L'épreuve carcérale ne semble pas avoir entamé la
détermination et la légendaire beauté d'Henriette Dagri
Diabaté, secrétaire générale du Rassemblement des
Républicains (RDR), opposition libérale.
La sexagénaire, dont l'emprisonnement (elle a en effet purgé un
peine de deux mois à la Maison d'Arrêt d'Abidjan) a donné
lieu à un coup de force des généraux à la retraite
le 24 décembre dernier, modifiant en profondeur le paysage politique
ivoirien. Donnant ainsi un coup d'arrêt à la domination sans
partage de plus d'un demi siècle du Parti Démocratique de
Côte-d'Ivoire (PDCI). L'ancienne responsable scientifique de la Fondation
Félix Houphouët-Boigny (1976-1980), conserve également son
sens de l'humour, remerciant au passage les militaires pour sa
libération. Ce qui ne l'empêche guère de prendre ses
distances avec la junte militaire en sa qualité de numéro 2 de
son parti. Position qui fait de cette dame à l'élégance
discrète et raffinée, l'une des femmes les plus en vue et surtout la
mieux placée en terme hiérarchique au sein d'une grande formation
politique de la place d'Abidjan. |
Comme la parité est dans l'air du temps, on aurait pu s'attendre à ce que le RDR présente deux candidats : un homme et une femme?
Nous avons un seul candidat. Il s'agit d'Alassane Dramane Ouattara.
Ne risque-t-il pas la disqualification si on se réfère à l'article 35 de la nouvelle Constitution ivoirienne soumise à référendum le 23 juillet dernier et qui a été acceptée à une large majorité?
Il y a certainement erreur. Il y a tellement de versions que nous souhaiterions qu'on nous dise celle qui sera retenue par le Conseil Constitutionnel. J'ai entendu des gens affirmer à propos de certains candidats : "Comme un oiseau sur une branche, au moindre coup de vent, il va se sauver pour aller se réfugier je ne sais où...". C'est absurde, puéril et enfantin.
La double nationalité, tous les Ivoiriens l'ont. Du moins nous qui sommes nés avant 1960. Nous étions tous Français. A condition que la nationalité française soit supérieure ou différente d'une nationalité africaine. Alassane Ouattara n'est pas concerné par le fait d'avoir une double nationalité. C'est ce que les gens ne savent pas. Il n'a jamais été qu'ivoirien. Ses parents et grands-parents sont eux-mêmes ivoiriens. Nous avons même les papiers de ses grands-parents, ce qui est rare en Afrique.
Comment expliquez-vous cette exception?
Ils étaient Musulmans. Ils se sont rendus à La Mecque, c'est ce qui explique que nous ayons les passeports de ses grands-parents. Le défaut d'Alassane, c'est d'avoir trop de papiers.
Pourquoi ne retire-t-il pas sa candidature par souci d'apaisement?
Nous ne voulons pas une candidature de remplacement ou d'échange. Ce n'est pas parce que nous avons peur. En temps normal, s'il n'était pas là, je me présenterais sans problème. Il est présent par principe, et surtout parce qu'il est le meilleur, nous le présentons. Nous n'allons pas choisir une candidate pour que la presse puisse titrer : "La première femme candidate à la présidentielle...". Ce n'est pas un jeu.
C'est peut être une façon de vous indiquer que vous avez les qualités et les compétences nécessaires pour briguer la magistrature suprême?
Je les remercie. Il n'y a aucune raison qui puisse empêcher Alassane d'être candidat, sauf arbitraire. Nous nous sommes toujours battus contre l'arbitraire et continuerons de le dénoncer. Nous sommes persuadés que sa candidature sera retenue.
Dans le cas contraire, le RDR serait ainsi absent de la compétition électorale?
Pour nous, il n'est pas question qu'il soit disqualifié. C'est tout ce que je peux dire pour l'instant.
