Sophie Heidi Kam est née à Ouagadougou en 1968. Informaticienne réseaux et télécom, elle a également suivi des études de Lettres à l'université de Ouagadougou. Poète, dramaturge, nouvelliste, elle est cinq fois lauréate du Grand prix national des Arts et des Lettres. Après sa première œuvre théâtrale, "Et le soleil sourira à la mer" en 2008, elle vient de publier coup sur coup trois recueils de poésie: "Pour un asile" et de rééditer "Quêtes" et "Sanglots et symphonies". Elle évoque sa passion d'écrire, ses convictions et ses projets littéraires. |
Comment êtes-vous arrivée à l'écriture ?
Je n'ai jamais imaginé un seul instant qu'il arriverait un jour où j'écrirai. Je n'ai jamais rêvé d'être écrivain car l'écriture ne m'intéressait pas. Tout est parti d'une rencontre aussi surprenante qu'inattendue. Ma rencontre avec mon professeur de français, Robert Badini, quand j'étais en classe de seconde C, au lycée. Le plus drôle, c'est qu'il ne se souvient même pas de moi. Il ne m'a enseigné qu'une seule année, et cela a suffi pour qu'il me communique d'abord son amour pour la langue française, ensuite, pour qu'il déclenche en moi l'envie de coucher mes émotions sur le papier. J'ai été fascinée par sa façon d'enseigner. C'était comme une révélation: avec lui je découvrais dans la langue française une saveur toute particulière.
Les femmes sentent plus la poésie que les hommes ?
Je ne crois pas. La poésie est une question de sensibilité, d'univers émotionnel que l'on exprime. A partir du moment où l'on est dans le ressenti et son expression, je ne vois pas comment la femme sentirait plus la poésie que l'homme. En tant qu'êtres humains, ils ont chacun une sensibilité et des émotions capables de s'exprimer à travers la poésie. Pour moi, la sensibilité d'un humain n'est pas une question de genre car, d'une femme à une autre, d'un homme à un autre, la façon de ressentir les choses et de les exprimer varie énormément.
Quels sont les thèmes dominants dans vos dernières publications ?
Le social, la façon dont nos sociétés sont gérées (politiquement et leurs conséquences sur les populations), les guerres en Afrique, le Sahel et son peuplement, la mort, l'amour, le souvenir, le mal d'être, l'espoir.
Vos sources d'inspiration ?
L'actualité m'interpelle. Tout ce qui se passe autour de moi et qui trouve écho en moi. Tout peut être source d'inspiration : le tableau d'un peintre, un spectacle de théâtre, un conte ou une danse contemporaine, la musique, la lecture. L'hivernage, le soleil et l'Harmattan aussi.
Vous recevez certainement des messages concernant vos œuvres. Comment les appréciez-vous ?
Positivement. C'est toujours un bonheur et un honneur de recevoir des messages de personnes qui s'intéressent à mon propos. C'est très encourageant, ça fait chaud au cœur.
Il y a dans "Pour un asile" des poèmes dédiés à Aminata Sophie Dièye. Pourquoi ?
Aminata Sophie est une grande amie à moi. Nous avons partagé tant de choses ! Nous nous sommes connues quand on faisait nos premiers pas dans l'écriture. C'était lors d'un atelier d'écriture à Bamako en 1997. On s'est retrouvées à Dakar en 2000, lors des Rencontres poétiques puis à Ouaga en 2002 et en 2003. Dans ce recueil, il y a aussi un poème dédié à Lucio Mad, un écrivain, un grand homme qui a beaucoup œuvré pour la promotion du hip hop, du slam et de la vie urbaine à travers les capitales africaines. Paix à son âme...
Vous avez participé à plusieurs ateliers d'écriture et à des festivals internationaux de poésie en Afrique, en Europe et même au Canada. Que vous ont-ils apporté ?
Tout dans mon parcours littéraire a été un concours de circonstances et une histoire de rencontres. Traoré Sibiri Omar (paix à son âme !) a été à la base de la première sortie en 1997. A l'époque, il travaillait à la direction du livre et savait que j'écrivais des poèmes. Un jour il est venu m'informer que la direction du livre organisait une sélection de textes (poésie et nouvelles) d'écrivains en herbe, pour le compte d'une ONG suisse d'échanges culturels nord-sud, NAWAO production. Il m'a encouragée à présenter mes poèmes, qui ont été retenus ainsi que les textes des quatre autres Burkinabé. Puis nous sommes allés à Bamako pour un atelier d'écriture en nouvelles et en poésie. Nous étions avec des jeunes Maliens, des Nigériens et des Sénégalais. L'atelier des poètes était animé par Boubacar Boris Diop, qui nous a appris les techniques de la réécriture. A mon retour à Ouaga, j'ai appliqué cette technique à tous mes autres poèmes qui ont subi un véritable toilettage. En 2000, je les ai déposés au Concours du Grand prix national des arts et des lettres. J'ai remporté le premier prix. A cause de ce prix, le ministère de la Culture m'a désignée pour représenter le Burkina aux Rencontres poétiques de Dakar, organisées par la Maison Africaine de la Poésie Internationale (MAPI). Là, j'ai fait la connaissance d'autres poètes dont Jean-Paul Daoust et Nicole Brossard du Québec. Jean-Paul m'a parlé du Festival de poésie de Trois-Rivières au Canada et m'a proposé de m'y faire inviter. Gaston Bellemare, le président du festival de Trois-Rivières, a parlé de moi au directeur du Salon International de la poésie francophone (SIPOEF); j'ai aussi été invitée à son Salon à Cotonou, en mars 2009. Là, j'ai fait la connaissance de Romain Pollender, un metteur en scène québécois qui s'est intéressé à ma pièce de théâtre puis a voulu en faire une lecture jouée à Montréal. C'est ainsi que, d'ateliers en festivals, mon cercle de relations s'est agrandi, élargissant mes horizons.
