, des thématiques quelquefois universelles mais traitées avec un sens du rythme, un style différent ? Convaincre les professeurs et les documentalistes n'a pas été chose facile, mais avec un peu de persévérance et de bon sens, on arrive à tout. Bien sûr qu'il est agréable de savoir qu'aujourd'hui Mongo Beti et Aminata Sow Fall ne sont plus d'illustres inconnus pour de nombreux élèves..
Fest'Africa, c'est aussi et enfin un Salon littéraire. Quels sont les critères déterminant le choix des auteurs invités au Fest'Africa?
Le choix thématique revient à Nocky, en qualité de directeur artistique. Les désignations sont communiquées et discutées avec les membres du Conseil d'administration. Moi, je suis secrétaire générale.
Nous connaissons l'importance de l'oralité dans la culture africaine. Fest'Africa propose des séances de contes en milieu scolaire. Avez-vous une équipe de conteurs ou adaptez-vous le choix du conteur au thème majeur du Festival ?
L'une des règles de Fest'Africa est justement d'éviter la sclérose. Nous ne disposons pas d'un groupe de conteurs pré-établis. Nous les choisissons en fonction des dossiers que nous recevons et au gré de nos déplacements à travers le monde. A dire vrai, l'arrivée du conte est accidentelle. La troupe de théâtre que nous recevions en 1997 comptait parmi ses comédiens, un conteur. Ce dernier a tellement ébloui les élèves des établissements dans lesquels l'expérience fut tentée que nous avons décidé de la renouveler en structurant cette discipline. Après avoir présenté le projet auprès du Conseil régional afin d'introduire le conte en milieu scolaire, nous avons depuis 1998 un franc succès. A tel point d'ailleurs, que la demande émanant des adultes nous oblige à considérer l'éventualité d'une ou deux séances grand public.
Fest'Africa, ce sont également des ateliers d'écriture organisés dans la région. A qui sont-ils destinés et par qui sont-ils supervisés ?
Les ateliers d'écritures sont destinés aux enfants. Au bout de quelques années et après avoir organisé les séances de contes, nous souhaitions intéresser les jeunes Français de toutes origines à la culture africaine, en sortant du folklore, sans désir de le mésestimer pour autant. Cela passe forcément par la sensibilisation des enseignants. Or, toutes les rencontres que nous proposions étaient plutôt destinées aux adultes. Ces ateliers d'écritures sont supervisés par des auteurs africains. En l'espèce, je citerais Véronique Tadio et Ken Bugul dont les contributions furent remarquées l'année dernière. En revanche, il est vrai que les ateliers pour adultes demandent une organisation et un soutien logistique que nous ne pouvons assumer seuls.
Globalement, les choix sont principalement dictés par l'actualité littéraire - puis viennent nos lectures car nous sommes avant tout de grands lecteurs - et enfin la compulsion des revues littéraires. Nous tenons également à conserver l'esprit de famille Fest'Africa et ne pas négliger nos monuments littéraires dont la présence nous semble capitale. Cette année, nous avons tenu à la présence de Cheick Hamidou Kane et d'Alioum Fantouré. C'est ainsi que ces figures emblématiques de la littérature noire ont donné naissance à la rubrique "Une heure avec..." que nous avons amorcée avec Maryse Condé et Olympe Beny Quenum. Les contacts permanents avec certaines maisons d'édition contribuent à orienter nos choix. Sans compter les entrevues favorisées par nos visites à d'autres salons indifféremment à Abidjan, à Libreville, à Johannesburg ou encore au Zimbabwe. Par exemple, Nocky a rencontré Marie-Céline Agnant au Canada au Festival 'Vues d'Afrique". L'objectif de Fest'Africa est à la fois de maintenir équilibre et la diversité en invitant de jeunes auteurs. Inviter Isabelle Boni Claverie ou Esther K. suggère immédiatement un éclectisme que nous revendiquons..
Sur la trentaine d'auteurs reçus cette année, un dénombre une dizaine de femmes. Alors, hasard de programmation ou désir de parité ?
Déjà un constat, il y a moins d'écrivains femmes. Sans entrer dans le discours de la parité, je pencherai volontiers pour une aspiration à la complémentarité, à l'équilibre. En 1996, le thème du Salon était "Voix et voies de femmes" ' nous avons alors reçu plus de trente romancières parmi lesquelles Aminata Sow Fall et Calixte Bayala.
Le Salon littéraire avec ses nombreux cafés littéraires est tributaire de ses animateurs de débats. De quand date cette formule ? Le choix des animateurs est-il fonction des thèmes ou bien existe-t-il un noyau dur immuable ?
Les cafés littéraires ont vu le jour en 1997. Chaque animateur gère selon son bon vouloir le déroulement du débat qu'il anime. D'aucuns pratiquent la table-ronde tournante, d'autres en revanche optent pour le regroupement d'auteurs à la même tablée.
