Aïcha Diouri:
La mauvaise passe
Aïcha Diouri est une collégienne de 16 ans. Elle vient de publier un livre aux éditions Khoudia du Centre Africain d'Echanges Culturels (CAEC). C'est peut-être à cause de son âge que ce livre "La mauvaise passe" est le premier de la collection intitulée "Fruits verts". Ce livre est préfacé par Lilyan Kesteloot, Professeur et Critique Littéraire à L'université de Dakar. C'est dire que ce livre est appelé à un certain retentissement, surtout que la radio et la télévision l'ont présenté. |
Ce livre est le cri du coeur d'une jeunesse devant tout le mal qui est fait aux adolescents abandonnés par leurs parents et la société. Souvent les parents les considèrent comme la honte de la famille et la société les regarde comme des délinquants devant qui il faut brandir lois, répression, et même parfois prison. C'est l'histoire toute simple d'un Alioune, c'est-à-dire d'un gosse comme il y en a des milliers au Sénégal. L'inconscience des parents éclate dès la naissance d'Alioune, «qui, était le dernier d'une famille de douze enfants et sa venue n'avait pas été programmée par ses parents qui n'avaient aucun besoin de cette charge supplémentaire en plein milieu de la crise que traversait le pays et ne les épargnait point. Arrivant comme un boulet de canon au beau millieu d'un plat de riz ... Indésirable depuis sa naissance, il se trouvait donc en bute à la haine de ses frères et soeurs, plus méchants les uns que les autres.» Et Alioune de suivre la filière de la délinquance: fuite de la maison, vie dans la rue avec des gosses qui lui apprennent à voler pour manger puis à voler de l'argent. Puis le voilà reçu, plutôt rudement dans le gang des "Rasta bou Mack" (les grands rastas). Qui étaient-ils?
En conclusion Aïcha Diouri s'en prend à «ces parents irrésponsables, inconscients, qui ne trouvent rien de mieux que de faire des enfants à la pelle pour les abadonner ensuite à la rue. Ces parents sont donc des criminels qu'il faudrait châtier à leur juste mesure.»
Ce cri du coeur d'une jeune fille est malheureusement étouffé par l'obscurantisme dans lequel vit toute une partie de cette masse sénégalaise, grégaire à souhait. Un livre dont l'écriture est plaisante. Cela nous promet une moisson abondante de la part d'Aïcha Diouri.
C'est cette Aïcha Diouri qui provoque la curiosité des jeunes sénégalais et des média que nous avons recontrée. Elle nous précise de prime abord qu'elle est sénégalaise mais d'origine marocaine. Elle est élève de lère au collège du Sacré-Coeur de Dakar.
Comment se fait-il que vous écriviez un livre à votre âge?
Cela fait longtemps que j'écris et lis beaucoup. Je pense que mon assurance provient de ce que j'ai beaucoup d'imagination, cela m'a aidée. Quand les idées se bousculent dans ma tête j'ai envie de les mettre par écrit.
Avez-vous personnellement connu un "Alioune", le héros de votre roman?
Non, je n'en ai pas connu spécialement. Mais je vois comme tout le monde les enfants qui traînent dans la rue, qui mendient aux feux de signalisation et ailleurs. Cela m'a toujours choquée de voir ces enfants dont personne ne s'occupe, que personne ne surveille alors que cela devrait être le contraire. On laisse donc ces enfants faire ce qu'ils veulent sans se rendre compte de ce qui est bien ou mal. Et naturellement les enfants ainsi abandonnés glissent vers la délinquance.
Etes-vous entrée dans une maison d'éducation surveilée avant d'écrire votre livre?
