Mme Maguy Rashidi-Kabamba nous parle de son roman:
"La dette coloniale"
Du 13 au 19 octobre, l'ONG Coopération par l'éducation et la Culture organisait en collaboration avec le Centre culturel néerlandais Elzenhof, la troisième édition de la Foire du Livre africain à Bruxelles qui présentait plus de 3.000 titres sélectionnés dans la littérature africaine et antillaise. |
Evénement commercial certes mais surtout lieu de dialogue, d'ouverture aux langues et cultures d'ailleurs, rencontre avec les auteurs d'Afrique et des Antilles mais aussi avec ceux d'Europe qui témoignent de ces cultures et existances plurielles inconnues et méconnues.
Evénement culturel aussi qui, au travers des recontres d'auteurs, des animations littéraires et musicales, animations pour enfants, a su donner la part belle à toutes ces voix multiples qui enrichissent notre rapport au monde.
Les femmes étaient présentes, venant du monde du
théâtre, de la linguistique, de la poésie, du roman. Parmi celles-ci, Maguy Kabamba d'origine zaïroise, professeur de français et traductrice de français, dont la première oeuvre est porteuse d'une carrière prometteuse.
La trame de son roman: exposer à travers la vie de jeunes immigrés zaïrois attirés par le mirage des grandes métropoles européennes, les tentativres malhonnêtes ou honnêtes pour tenter de survivre et surtout pour tenter de faire croire à tous ceux qui sont restés au pays que ce mythe existe. Portrait de société, de moeurs, de valeurs.
Comment êtes-vous arrivée à la littérature?
J'ai fait des humanités littéraires et j'ai eu la chance de parcourir la littérature française du Moyen-Age au XIXe siècle et un peu la littérature africaine. A l'Université de Lubumbashi où j'ai obtenu un graduat en Pédagogie appliquée, option français-latin, j'ai également eu l'occasion d'étudier la littérature africaine et française et celle qu'on appelait la littérature étrangère, c'est-à-dire russe, anglaise, américaine, espagnole. J'ai travaillé quatre ans comme enseignante et j'ai ensuite trouvé un emploi qui n'avait rien à voir avec la littérature, dans une société sud-africaine. En 1985, j'ai pris une inscription en Belgique et je suis allée à l'école d'inteprète internationale à Mons où j'ai commencé le programme de traduction français-anglais-espagnol pendant deux ans avant d'aller au Canada où j'ai terminé mes études. J'ai donc toujours été en contact avec l'écriture.
Pourquoi ce titre: "La dette coloniale"?
"La dette coloniale" est une formule connue de beaucoup de Zaïrois et qui symbolise toutes les démarches honnêtes ou malhonnêtes qu'entreprennent les Zaïrois pour pouvoir survivre dans les pays occidentaux. Dette, car ils estiment que les Occidentaux leur doivent quelque chose pour avoir pillé leur pays pendant des décennies. Une des questions soulevées dans son roman est la suivante: "Est-ce la meilleure façon de faire payer la dette coloniale"? Certains personnages pensent que oui, d'autres pensent qu'il faudrait se développer c'est-à-dire acquérir des connaissances par les études, aller appliquer ces connaissances dans nos pays, les développer, donc faire payer la dette coloniale de manière positive comme le Japon par exemple qui s'est redressé après tous les bombardements de 1945 et qui aujourd'hui est devenu une puissance mondiale. C'est la meilleure façon de faire payer l'ennemi.
