Fatoumata Kane est celle que nous nous plaisons à appeler une "Africaine sans frontières". En effet, elle est sénégalo-malienne de naissance, burkinabè par le mariage et brazzavilloise eu égard à son lieu de résidence actuel. Où qu'elle se trouve, sa plume ne la quitte jamais. En deux ans, elle a déjà publié trois ouvrages: "Plaidoyer" (2007), un recueil de nouvelles, "Senteurs terrestres" (2008), recueil de poésies, et un roman, "Mirages" (2008), tous parus aux éditions Le Manuscrit. Elle a aussi conçu et réalisé un CD ROM, "Mémoires d'un historien : Joseph Ki-Zerbo" sous l'égide du Centre d'études pour le développement africain (CEDA) et de l'Université de Ouagadougou (RESAFAD). Elle a fait quelques séjours en Europe, notamment en France. Elle s'est trouvée doublement interpellée par les départs massifs des Africains vers l'Europe et par la vie des immigrés dans ce soi-disant "Eldorado". |
Après "Plaidoyer", votre premier texte dans le genre de la prose, où vous explorez les difficultés des femmes, les défis qu'elles ont à relever dans leur foyer, vous publiez à présent un roman. Comment s'est effectué ce passage de la nouvelle au roman ?
L'écriture est un exercice vital pour moi et l'appel de la feuille blanche est aussi irrésistible qu'incontrôlable; tous ceux qui écrivent peuvent vous le confirmer. Je trouve plutôt agréable de changer de genre.
Le thème, cette fois, est différent, mais les questions liées à la femme restent toujours présentes dans votre œuvre, vous évoquez le mariage forcé, la polygamie et ses causes, ses avantages et ses inconvénients. Vous êtes plutôt féministe ?
Si souhaiter l'épanouissement de la femme, c'est être féministe, alors je le suis profondément. Le drame des femmes c'est qu'elles sont souvent elles-mêmes partie prenante des violences subies, soit par peur, soit par inconscience et inconsistance, et je pèse mes mots. Nous ne pouvons pas mettre tous nos maux sur le dos des hommes sans chercher la solution de nos problèmes en nous et trouver les ressources qui nous permettront de sortir la tête de l'eau.
Dans le cas de Souhaibou, c'est sa stérilité qui pousse son mari à prendre une seconde épouse. Souhaibou et Racky, sa coépouse, font penser à Léa et Rachel, les épouses de Jacob. Cependant Souhaibou n'a pas eu autant de chance que Rachel qui avait finalement pu donner des enfants à son mari. Vous montrez comment cette épreuve qu'est la stérilité pour une femme n'est pas insurmontable.
Comme toute difficulté ou contrariété, elle est bien sûr surmontable. Il est évident que nous souhaitons laisser une trace de notre passage sur terre à travers notre progéniture mais les actes que nous posons sont aussi très importants. Rien ne sert de se morfondre sur ce sur quoi nous n'avons aucune emprise. Chaque action porteuse de fruits que nous posons en assistant les autres peut humainement nous apporter autant de joie que la procréation.
Comment trouvez-vous l'interprétation de votre héroïne concernant la polygamie : elle dit que c'est "la volonté de Dieu". Est-ce pour montrer comment la société et les hommes en particulier détournent la parole sacrée pour faire accepter une chose qui en réalité n'a pas été dictée par Dieu ?
C'est ce qui est imposé aux femmes comme une vérité absolue, qui ne peut souffrir aucune contradiction; comme lorsqu'on lui fait accepter que son paradis dépend de la satisfaction de son conjoint. Ce sont des sentences qu'elle a acceptées depuis des lustres. Qui peut l'en défaire si ce n'est elle-même ? Mais c'est bien plus facile pour elle de mettre toutes ces pesanteurs subies comme la volonté de Dieu. Pourtant, nous savons tous que Dieu est avant tout Amour et Miséricorde.