Vous êtes passée en un peu plus d'un an de la première à la deuxième position, avec la création du poste de Président du RDR. Cela ne cache-t-il pas une certaine misogynie? Quel est le taux de représentation des femmes au sein de votre parti?
Les femmes représentent 25%. Nous nous battons pour qu'il y en ait davantage et qu'elles ne se maintiennent pas dans des rôles d'animatrices de manifestions ou de chargées du service d'accueil. Nous souhaitons un quota, parce que nous voulons qu'il y ait un maximum de femmes, même la parité et pourquoi pas plus de femmes que d'hommes...
Ce dernier cas de figure est invraisemblable en Côte d'Ivoire, car les femmes ne représentent que 49% de la population, contre 51% pour les hommes...
C'est une erreur. Ces chiffres intègrent les immigrés venus sans leurs épouses. Si on ne tient compte que des Ivoiriens, ils s'inversent: 51% de femmes contre 49% d'hommes.
Que représente I'ivoirité pour vous?
Un danger et une redoubtable arme mise entre les mains de personnes qui en font ce qu'elles veulent : les intellectuels et la population. Aujourd'hui, il y a des clivages dans la société. On se regarde en plus ou moins "Ivoirien". Cela se résume à la séparation des Sudistes et des Nordistes. Plus vous êtes du Sud, plus vous êtes Ivoirien. Le musulman devient suspect.
Seuls les chrétiens seraient de vrais Ivoiriens?
Pour les concepteurs de cette idéologie détestable, plus vous êtes Akhan, plus vous êtes Ivoirien. C'est une notion xénophobe et raciste. Ce n'est peut-être pas ce que souhaitaient ses initiateurs. Quand on manipule l'ignorance à des fins politiques cela crée des problèmes sociologiques. Il faudra au moins deux décennies pour revenir à la situation à laquelle nous étions auparavant. Je vais vous donner un exemple. Nous avions des amis que nous voyions souvent, aujourd'hui on ne se fréquente plus.
Pourquoi?
Une certaine retenue. Il n'y a plus cette spontanéité d'autrefois. Dans notre génération, nous avons constaté qu'avec nos amis originaires d'autres régions, on ne se voit plus beaucoup. Ce sont des choses regrettables. Je prie Dieu pour que nos enfants oublient vite cela et se remettent ensemble. S'apprécier autrement qu'en regardant le pédigrée, le degré d'appartenance à quoi?
L'attitude des intellectuels est assez paradoxale?
C'est ce que nous constatons. Tous les régimes, même les plus xénophobes, ont leurs intellectuels. Le régime hitlérien a été soutenu par de très grands penseurs. J'ai des amis qui viennent du Congo-Brazzaville où se déroulent des choses abominables. Ils me disent: "Nous n'avez pas l'impression que vous vivez un danger. Si vous n'y prenez garde, vous verrez que vous aurez des problèmes en Côte-d'Ivoire...". Comme on dit chez nous: "Le chien qui a vu la panthère n'a pas la même façon de courir que celui qui ne l'a pas encore vue...".
Pourquoi l'opposition que vous incarnez en cette fin de transition ne dénonce-t-elle pas avec force ces dangers?
Nous n'avons pas accès aux médias publics comme la télévision et la radio. Nos manifestations sont systématiquement sanctionnées. Lorsque nous allons sur le terrain, nous nous rendons coupables d'un délit de popularité. Les gens savent que lorsque le RDR bouge, les gens affluent de tous les côtés. Certains ne veulent pas que nous nous réunissions. Les autres peuvent organiser autant de réunions qu'ils veulent. Dès que nous sortons, cela se remarque. De même que nous avons un délit de faciès, d'habillement (boubou) et de patronymes. Vous vous apelez Konaté ou Ouattara, vous êtes suspectés!
L'ivoirité représente-t-elle la négation de "I'Houphouëtisme"?