Ce fut la même chose pour les résidences d'écriture théâtrales. Et je pense à ce que Boubacar Boris Diop nous disait à Bamako en 1997, lorsqu'on trébuchait encore sur nos mots: "L'écriture est une vaste prairie de rencontres". Aujourd'hui, j'en fais l'expérience et toutes ces rencontres sont un enrichissement pour mon écriture, car l'isolement tue un artiste. Sur le plan humain aussi, je gagne beaucoup à travers ces échanges. Je m'ouvre à des univers que je n'aurai peut-être jamais connus.
Vous avez publié des œuvres théâtrales, poétiques et des nouvelles. A quand un roman ?
J'écris déjà des romans pour enfants, mais ça, c'est une autre histoire ! Vous en aurez bientôt des nouvelles... Mais mon premier roman, Dieu seul sait quand ça viendra. Je l'ai commencé et je le finirai un jour ou l'autre.
Que peut apporter l'écriture à un continent qui a faim et qui est pauvre comme l'Afrique ?
Le continent qui a faim est pauvre, parce qu'on l'appauvrit et l'affame. L'Afrique a des richesses immenses. Les ressources humaines sont la première grande richesse de l'Afrique. Elle en regorge. Non, je ne dirais pas que l'Afrique est un continent qui a faim et qui est pauvre, mais un continent dont une bonne partie de la classe dirigeante est pauvre en valeurs ou qui s'assoit simplement dessus. L'absence d'idéaux, de convictions politiques, de projets de sociétés qui prennent en compte les aspirations et les intérêts de la majorité, l'absence d'éthique et de morale dans la gestion de la chose publique... c'est de ça dont ces gens sont pauvres. C'est là où le livre revêt toute son importance, en ce sens qu'il est une valeur sûre, de par ce qu'il véhicule. A travers sa parole et son contenu, un livre contribue à structurer l'être de l'intérieur, à l'éduquer, à lui inculquer des valeurs, à lui servir de repères pour la conduite de sa vie. Le livre contribue à préparer l'être à des responsabilités futures, à poser des actes qui donnent une orientation à la vie, à préparer le futur. Le livre est un éveilleur de conscience et le plus extraordinaire, c'est qu'on peut y revenir à tout moment pour se ressourcer.
Quels sont les problèmes que vous rencontrez dans votre carrière d'écrivain ?
L'organisation. Elaborer un programme et arriver à le suivre, ne serait-ce que partiellement. C'est fou, j'ai un sérieux problème d'organisation et ça, c'est un véritable frein à la progression de mes travaux. Je me suis soudainement retrouvée les deux pieds dans l'écriture, chose à laquelle je ne m'attendais pas. Du coup, entre les commandes et leurs échéances à honorer, mes propres projets d'écriture, les corrections des manuscrits que je reçois et ma présence à des activités littéraires et artistiques, j'avoue que je ne m'en sors pas. Sans oublier les œuvres d'autres auteurs que j'adore et que j'ai prévu de lire. Et pour couronner le tout, il y a l'épineux problème de l'édition.
Quelle place la femme occupe-t-elle dans votre création poétique ?
L'humain tout simplement. C'est l'être humain qui est au centre de mon écriture, qu'elle soit poétique, théâtrale ou narrative. L'humain avec ses souffrances, ses joies, ses rêves, ses fantasmes, ses frustrations, ses révoltes, etc. Ce sont là des dimensions qui n'ont ni âge, ni sexe, ni race. Je suis convaincue que si à travers mes écrits j'arrive à toucher l'être en tant qu'humain, j'aurais touché à l'essentiel car l'homme, la femme, et l'enfant s'y retrouveront. Cependant, j'ai des poèmes consacrés à la femme, sans prétention particulière. Ces textes auraient bien pu être écrits par un homme.
Y a-t-il des écrivaines africaines qui vous ont inspirée ?
Beaucoup plus des femmes ordinaires dont certaines n'ont jamais mis les pieds à l'école. Ma grand-mère maternelle, qui était une grande conteuse, une cantatrice qui animait les cérémonies du village (funérailles, danse des masques, etc.) par sa voix, ses chants et son instrument de musique (une petite gourde en calebasse remplie de grains avec lequel elle rythmait les chants). C'était une femme travailleuse, une artiste qui composait des chansons pendant ses tâches ménagères.
Quel jugement portez-vous sur la situation des femmes africaines aujourd'hui ?
C'est plutôt un regard, pas un jugement. Les femmes africaines d'aujourd'hui sont de plus en plus décomplexées, elles ont plus d'assurance en elles, elles savent ce qu'elles veulent et se battent au même titre que les hommes pour occuper leur place dans la société. On les retrouve même en petit nombre aux côtés des hommes, dans presque tous les secteurs d'activités. Et l'instruction y est pour beaucoup dans cette avancée.
Vos projets ?
Je suis sur plusieurs projets à la fois, mais mon rêve est de bénéficier d'une résidence pour finaliser un certain nombre de projets personnels d'écriture. Il y a aussi la promotion de mes trois recueils de poèmes parus en octobre puis la recherche d'un éditeur pour publier mon deuxième texte théâtral et un recueil de poésie pour les enfants.
Propos recueillis
par Tiego Tiemtoré
Contact: Sophie Heidi Kam - 11 BP 1909 Ouagadougou 11, Burkina Faso
Courriel: [email protected]