Lydie Dooh Bunya auteur de "la Brise du jour" parle de l'amour
Lydie Dooh Bunya, une camerounaise qui aime écrire et dont les éditions Clé viennent de publier "La Brise du Jour", roman d'amour autobiographique, est une féministe convaincue et effective.
Il y a des amours dont on a nulle envie de guérir...ça tout le monde le sait. Mais lorsqu'on n'est pas bloquée par une phrase à mettre derrière l'autre, et qu'on a un talent qui va au-delà des formules de politesse, rien, ni personne ne peut nous retenir lorsque le stylo commence à démanger sérieusement. C'est ce qui est arrivé à cette camerounaise de 40 pluies passées. Le premier roman publié aux Editions Clé à Yaounde focalise à l'obsession, les lambeaux de souvenirs grossis de l'amour malheureux de Lydie Dooh Bunya. Est-ce là un moyen d'exorciser un mal qui la poursuit dans sa vie d'adulte? Elle s'en défend. L'explication, on peut la trouver dans cette maladie qu'elle a contracté depuis l'enfance et qui s'appelle la boulimie infernale d'écrire. Et comme il fallait bien commencer par quelque chose, autant s'embarquer dans ce qu'elle connaissait le plus au monde: son roman-photo personnel. L'auteur que nous avons recontré, exaltée par son expérience et prête à recommencer, nous assure que les deux qui suivront (elle est en train de les torcher) sont d'une autre trame. Mais ne comptez pas sur moi pour déflorer l'aventure. Je me contenterai de vous dire que Lydie Dooh Bunya à est née à Douala en 1933, qu'elle épouse Quan Samé (se prononce couan Samé) et qu'elle est l'heureuse mère de six enfants dont les âges varient entre 20 et 8 ans. Elle a fait ses études primaires et secondaires à Douala et c'est en France qu'elle a subi sa formation de sage-femme. Frustrée très tôt de ne pouvoir faire des études médicales poussées, elle en voudra toute sa vie à son père qui a refusé de financer ces études. Son diplôme en poche, elle n'a aucune envie de pratiquer ce métier. Elle reprend le chemin de l'école pour s'essayer en chimie. Mais n'étant pas boursière, elle aura du mal. Elle entreprend des études de lettres qu'elle ne terminera pas non plus. A la même époque, elle travaille pour l'ORTF, et envoie des articles à la Nouvelle Agence de Presse. Avec une copine S. Bella, elle crée un journal Kos (perroquet) qui n'a pas survécu au premier numéro. Sa fringale d'écrire lui remonte de très loin. Aussi longtemps qu'elle se souvienne, elle a écrit des nouvelles, des articles, des romans pour son plaisir personnel et voilà qu'elle publie celui-ci pour le nôtre. |
D'ordinaire les Africaines, sans doute par pudeur sont avares de confidences en ce qui concerne leur vie sentimentale. Si bien qu'on s'est habitué à croire que l'amour est une invention des Blancs. Mais voilà qu'avec votre roman "la Brise du Jour", vous nous rassurez, car on vit un merveilleux roman de psychologie amoureuse, un amour malheureux puisqu'il se termine mal.
Les Africaines savent aimer et croire au grand Amour; mais elles ne le manifestent pas. C'est une question d'étiquette. Entre 16 et 20 ans c'est la période la plus vulnérable. Après je ne sais pas... Mais l'amour qu'on éprouve pour quelqu'un n'est pas une tare, on ne doit pas en "avoir honte".
Votre livre est écrit avec tellement de sensibilité qu'on aurait tendance à croire qu'il est autobiographique. Je me trompe?
En effet, il est profondément autobiographique. A vrai dire c'est une histoire qui a empoisonné les 20 premières années de mon existence et qui a longtemps collé à ma peau. J'ai une seule fille parmi mes six enfants et je ne souhaite pas qu'elle soit malheureuse comme je l'ai éte à cause des liens de parenté qui restent toujours à prouver.
Le mariage entre cousins même du second degré est-il toujours considéré comme un inceste aujourd'hui?
Même très éloignés, des cousins ne doivent pas se marier. C'est toujours valable; avec la différence que certains passent outre. Je vous raconterai l'histoire de cette camarade d'enfance qui était "fille naturelle". Elle était couverte de grandes plaques de je ne sais quels espèces de boutons qui lui donnaient une peau de crocodile et aucun médicament n'a jamais pu la guérir jusqu'à présent. Savez-vous que tout le monde attribue cette maladie incurable au fait que sa mère ait eu des relations coupables avec un certain cousin! J'ai une amie qui contre vents et marées a épousé un cousin de second degré, jusqu'à présent on lui crée des problèmes.
Qu'une Africaine parle tout haut de son amour, puisque vous l'avez crié sur 345 pages, c'est nouveau. Mais ce qui est surtout nouveau c'est également de remettre le pater familias en cause. Ça aussi vous l'avez fait. N'avez-vous pas l'impression de trahir sa mémoire en le jugeant aussi sévèrement?