Avant 1997, les débats étaient d'ordre général. Nous avons graduellement alterné en accordant plus d'espace à la substance des oeuvres, en permettant un dialogue avec l'auteur qui favoriserait les interventions du public. Il existe effectivement un noyau dur d'animateurs. Tout en cultivant la fidélité et la qualité, nous ne sommes pas fermés. Romuald Fonkoua est présent depuis le début. Avec Odile Cazenave, c'est un peu particulier. Invitée pour son ouvrage "Femmes rebelles : naissance d'un nouveau roman africain au féminin", elle n'a plus quitté l'équipe depuis 1996. Boniface Mongo M'Boussa nous a rejoints en 1997 et enfin Alain Ricard nous accompagne depuis trois ans. Bien sûr, en fonction des thématiques, de nombreux animateurs épisodiques nous font le plaisir de leurs éclats.
Compte-tenu de l'appellation Fest'Africa on s'attend à un Festival consacré exclusivement à l'Afrique. Or, cette année vous avez reçu un certain nombre de Caribéens. Doit-on comprendre que le Festival s'étend à la "diaspora" noire ?
Bien sûr. D'ailleurs nous l'avons déjà fait avec Maryse Condé en 1996. Au départ il n'était question que d'Afrique. L'extension s'est faite naturellement non seulement aux Caraïbes, mais avec grand plaisir à l'Afrique anglophone et au Maghreb. Seuls les projets et les échanges importent dans notre philosophie, car la culture n'a pas de limite.
Existe-t-il en corollaire du Salon du Livre une structure d'édition Fest'Africa ?A-t-elle vu le jour avec le projet-phare sur le génocide du Rwanda exposé l'année dernière : "Écrire par devoir de mémoire"?
Cette histoire est assez complexe. Nous nous sommes présentés à "Présence Africaine" avec un projet sur le Rwanda, regroupant des auteurs tels que Boubacar Boris Diop qui a un contrat avec "Stock", Tierno Monenembo qui a un contrat au "Seuil", Abdourahman Wabéri qui était avec "Le Serpent à Plumes", Véronique Tadjo qui n'avait pas de contrat mais dont le roman a finalement été accepté par "Actes Sud". Pour nous, "Présence Africaine" est quand même un symbole. Nous avons rencontré Mme Diop à deux ou trois reprises et envoyé les manuscrits d'auteurs tels que Monique Ilboudo sans contrat maison.
Mme Diop nous a fait part de son intérêt, mais malgré les relances, rien ne bougeait. Les auteurs étaient en résidence au Rwanda. Il aurait été aberrant de ne pas produire d'écrits sur le drame qui avait eu lieu. En conséquence de quoi, nous avons décidé de chercher les fonds nécessaires à la réalisation du but fixé. Finalement, l'objectif a été atteint grâce au soutien inconditionnel de la Fondation de France, aux Éditions du Figuier de Moussa Konaté et à Fest'Africa. Ceci explique l'apparition discrète de Fest'Africa Editions accompagnant les autres. Mais cela n'implique pas que nous nous lancions dans l'édition. Nous ne voulons pas nous éparpiller au risque de nous perdre.
Oui ! Mais enfin comment expliquer qu'avec "Amours de villes, villes africaines" on retrouve à nouveau une coédition Fest'Africa, mais cette fois avec Dapper ?
Ah oui ! Enfin c'est encore une autre histoire Nous avons commandé à un certain nombre d'auteurs une vingtaine de textes mettant en scène des grandes capitales africaines. Les Éditions Dapper nous ont prouvé que leur efficacité est à toute épreuve. Le projet les a séduit et dans la mesure où nous avions travaillé de concert, il semblait naturel que le nom de Fest'Africa figure également sur les couvertures. Rien de plus. Les projets naissent et se développent au gré des contacts. Nous les saisirons aussi longtemps que nous en aurons l'envergure. Mais l'édition n'est pas notre métier.
Quel est le bilan de la neuvième édition ?
Personnellement, je suis quelque peu frustrée par le choix du lieu. La Librairie du Furet est un partenaire solide, mais la maîtrise de l'espace n'y est pas adaptée à notre vision de Fest'Africa. Ce sentiment est partagé par l'équipe autant que par le public. La formule du chapiteau est la meilleure. Elle permet une visibilité des ouvrages. En fait, nous avions le choix entre une place plus petite et excentrée et la librairie dont l'emplacement est tout de même meilleure.
L'année dernière, nous avons enregistré 9.000 passages en quatre jours. Je n'ai pas encore d'estimation pour cette année. Il s'agit d'un accident de parcours, car l'année prochaine nous y aurons remédié. Il est important que ça se passe en un lieu unique. En dehors de cela, nous sommes heureux d'avoir accueilli de nouveaux auteurs. Enfin, la presse nous suit avec régularité. La Voix du Nord n'a jamais autant produit d'articles sur le Festival en quatre jours. Il y a un progrès considérable. Fest'Africa fait désormais partie du paysage culturel de la région Nord-Pas-de Calais. Il n'y a pas de manifestations de ce genre en Europe ou même en France.
Que réservez-vous pour novembre 2002
Des surprises, de nombreuses surprises. Ne gâchons pas le plaisir de la découverte. Cela dit, je peux vous faire part du thème: le sexe dans la littérature. Tout un programme. En parallèle, nous préparons ardemment les dix ans de Fest'Africa prévus en 2003.
Propos recueillis
par Carmen Babéla