Parlez-nous un peu de vos personnages
Le principal personnage c'est Mutombo. Il vient de terminer ses études à Lubumbashi et doit chercher un emploi. Dans l'entre-temps, sa mère rêve que son fils va faire un long voyage. Or, d'après la croyance, rêver d'un long voyage présage la mort. Voilà la mère qui s'empresse chez un féticheur qui lui dit que son fils ira dans le pays des Blancs. La mère se demande comment il y survivra. Le féticheur est incapable de voir l'avenir. L'image qui se présente est sombre. Aller en Europe, accéder au bonheur matériel, toutes ces images mirobolantes, c'est le rêve de tout le monde. Les parents de Mutombo vont vendre leur maison mais ils ne vont pas le dire à leur fils. Il l'apprendra quand il arrivera à Kinshasa où il va chercher son passeport. Là entre en jeu un autre personnage secondaire qui s'appelle maître, qui est son cousin et qui ira également en Europe. Je parle dans mon livre de "Kinshasa la Belle", qui est devenue "Kinshaha la Poubelle" de la corruption à tous les niveaux. Nos deux amis vont arriver à Bruxelles. Le Monsieur qui a aidé le père de Mutombo à obtenir le visa a un frère qu'on prénomme "Grand-Henri". On sait, dans sa famille à Kinshasa, qu'il est professeur d'Université, qu'il est marié et père de deux enfants. Quand les deux jeunes gens arrivent, ils sont accueillis par "Grand-Henri" qui est très gentil, qui les accueille et qui les emmène chez lui. Surprise: Monsieur est marié mais il a épousé une Antillaise pour avoir la nationalité française, il n'a pas d'enfants, il n'a jamais fini ses études. Mais comment se fait-il qu'il envoie chaque fois des photos avec ses enfants pour montrer qu'ils grandissent? C'est simple. La cousine de sa femme est mariée et a deux enfants qui posent pour les photos. Il prétend que sa femme travaille comme coiffeuse la nuit, mais en fait elle est prostituée. Ils vont découvrir petit à petit l'autre face de l'Europe, mais aussi des étudiants décents qui veulent retourner chez eux. A Paris, ils découvrent la vie des SDF qui font croire au Zaïre que leur vie n'est que luxe.
Sept ans après, Mutombo est le seul qui reste décent, intègre, mais il a cinq diplômes et dans sa Commune, on refuse de lui donner la carte, car il est étudiant de carrière. C'est un peu le bilan de tout ce monde. L'histoire se termine par une impasse et je termine par une question: "Quel est notre avenir ici en Occident?" Les Zaïrois appellent l'Europe Mikili et moi je pose la question: "Si ces gens savaient que Mikili n'est que Nihilisme"...
C'est un peu un portrait d'une société dans laquelle vous peignez des personnages qui évoluent, échouent. Vous employez un style avec des mots lingala, swahili, un style sobre, candide et à la fois réaliste puisque reflétant la candeur des Zaïrois vivant en Belgique et par extension dans d'autres pays d'Europe.
Le style est très simple, un peu la synthèse de l'oral et de l'écrit, avec beaucoup d'expressions lingala et swahili pour mieux rendre et mieux traduire certaines choses qui sont mieux dites dans la langue.
Vous avez d'autres projets en cours?
Je suis en train d'écrire un roman. J'aime beaucoup le roman car de tous les arts écrits, c'est celui qui rend et peint le mieux la vie sociale. Ce prochain roman s'intitulera: "Et la femme se recréa". Je parle de femmes africaines immigrées au Canada. Je n'ai pas parlé du Canada car je considère que les réalités sont un peu différentes. Dans "Et la femme se recréa", je parle de la femme africaine qui vit à Toronto et la manière dont elle évolue dans la société. Un des personnages est une femme zaïroise qui souffre de stérilité et de l'incompréhension de son mari qui malgré son niveau intellectuel élevé, pense que c'est la faute de la femme. Un autre personnage est une femme somalienne qui a été victime de l'excision, qui a accouché de quatre filles, dont le mari est avocat mais qui refuse d'aller voir sa femme à la maternité parce qu'elle a accouché d'une fille. Et ceci se passe en 1995, à la fin du XXe siècle. Un autre personnage est une femme zaïroise vivant au Canada et dont la belle famille confisque tous les biens à la mort de son mari et qui n'ose pas aller se plaindre à la Justice car elle a peur de la sorcellerie. Ce sont ses belles-soeurs et sa belle-mère qui la dépouillent. Ce sont également les femmes somaliennes qui excisent. Je montre un peu les problèmes auxquels sont confrontées les femmes et qu'elles perpétuent elles-mêmes. Il y a tant d'ouvertures pour tout le monde et la femme africaine ne semble aller nulle part, bien que vivant dans une société dont le mot d'ordre est l'évolution. Mon premier personnage stérile parle bien l'anglais et pas son mari, donc il ne veut pas qu'elle le montre car ce serait se montrer supérieure à lui. A la fin, tous ces personnages vont essayer séparément de chercher d'autres ouvertures et d'évoluer seuls dans la société. La femme africaine est capable d'évoluer. A la fin, toutes ces femmes vont se rencontrer et elles auront déjà évolué chacune de leur côté. J'espère que ce livre sortira en avril 1996. Pour l'instant, je fais des recherches sur l'infertilité, les aspects juridiques, l'excision.