Mais il était comme ça, mon père, il fallait le connaître. Je ne pense pas trahir quelque chose, ni quelqu'un, dans la mesure où il assumait sa personnalité et qu'il ne s'en cachait pas. Je n'ai pas pardonné beaucoup de choses. Non pas à cause de ce mariage qu'il a empêché. Je dois d'ailleurs dire à sa décharge que c'était surtout ma mère qui s'y était opposée. Mon père je ne l'aimais pas pour la simple raison que je n'avais pas de contact affectif avec lui. J'ai toujours vécu avec mon grand-père. En plus il a toujours eu une préférence pour ma soeur. Il est difficile de rendre à quelqu'un une affection qu'il ne vous témoigne pas. Beaucoup de pères sont comme lui. Mais je crois, avec un peu de recul, qu'il a voulu que son aînée, qui n'était pas un garçon hélas, soit élevée avec une certaine rigueur pour être l'exemple de la famille. Je ne sais pas s'il a réussi son exemple, toujours est-il dit que lui le poussait à l'excès. "Après tout" dit-elle après un silence où on la voyait perdue dans ses pensées, "je me demande, qu'est-ce que ça aurait pu être, avec le caractère que j'ai". Elle rit de sa propre remarque.
Vos rapports sont-ils devenus normaux par la suite?
Ce que je raconte là sont des souvenirs d'enfance... C'était tout de même mon père vous savez. Quand il est décédé, j'avais tellement de chagrin que j'ai perdu instantanément tous mes cheveux.
A part le héros que vous, l'héroïne, aimiez passionnément, il y a un autre personnage qui a joué un rôle important dans votre vie.
Si, grand-père. J'ai grandi avec lui, et j'ai toujours pensé que c'était lui mon père. J'ai profondément vénéré mon grand-père. Mourir chez nous sans laisser de fils est une malédiction. Et lui que j'aimais tant n'avait qu'une fille, ma mère. J'ai donc voulu par ce livre, même si ce n'est pas le héros principal, il est mort trop tôt pour que je puisse écrire tout un livre sur lui, l'immortaliser, lui donner ce fils qu'il n'a jamais eu.
J'ai relevé une cascade de morts dans ce livre, est-ce par goût du morbide ou comment l'expliquez-vous?
Pour cela, je n'ai rien inventé, ça s'est passé comme je l'ai dit. Mais il faut dire que compte-tenu de la mortalité qui existait, il n'y a rien d'étonnant à cela.
Il y a une accusation grave contre les médecins, chez vous. Leur conscience professionnelle est fortement mise en cause.
C'était comme ça à cette époque, et je n'ai pas l'impression que cela ait tellement changé. Leur conscience professionnelle se situe là où j'ai dit "au niveau de la braguette". Un jour nous avions, ma soeur et moi, accompagné ma mère à l'hôpital. Elle tremblait de fièvre, vous croirez qu'on lui offrit un siège, pensez-vous! Et lorsque la malheureuse s'est appuyée sur le bureau du médecin parce qu'elle ne tenait plus debout sur ses jambes, celui-ci l'a grondée comme un "poisson pourri".
Vous préférez garder votre nom de jeune fille en guise de nom d'auteur est-ce là une prise de position quelconque ou un choix qui n'est pas à interpréter?
Je suis féministe, je ne m'en cache pas. Et je dois dire que j'ai épousé un homme et pas son nom.
Qu'est-ce qu'une féministe africaine et comment l'êtes-vous devenue?
Vous savez ma mère a tellement souffert d'être une fille unique que cela a dû rejaillir sur moi. Lorsque mon père est mort, il avait beaucoup de terres. Mais parce que c'était une femme, les cousins germains de ma mère se sont accaparés tout l'héritage. Il ne leur a pas suffi de vendre les terres de ma mère, ils ont creusé des tranchées pour leurs fondations, jusque dans la maison de ma mère...Je n'en revenais pas en rentrant un jour de voir mon lit couvert d'une montagne de sable. Ce sont là des choses qu'on n'oublie pas.
Comment assumez-vous votre féminisme dans la vie quotidienne?
J'ai six enfants dont une seule fille. Eh bien, je les ai tous élevés exactement pareils. C'est-à-dire qu'aucun de mes fils ne viendra dire à sa soeur, "recouds-moi ce bouton", jamais. Ils savent tous faire les ourlets de leurs pantalons, raccommoder, repasser. Chacun a son tour de vaisselle, son tour de ménage... Sinon vous vous imaginez un peu, ma fille et moi serions devenues les véritables esclaves des 6 hommes de la maison.
Quel est le message de ce livre?
Qu'on laisse les enfants vivre leur vie, assumer leur sexualité sans brandir l'inceste, ou autres préjugés moraux pour les frustrer.
Retour à la page de Madame Dooh Bunya | Autres interviews publiées par AMINA | Retour à la liste générale des auteurs | Retour à la page d'accueil | Retour au haut de la page