Félix Houphouët-Boigny se retournerait dans sa tombe s'il voyait ce qui se passe. Il a été dans la sous-région celui qui a voulu la double nationalité. Il a travaillé à ne pas isoler la Côte-d'Ivoire. Il disait toujours: "On ne peut être une oasis de paix dans un désert de malheurs...". Pour lui, l'ouverture est fondamentale pour le rayonnement de la Côte-d'Ivoire. En tant qu'homme politique, il avait une tendance à l'ouverture, à l'équilibre. Ce pays est composé d'une mosaïque de populations. Il n'y a pas d'un côté ceux qui doivent diriger, de l'autre ceux qui dansent ou servent...
Vous faites-là allusion à l'ouvrage intitulé: "Les Chemins de ma vie"?
C'est un livre que tout le monde a lu. Cette parenthèse doit vite être refermée pour que nous nous ressentions tous Ivoiriens.
Le malaise actuel ne met-il pas en lumière l'absence de politique culturelle ambitieuse face au miracle économique ivoirien des années 70, au point de reléguer au second plan l'essentiel: l'éducation et la culture?
C'est le revers de la médaille. Mais il ne faut pas en vouloir aux "pères des indépendances". Au début des années 60, il fallait mettre en place des éléments qui pouvaient aider à parer à l'urgence: manger, s'habiller, se soigner, s'abriter... Ce faisant, la dimension culturelle qui est effectivement fondamentale a été négligée et aurait pu aider à assurer une transtion démocratique plus adéquate. L'échec culturel de nos politiques n'est pas réservé à la seule Côte-d'Ivoire. Plus un pays a des dispositions économiques, plus l'aspect culturel souffre de négligence. La Côte-d'Ivoire étant un pays moins pauvre que ses voisins, nous avons mis l'accent sur les richesses matérielles, cela a engendré un peu plus de problèmes qu'ailleurs. Cela fait partie de mes préoccupations.
Ce qui frappe, c'est que personne ne parle par exemple de l'utilisation des langues nationales à l'école ou dans la presse (le dioula, le bété, le baoulé, à titre indicatif)?
Cela me ramène dix ans en arrière lorsque j'étais encore enseignante. Dans le mileu universitaire, des colloques ont été organisés sur les questions de langues et d'identités. Nous nous sommes heurtés à toutes sortes de difficultés. Il fallait pour cela créer un Centre d'enseignement, former des enseignants, etc...
Pourquoi avez-vous démissionné du poste de ministre de la Culture?
Je refuse d'être ministre pour l'honneur ou le prestige. J'ai été membre du gouvernement de 1990 à 1993 et j'ai participé au premier gouvernement de transition parce que je pensais qu'on allait pouvoir y travailler. J'ai été rappellée "intuitu personae". Mon parti n'a pas été consulté. En tant que numéro deux d'un parti, je ne peux accepter qu'on fasse appel à moi en me sifflant pour appartenir à un gouvernement. Si j'appartiens à une équipe gouvernementale, c'est pour y travailler honnêtement. C'est ce que j'ai essayé de faire pendant mes deux passages au gouvernement. Je me suis investie pour donner un peu de surface au ministère qu'on m'avait confié. J'aurai pu, dans d'autres circonstances, continuer mais cette responsabilité me rendait moins disponible pour travailler sur le terrain. Je n'ai pas démissionné par orgueil, mais parce que je ne me sentais pas utile au gouvernement.
Refuser de participer à un gouvernement de transition n'est-ce pas préjudiciable à une formation politique comme le RDR?
J'étais seule ministre de mon parti contre six du FPI, six du PDCI et des militaires. Qu'est ce que ma voix pouvait apporter? Simplement écouter ou entendre m'insulter tous les jours? Je ne pense pas que je perde beaucoup de ce point de vue. En revanche, j'ai un peu plus de temps our me consacrer à mon parti et à la réflexion.
