En 1994, Annick Kayitesi a 14 ans lorsque le génocide rwandais éclate. Son enfance heureuse et aisée bascule dans la terreur: dix mille Tutsis exécutés par jour ! Après les cent jours de tueries qui ont plongé son pays dans le chaos, Annick parvient à rejoindre la France. A 25 ans, après de brillantes études de sciences politiques à la Sorbonne, la jeune Rwandaise a choisi de témoigner et d'assumer sa douleur dans un livre paru aux éditions Michel Lafon, "Nous existons encore", où elle entraîne le lecteur dans un monde enivré par la folle collective. Un témoignage exceptionnel, une leçon de courage, un appel au respect de la condition humaine. |
Vous auriez pu ne rien dire, mais vous avez écrit ce livre, pourquoi ?
Je n'aurais pas pu me taire, car je fais partie des rares survivants du génocide. J'ai vu des horreurs que je dois raconter. Les rescapés ont besoin d'aide: les femmes violées, malades du sida, comme les orphelins.
Mon autre raison, c'est que l'histoire se répète. Quand je vois ce qui se passe en Tchétchènie, au Soudan et en Côte d'Ivoire, je me dis que c'est inacceptable.
J'ai aussi écrit ce livre pour montrer que l'Afrique ce n'est pas que ça : des cadavres découpés à la machette.
J'avais une famille, j'ai été heureuse jusqu'au jour où tout le monde a été tué. C'est un cri contre l'inhumanité. J'avais besoin de parler de ce que j'ai vécu, de ma vérité à moi. J'ai mis six mois à écrire ce livre, que j'ai terminé avec la collaboration d'Albertine Jeantot.
Vous décrivez des scènes atroces, abominables.
J'ai décrit l'horreur des scènes telles qu'elles étaient, sans arrondir les angles. J'ai dit la vérité pour que cela ne se reproduise plus. J'aimerais que les gens et les jeunes générations retiennent du livre qu'il faut être ouvert sur le monde et que le Rwanda n'est pas si loin que ça. Ça n'arrive pas qu'aux autres.
Quel avenir pour le Rwanda ?
L'avenir du Rwanda appartient aux jeunes qui doivent se débarrasser de la haine et du tribalisme pour construire le pays, main dans la main. L'avenir ne peut pas être pire que ce que nous avons vécu en 1994.
Etes-vous retournée dans votre pays ?
Oui, j'y suis retournée en 1997, 2002 et 2003. La première fois je n'ai pas aimé. Depuis, je retrouve progressivement mon pays que j'adore et qui est pour moi le plus beau du monde. Le Rwanda a changé. Mais les criminels sont toujours en liberté, ils vivent côte à côte avec les victimes et leur famille. Il n'y a pas de justice.
Tout cela fait partie de l'histoire du Rwanda avec laquelle il va nous falloir vivre en espérant que jamais cela ne se reproduise. Je ne veux pas qu'on oublie ou qu'on mette de côté cette période, nous devons vivre en tentant de ne plus recommencer les mêmes erreurs.
Que représente pour vous le trophée des "Femmes en Or " ?
Ce trophée est organisé pour récompenser des femmes dans tous les domaines d'activités : le cinéma, les arts et spectacles, la communication et la publicité. C'est un prix spécial comme celui de la "Femme Internationale" qui m'a été décerné. Ce prix ne reconnaît pas tant que ça ce qui s'est passé dans mon pays, mais il m'a été offert en reconnaissance de ce que je suis. Je suis très contente de l'avoir obtenu car cela signifie que le combat que je mène a été entendu et que les efforts personnels investis dans mon livre pour aider les rescapés, les orphelins comme moi, ont été appréciés.
Avez-vous des projets humanitaires ?
J'ai mis en place avec des amis une association, "Etudes sans frontières", qui a pour but d'aider les étudiants tchétchènes à venir faire leurs études en France, après le bombardement de leur université à Grozni. Dans cette association, on a aussi créé un pôle Rwanda, pour aider les orphelins à aller en cours au pays.
Votre livre aura-t-il une suite ?
Non, je voulais simplement y raconter ma vie...
Propos recueillis
par Wandat Nicot
Contact: Association Etudes sans frontières 9, rue Vergnaud - 75013 Paris www.etudesansfrontieres.org