Non, je n'ai pas effectué cette visite. J'ai décrit ces maisons telles que je les vois de l'extérieur. Mais en fait on en parle tout le temps, si bien qu'il n'est pas difficile de parler de ce milieu de la rééducation où l'on mêle les études, le travail manuel comme le jardinage ou l'apprentissage d'un métier. Mais pour les jeunes drogués il s'agit d'abord de leur faire passer le goût de cette drogue. C'est là qu'il faut rendre hommage au personnel d'encadrement et de direction de ces maisons. Il leur faut beaucoup de patience et de dévouement.
Mais comme ces maisons ne peuvent pas s'occuper de tous les enfants délinquants, je souhaite que toutes les bonnes volontés travaillent autant que possible à la réhabilitation des jeunes qui ont choisi de renoncer au mauvais chemin.
Alioune, votre jeune héros, c'est d'abord une famille inconsciente. Comment peut-on changer cet état d'esprit dans la société sénégalaise?
Il est possible d'arriver à changer l'esprit des gens, mais cela prendra beaucoup de temps. Il faudrait non seulement convertir les parents mais l'ensemble de la société. Les parents souvent s'en remettent à Dieu et disent que ces enfants viennent par la volonté divine qui s'occupera certainement d'eux. Et le résultat de cette inconscience est parfois terrible. Or je pense que Dieu veut que l'on ait seulement les enfants que l'on peut éduquer et entretenir. Paradoxalement ce sont les ménages qui sont pauvres qui ont le plus d'enfants. Comment voulez-vous que cela ne tourne pas à la catastrophe?
Pensez-vous que la planification familiale peut aider à programmer les enfants selon les possibilités?
Il y a certainement urgence que les familles comprennent qu'elles ont une responsabilité énorme chaque fois qu'un enfant vient. C'est pour cela que la planification des naissances a toujours existé dans la tradition africaine. En plus il y a la planification moderne. Il faut donc prendre dans ces deux genres de planification ce qu'il y a de bon. Il faut surtout que les moyens d'information s'y mettent. On ne peut imposer la planification familiale mais on peut obtenir l'adhésion des parents par la persuasion. Ceci me semble absolument nécessaire si l'on veut s'en sortir.
Vous présentez les soeurs d'Alioune ainsi: «C'étaient de belles filles en âge de se marier, hypocrites et paresseuses, s'occupant de choses futiles et sans aucun esprit d'intiative.» Vous connaissez des jeunes filles qui répondent à cette description?
Il y a malheureusement encore beaucoup de filles qui sont comme cela. Cela vient de leurs habitudes et du fait que les parents ne les secouent pas. Elles restent là désoeuvrées, attendant le mari. Il arrive aussi qu'il y ait des garçons répondant à cette description. Pour les filles, l'éducation dans la maison compte beaucoup. En outre les filles sont très influençables par leurs fréquentations. Il suffit de voir comment les jeunes filles réagissent à la mode. Parfois aussi tout cet environnement leur forge un mauvais caractère. Cependant de plus en plus la jeune fille comprend qu'il faut qu'elle ait des initiatives selon son âge et sa condition. Les difficultés de la vie ouvrent les yeux à beaucoup.
Que pensez-vous du mariage?
Je n'y pense pas. Je serais d'ailleurs trop jeune pour y penser. Ce qui m'importe c'est de terminer mes études. D'ailleurs, le mariage ne me semble plus aussi indispensable qu'il y a 10 ou 15 ans. En tout cas pour moi, après mes études je veux pouvoir m'assumer et être indépendante financièrement et n'avoir besoin de personne.
Quelle a été la réaction de vos parents devant votre livre?
"La mauvaise passe" a été d'abord lue en manuscrit par mes parents qui l'ont beaucoup aimé. Ils ont été surpris et étonnés de voir qu'à 15 ans je pouvais écrire des choses aussi crues et les décrire. Je leur en suis reconnaissante. Je dis aussi un grand merci à Mme Lilyan Kesteloot qui a bien voulu préfacer mon livre, lui donnant encore plus d'importance.
Espérons qu'après son bac Aïcha Diouri nous donnera l'occasion de parler de son second livre.
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