Les militaires nous ont libérés de prison, je les en remercie. J'ai accepté de participer à un gouvernement militaire. Sa mission était de venir balayer la maison Côte d'Ivoire? et s'en aller.
Comment les anciens partenaires du Front Républicain (le FPI et le RDR) vont-ils réagir face à la candidature du Général Robert Guéi?
Le RDR n'a pas bougé. Il est resté fidèle à une opposition unie. On ne peut en vouloir à ceux qui en sont partis. Pour l'instant, le RDR reste constant. Parce que nous avons besoin d'un bloc solidaire pour réussir une alternative crédible.
La Déclaration de Yamoussoukro du 9 août, relative à la création d'un gouvernement d'union nationale quel que soit le vainquer de l'élection présidentielle du 22 octobre... Est-ce à vos yeux la meilleure formule pour préserver la paix en Côte d'Ivoire?
On ne doit jamais oublier l'intérêt national. S'il faut passer par-là pour créer les conditons qui permettent à tous les partis politiques de se retrouver pour travailler ensemble, c'est une bonne chose.
Des partis politiques traversés par des divergences idéologiques peuvent-ils mettre en oeuvre une politique économique durable?
C'est ce que nous avons essayé avec le premier gouvernement de transition.
Avec les résultats que l'on connaît?
Parce que les règles du jeu ont été changées en cours de route. Il n'y a plus de différences très grande entre un parti libéral et un parti socialiste. Un consensus est possible.
Le RDR va-t-il présenter davantage de femmes aux législatives quand on sait que dans la précédente Assemblée dissoute par le Comité national de salut public, le 24 décembre, vous n'y aviez qu'une seule femme sur treize députés RDR?
Le président de notre parti est agacé par le fait qu'il n'y a pas autant de femmes qu'il aurait souhaité. Chaque fois que nous constituons une délégation, il pose la question de savoir: "Où sont les femmes"? Il est sensible à l'idée qu'elles doivent être de plus en plus nombreuses. S'il doit choisir entre un homme et une femme, la discrimination positive va certainement s'exprimer en faveur des femmes.
Parce qu'il espère que les femmes lui poseront moins de problèmes?
C'est un homme ouvert. Il juge quelqu'un sur ses compétences. Il a les qualités, l'expérience et l'ouverture nécessaires. Après avoir fréquenté tant de pays et vu ce qui s'y passe, il représente un trésor qu'on ne devrait pas négliger.
Vous avez écrit un livre de référence sur la Marche des femmes sur Grand-Bassam (1949). Comment jugez-vous l'évolution actuelle des femmes ivoiriennes?
Je suis triste parce que je considère que nos femmes n'ont plus de courage. Elles ont pris la relève quand nos hommes étaient en prison. Elles ont agi exactement comme les hommes. Ma mère faisait partie des 4.000 marcheuses de Grand-Bassam. Elles étaient en colère parce que leurs enfants, leurs maris et leurs frères étaient en prison. C'est la vocation de la femme : défendre la société. Une femme qui divise n'est plus crédible. Parce qu'elle donne la vie, elle doit toujours rassembler.
Les femmes politiques sont-elles différentes de leurs collègues masculins, selon-vous?
Quand on me dit que je suis une femme politique, je cherche derrière moi qui est cette femme politique. J'ai des convictions qui sont celles que je reconnais dans les femmes, à savoir : le rassemblement, la patience, la protection de la vie, l'union. Si ces qualités peuvent être défendues par toutes les femmes, dans ce cas-là je suis d'accord avec vous que les femmes peuvent aider à apporter leur façon particulière de concevoir la politique et même la société d'une façon générale. C'est pour cela que nous nous battons pour la parité homme-femme, parce que nous pensons que les femmes apportent une autre appréciation et que l'équilibre peut venir effectivement du regard masculin et féminin ensemble. C'est ainsi qu'est conçue la vie.
Propos recueillis à Abidjan
par Florence Dini