Voici une Tchadienne qui sort de l'ordinaire. Marie-Christine Koundja est en effet la première femme tchadienne écrivain. Toujours calme, ce chancelier des affaires étrangères a choisi l'écriture comme arme pour dénoncer le spectacle désolant des guerres civiles, tribales, religieusese et politiques qu'offre l'Afrique au reste du monde. Pour elle, l'amour du prochain doit conditionner l'existence de tous les êtres humains; elle privilégie la culture du pardon. Cette mère de quatre enfants a accepté de répondre à nos questions. |
Qui est l'auteur d'"Al Istifakh ou l'Idylle de mes amis"?
Je suis Marie-Christine Koundja, née le 30 mars 1957 à Iriba au Tchad, diplomate Chancelier des affaires étrangères et écrivain. J'ai fait mes études primaires et secondaires à N'Djaména. Pour le supérieur, j'ai fait une année à la faculté de droit de N'Djaména. J'ai interrompu mes études de droit pour aller à l'institut supérieur Siantou de Yaoundé où j'ai obtenu un BTS en secrétariat bureautique. J'ai travaillé ensuite à la direction des grandes endémies, au ministère de la fonction publique, au ministère des affaires étrangères, à la direction générale du protocole d'Etat à la présidence, à l'ambassade du Tchad à Yaoundé, actuellement je suis au ministère des affaires étrangères et de l'intégration africaine, précisément à la direction des organisations et des relations économiques internationales.
Pouvez-vous nous présenter votre livre ?
Mon livre est un roman qui parle de deux jeunes tchadiens d'ethnies et de religions différentes qui veulent se marier mais se heurtent à l'opposition des parents à cause de cette différence de tribus et de confessions. Mais ces jeunes vont transcender ces barrières dogmatiques et se marieront sans le consentement des parents. Le mariage, ici, est la métaphore qui m'a permis de soulever tous les maux qui minent la société tchadienne depuis 1979, et partant toute l'Afrique. Vous voyez combien le tribalisme et le confessionnalisme ont détruit la Côte d'ivoire, ce grand et beau pays ! C'est très regrettable pour l'Afrique, que pour des intérêts personnels ou des intérêts d'une tribu, on détruise tout un pays que certains ont mis du temps, de l'énergie, du savoir, des moyens et surtout de l'amour à construire.
Toutefois, mon roman finit de manière positive car le retour de ce couple de France est une occasion de retrouvailles et de réconciliation pour les deux familles alliées, ce que me reprochent beaucoup de lecteurs. Moi, je leur dis que nous n'allons pas continuer à nous entre-déchirer, à nous entretuer. Malgré tout ce qui s'est passé et tout le mal que nous nous sommes fait, nous devons dire : "Assez !" et nous tolérer, nous pardonner afin d'arriver à une paix durable, gage de reconstruction pour le développement et la prospérité de notre peuple.
Allatoïdii était fiancé à une Européenne. Arrivé en vacances au pays, il décide de marier Fatimé. Peut-on dire que c'est le destin qui l'a voulu ainsi ?
En tant que croyante, je dis que c'est le destin. Pour Allatoidji, ce n'est pas un problème d'ethnie ou autre. C'est de l'amour pur au sens strict du terme.
Pourquoi, jusqu'à aujourd'hui, en Afrique, les parents ont l'impression d'avoir perdu leur fils quand il se marie à une Européenne ?
C'est parce que les Africains pensent toujours que l'Européen est trop individualiste. Pour les Africains, quand leur fils se marie à une Européenne, cela suppose une rupture totale entre eux et leur fils. Ils ne vont plus l'approcher normalement; leur fils ne pourra pas les aider, etc. Vous connaissez bien la famille africaine.
Quelle signification donnez-vous à la lettre d'engagement que Issa a fait signer à Allatoïdji, alors qu'on a vu même des mariages officiels qui n'ont pas tenu ?
Le papier ne fait pas le mariage. Ni cet engagement, ni le mariage officiel ne peuvent consolider une union. C'est l'amour, la compréhension, l'entente, la volonté de vivre ensemble qui construisent un foyer. C'est pourquoi nous voyons parfois des concubins vivre plus longtemps que des mariés. Dans le cas de cet engagement, Issa voulait s'assurer de l'honnêteté de Allatoïdji, avoir une garantie pour la brandir au cas où il y aurait problème. Heureusement pour lui Allatoidji est sérieux. Il aime bien Fatimé. Sinon, juridiquement, cet engagement est nul car il n'a été légalisé par aucune autorité.
Comment expliquez-vous cette confiance que Issa a en un inconnu pour aller jusqu'à "sacrifier son unique sœur sur l'autel de l'Amour"...
Issa a été, ne serait-ce qu'un laps de temps, l'ami d'Allatoïdji. Ceci lui permet de savoir qu'effectivement son beau-frère aime sincèrement sa sœur. Il a donné son unique sœur aussi parce qu'il voulait qu'elle soit heureuse dans sa vie. Il redoutait que les parents ne la mettent dans un foyer où elle vivrait toute sa vie sans être heureuse, comme c'est le cas chez nous. Il y a des foyers où l'épouse est là parce qu'il lui faut un mari, un toit et des enfants. Quant au bonheur, c'est le dernier souci.
Fatimé a rejoint son mari en Europe à l'insu de ses parents, alors qu'en Afrique se marier sans le consentement de ses parents est non seulement déshonorant mais peut vous attirer des malédictions. Qu'est-ce que vous en dites ?
Déshonorant dans certains milieux, oui. Mais si le foyer tient bon et que le couple est heureux, ce déshonneur sera oublié un jour.
D'après la couverture du livre, il faut enterrer les armes de guerre, faire place à l'amour pour vivre en paix. Pensez-vous que cela soit possible eu égard à l'ampleur de la violence et de l'insécurité aujourd'hui ?
C'est possible. Mais cela demande une volonté politique accrue non seulement des autorités mais du peuple aussi, ainsi qu'un grand travail de sensibilisation pour changer radicalement la mentalité des Tchadiens, car cela fait au moins 25 ans que nous évoluons dans ce climat. Ce n'est pas chose facile.
Avez-vous rencontré des difficultés pour éditer ce roman ?
Oui. Pour des problèmes de financement. Mais les éditions CLE de Yaoundé ont accepté de me publier à leurs frais, parce que je suis une femme. Je voudrais bien préciser cela. Et je saisis cette occasion pour remercier sincèrement le directeur des éditions CLE, M. Gatwa, le chargé d'édition, M. Ngandou Fredy et toute l'équipe.
Les femmes tchadiennes ne lisent pas assez, qu'est-ce qui les en empêche ?
A mon avis, ce n'est pas seulement la femme tchadienne qui ne lit pas assez. C'est un problème général. Le Tchadien ne lit pas. En plus de cela, il faut ajouter l'analphabétisme. La majorité des Tchadiens sont analphabètes. La minorité instruite ne lit pas beaucoup, ce qui ne contribue pas à la promotion de la littérature tchadienne. Si les femmes tchadiennes ne lisent pas, c'est parce que non seulement elles ont leurs charges traditionnelles qui ne leur laissent pas de temps pour la lecture mais qu'en plus de cela, il y a cette mentalité des Tchadiens qui n'aiment pas la lecture ou ne s'intéressent pas à cette activité.
Avez-vous des projets littéraires ?
Oui ! Vous savez qu'on ne peut plus arrêter quand on a commencé, mais l'éternel problème demeure le financement.
Propos recueillis par
Aline Taroum