Parlons de l'immigration, thème central de votre roman intitulé "Mirages". Dès le titre, vous montrez combien l'entreprise de tous ces innombrables jeunes gens est vouée à l'échec: pour ceux qui ne meurent pas en pleine mer ou ne sont pas pris par la police, c'est tout de même une vie misérable qui les attend. Et très souvent la famille restée au pays ignore leurs conditions de vie en Europe...
C'est une évidence depuis des décennies que l'immigration occidentale a atteint ses limites et que la tentative de migration clandestine est une pure aberration. Nul, aujourd'hui, ne peut dire qu'il ne sait pas ce qui l'attend sur cette voie scabreuse vers l'inconnu. Pourtant, chaque jour des centaines de jeunes se jettent sur cette voie en espérant fuir la misère économique, en rêvant de richesse fantasque pour finir engloutis au fond de l'océan. C'est une tragédie.
Vous dénoncez également l'attitude de ces familles qui encouragent leurs enfants à partir au péril de leur vie. Ils sont plus préoccupés de recevoir des mandats, des euros en provenance de L'Europe, que de la vie que mènent leurs enfants là-bas...
Nous ne voyons hélas ! que cela sur le continent, des familles meurtries par la pauvreté qui mettent tout leur espoir, la résolution de tous leurs problèmes sur les fragiles épaules de jeunes à peine sortis de l'adolescence et qui dans un acte de bravoure et de désespoir absolus se jettent à la mer en espérant réaliser leurs propres fantasmes et les rêves de toute une famille. Ceci est une violence morale terrible.
Malgré tous les efforts de Souhaibou et de son mari pour convaincre Samba et ses parents qu'il est possible de se construire une vie infiniment sinon aussi meilleure dans leur propre pays, ils ne sont pas entendus. Est-ce que votre livre ne risque pas le même sort ? Pensez-vous que votre message sera entendu ?
J'espère que mon livre sera lu et mon message entendu. J'espère avoir la possibilité d'en faire la promotion au niveau des ministères de l'Education nationale afin qu'il puisse être disponible sinon dans les programmes scolaires du moins dans toutes les bibliothèques scolaires.
Revenons aux femmes, ce sont elles qui se battent, qui se lèvent vraiment pour faire bouger les choses, jusqu'à se faire élire Maire de la ville. L'avenir de l'Afrique est donc entre les mains des femmes ?
D'une certaine manière oui. Je suis convaincue que les femmes peuvent faire évoluer les choses lorsqu'elles se regroupent et qu'elles arrivent à se défaire des mesquineries inopportunes et des querelles de leadership absurdes qui mènent au nombrilisme et aux guerres intestines et fratricides où tous les coups sont permis. Elles sont certainement plus courageuses que beaucoup d'hommes. Elles ont un rôle fondamental à jouer dans notre société et elles ne doivent plus s'autocensurer et se priver d'être actrices actives et positives de leur temps.
Plusieurs questions soulevées dans votre roman ne sont que succinctement développées puisque le roman ne fait que 80 pages. C'est comme si vous l'aviez écrit dans l'urgence. Qu'est-ce qui urgeait pour vous ?
Je ne l'ai pas vraiment écrit dans l'urgence, mais je ressentais tout de même l'urgence de dénoncer ce phénomène du mirage de l'émigration. Je crois que j'ai eu un peu de mal à me départir du style de la nouvelle. Je pense tout de même avoir écrit l'essentiel de ce que je voulais dire sur ce sujet.
Parlez-nous de vos futurs projets, vos prochaines publications.
J'ai plusieurs projets en cours, un nouveau roman mais surtout un essai sur les femmes africaines, un projet de création d'une maison d'édition et de promotion de la littérature africaine...
Un dernier mot ?
Je paraphraserai une de nos aînées, la Professeur Adame Ba Konaré: "Les femmes doivent impérativement se dire qu'elles ont d'autres rôles à jouer auprès des hommes que de les séduire". C'est à mon avis le premier pas vers l'estime de soi et l'émancipation véritables.
Propos recueillis
par Liss Kihindou