Que faites-vous en dehors de l'écriture?
Je travaille comme traductrice à Saint-Louis dans le Missouri. J'y vis depuis trois mois seulement. Auparavant, j'avais travaillé à Toronto comme traductrice d'anglais et d'espagnol en français.
Comment évoluent les femmes zaïroises au Canada?
A Toronto, qui est une ville anglophone, les femmes zaïroises qui y sont ne parlent pas l'anglais parce qu'elles ne sortent pas. Beaucoup de femmes ont accompagné leur mari. Elles ont peut-être arrêté une carrière. J'en connais qui étaient des secrétaires au Zaïre. Elles sont là à la maison. Moi aussi, je suis mère, j'ai deux petits, ça ne m'empêche pas de faire des choses. C'est une question d'organisation. Il faut un bon mari avec une ouverture d'esprit. Moi, je donne un coup de chapeau à mon mari et je le remercie bien, il m'aide beaucoup et il m'encourage, il est toujours derrière moi pour n'importe quelle entreprise, on en parle, on en discute. Il me donne ses idées et il me donne le feu vert. Il est jeune mon mari, il est aussi jeune que moi, et je suis vraiment contente parce que je me dis que ce sont des hommes d'avenir.
"C'est un Kasaïen qui laisse sa femme prendre l'avion et qui laisse son mari garder les enfants". Comme disait Calixte Beyela: "Il faut briser le silence et ce ne sont pas les hommes qui le feront pour nous. Ce sera par nous-mêmes et il est grand temps que les femmes fassent quelque chose. A Toronto, il y a beaucoup de femmes zaïroises. Certaines ont envie de s'épanouir en dehors de chez elles. Certaines veulent reprendre leurs études et puis pendant l'hiver, leurs copines leur téléphonent pour leur dire: "Mais tu es folle, il fait trop froid dehors, qu'est-ce que tu vas aller faire aux études? L'assistance sociale est là pour t'aider..." Finalement, elles restent chez elles et encore une fois, ce sont les femmes qui refusent de pousser les portes entr'ouvertes. Bien sûr, ce sont des jeunes femmes et ce qui est incroyable, c'est qu'elles n'ont même pas la curiosité d'aller voir dehors. Et ce sont ces mêmes femmes qui disent: "Les choses ne changeront jamais". Pourquoi vont-elles changer si elles ne font rien pour changer les choses... Ce ne sont pas les hommes qui vont bouger. Il y va de leur intérêt, mais ils ne le savent pas.
Ce qui est assez étonnant, c'est de voir que même en dehors de l'Afrique, la femme africaine vit dans un carcan social. Pourquoi avez-vous choisi de situer les personnages de votre prochain roman au Canada?
J'ai choisi des personnages africains qui vivent au Canada parce que le Canada est un pays qui favorise l'évolution de la femme encore plus qu'aux Etats-Unis. Il y a beaucoup de programmes pour les femmes et le Canada favorise les femmes qui viennent d'autres cultures. Le Canada a même adopté une loi contre l'excision. Aux USA, cela n'existe pas encore...
Pensez-vous que ce sont les lois qui vont changer les choses?
Je crois que tout le changement doit venir de la tête, c'est la mentalité qu'il faut changer. Moi, je suis pour la sauvegarde de nos traditions parce que je pense que nos traditions c'est notre identité, mais il y a des traditions qui sont devenues obsolètes avec tout ce qui a changé, la situation économique, et qu'il faut bannir. Les traditions font partie d'une culture et une culture c'est toute l'idendité d'un peuple, mais il faut faire un tri dans ces traditions. Il y en a qu'il faut garder, mais d'autres qu'il faut bannir carrément, comme celle qui consiste à confisquer tous les biens d'une veuve qui a des enfants. Que va-t-elle faire avec ses enfants? Ce sont aussi les enfants qui souffrent de la tradition.
Pensez-vous que la femme européenne ait acquis des droits plus importants que la femme africaine? N'est-ce pas un leurre et une aliénation, toute cette liberté qu'elles croient avoir acquise?
Elles n'ont pas acquis tellement de liberté. Elles ont acquis des droits, des avantages sociaux. Je me sens plus à l'aise pour parler du Canada où j'ai vécu pendant sept ans avant de m'installer aux USA. J'ai travaillé dans une compagnie d'assurances. J'ai travaillé dans une autre compagnie comme traductrice. Je sais qu'elles ont au moins acquis l'égalité des droits sur le plan travail et sur le plan salaire. Elles ont les mêmes avantages sociaux mais parfois l'avancement dans la société pose un problème. Quand on doit nommer quelqu'un, on va nommer un homme et je crois qu'aujourd'hui encore, il y a des barrières à franchir. Il y a quand même une grande évolution sur ce plan. Evidemment avec toutes ces lois qu'on fait passer sur le harcèlement sexuel, ça aide aussi les femmes à évoluer.
Les femmes avancent peut-être sur le plan professionnel, mais je ne suis pas sûre que ce soit aussi sur le plan social. Ce sont en général les femmes qui s'occupent des enfants. Quand l'enfant est malade, ce n'est pas le mari qui va rester à la maison. Elles doivent à la fois assumer un rôle de mère et d'employée et elles n'ont guère l'occasion de profiter des enfants qui grandissent ni de se consacrer entièrement à une carrière professionnelle. On doit prouver qu'on est capable de faire un métier, mais qu'en même temps, on garde notre féminité, qu'on est responsable d'assumer notre rôle de mère, notre rôle de femme. C'est pas toujours évident.
Ceci n'est-il pas une sorte d'esclavage?
Je pense effectivement que tout cela est bien difficile à gérer. J'ai la chance de travailler à la maison. Après avoir déposé mes enfants à l'école, je me mets sur l'ordinateur. Je travaille jusqu'à midi, après je commence à nettoyer. Vers 13 h 30-14 h, je me remets sur l'ordinateur jusque vers 15 h 30, heure à laquelle mon fils arrive et où il me faut aller cherher le deuxième à la garderie. Le soir, je prépare le repas. Je crois vraiment que c'est très dur pour toutes celles qui travaillent à l'extérieur. Je crois que même si mon mari était milliardaire, je continuerais à travailler. Je suis une maman mais j'ai quand même besoin de faire fonctionner mon cerveau. Ce n'est pas pour rien que j'ai passé des années à l'école.
J'ai entendu récemment parler d'une marche organisée aux USA par des milliers de Noirs. Cette marche était interdite aux femmes. Qu'en pensez-vous?
Tout d'abord, cette marche a été organisée par le chef de la Communauté musulmane et on le dit extrémiste. Je n'irai pas jusque-là. Je dirai que c'est quelqu'un de très conservateur. Il prêche les valeurs traditionnelles musulmanes: la femme doit rester à la maison, elle doit porter un foulard, elle doit servir son mari, comme c'est écrit dans le Coran. Pourquoi une marche de l'homme Noir? Pour montrer à la société américaine que l'homme Noir existe et qu'il est capable d'assumer ses responsabilités et de se prendre en charge. Les hommes noirs subissent plus de discriminations par rapport aux femmes et c'est une réalité, sans distinction de religion. Je crois que la plupart des hommes ont perçu cette marche comme une manière de s'affirmer en tant que Noir. On est là. On a des valeurs. Les prisons sont pleines à 60% d'hommes noirs. La police est toujours derrière les hommes noirs. C'est une réalité qui existe aux USA et je crois que dans ce sens-là, cette marche n'était pas dirigée contre les femmes. Ce n'était ni religieux, ni sexiste.
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