L'histoire progresse et la conscience évolue. Aujourd'hui les femmes ont su se faire une place dans des domaines jusque-là réservés aux hommes seuls. Yamilé Bela nous présente |
Josette Lima
poétesse d'aujourd'hui
Etre femme et poète, voilà une qualité bien rare, qui plus est en Afrique! Cette Afrique redevable dans ce domaine très particulier de la littérature - produit d'exportation par excellence - de toutes les tares misogynes alimentées par un Occident à la puissance mâle. Ainsi, les hommes non contents de s'arroger toute l'autorité et donc tous les droits, estimèrent qu'ils étaient les seuls capables de créer, les femmes étant reléguées une fois pour toutes dans le rôle de dévouées fourmis ouvrières, réduisant ainsi toutes leurs aspirations au mariage et au foyer...
Le femme, être créateur par nature, donnait donc libre cours à sa force créative dans l'entretien de la maison, l'éducation de ses enfants et la soumission à son mari... Inénarrable cheminement vers la réalisation complète de la femme!
Mais l'histoire progresse et la conscience évolue. Aujourd'hui, les femmes se sont infiltrées dans quasiment tous les domaines jusqu'alors réservés aux hommes, notamment dans ce monde littéraire, où il n'y a pas si longtemps, juste au siècle dernier, une femme devait user de stratagèmes et être homme par son nom d'auteur pour faciliter son métier d'écrivain... La postérité nous l'a léguée sous le nom de Georges Sand... Combien de femmes géniales alors ont dû être étouffées sous le carcan phallocratique!...
Aussi est-ce avec une grande joie que nous présentons une femme africaine qui fait profession de poète. Bien sûr on ne peut vivre totalement de poésie, et Josette Lima a eu d'autres occupations plus lucratives, notamment celle de mannequin, sous le nom de Jessica, mais ce qui compte, c'est que la poésie soit là, implantée en elle, travaillée de jour en jour, jusqu'à la réalisation tout à fait concrète d'un premier recueil poétique en 1966 aux éditions Florilège à Dakar. Quant au dernier recueil il s'intitulera Fragments, en avant-première nous proposons à nos lectrices un poème extrait de cet ouvrage, conçu à Libreville même!
Est-il aisé de porter le statut de poétesse?
Etre poète n'est guère aisé et mon statut de poétesse doit s'accompagner de fonctions para-littéraires, car on ne peut pas vivre de poésie. Je ne recherche pas non plus la célébrité avec cette fonction publique, mais plutôt la communication, le contact avec le peuple africain. Je suis totalement tournée vers l'Afrique. Il est certain que parlant et écrivant en français, bien que ce ne soit pas ma première langue, qui est le portugais, je m'adresse plus particulièrement aux pays francophones de l'Afrique.
Employer le français n'est-il pas une gêne pour l'Africaine attachée à l'Afrique que vous êtes?
Non, aucunement, ce qui importe pour moi, c'est que l'on capte le message, donc les langues de diffusion comme le français ou l'anglais, me paraissent être les meilleurs véhicules pour une plus large compréhension du message.
Qu'est-ce que la poésie pour vous?
La poésie est le naturel, ou si vous préférez ce qui passe inaperçu. Je pense que pour éclairer cela, il faut prendre l'exemple des Africains à l'étranger. L'étranger pour ces Africains, ce sont tous les autres continents, ce qui ne leur est donc pas naturel, habituel. Pour moi le dépaysement ne peut pas répondre à la poésie africaine, la poésie africaine c'est d'abord et essentiellement l'Afrique et tout ce qui s'y rattache.
Puisque nous parlons de l'Africain à l'étranger, je pense que s'y rattache la recherche de sa patrie dans les autres continents, de même qu'on ne peut passer sous silence la situation de l'Africain délaissé à l'étranger.
Ne faites-vous pas alors de la poésie surtout politique et sociale?
Il y a certainement un aspect social, car la poésie pour moi doit avoir un but humanitaire, mais toute politique est laissée en dehors. Mettre en communion politique et littérature me paraît tout à fait impossible. On risque d'entrer dans un cercle vicieux lié à la politique, aussi je voudrais définir le social en insistant sur son caractère touchant, sensible, le sentiment ressenti par une masse tout entière, par exemple la liberté qu'on n'a pas toujours, ou bien encore ma poésie sociale consiste à exprimer l'amertume ressentie à l'étranger.
N'est-ce pas alors une poésie de l'exil, faite indirectement pour l'étranger?
Le but de mes poésies est de mettre tout le monde sur le même pied d'égalité, et cela en touchant, par la voie de la sensibilité humaine. Mes poésies luttent pour que l'Africain soit considéré comme un homme total, faisant partie d'une race à part entière, afin qu'il ne soit plus sous-estimé. Et là, je crois que la littérature peut apporter beaucoup, qu'elle peut être la liaison entre l'incompréhension et la condamnation et la compréhension et l'acceptation.
La poésie moderne africaine reflète-t-elle le mode poétique traditionnel?
Le débit africain est poétique, de même que les origines africaines sont poétiques parce que naturelles. La poésie moderne est la poésie de l'amertume, par rapport à la poésie purement africaine.
Car le problème des Africains est fondamental, ils sont à la recherche d'eux-mêmes et toute recherche de soi ne va pas sans amertume. Je suis convaincue que l'Africain ne part jamais au hasard, c'est-à-dire qu'il emporte avec lui le lien qui le relie à son passé. Il y a deux liens très profonds. Le premier est le lien familial, parents-enfants mais également la famille étendue comme cela est de coutume en Afrique. Le second lien est celui de l'Afrique, c'est-à-dire que l'Africain exilé va continuer à vivre selon ses coutumes, et qu'il va ainsi les perpétuer. Le naturel est donc d'être dans l'authenticité de ses propres coutumes, même dans un milieu culturel fondamentalement différent.
Ces liens me paraissent essentiels pour le maintien de l'intégrité africaine, et il me semble que cette tâche doit revenir à nos poètes.
N'est-ce pas là une déviation par rapport à la tradition, qui donnait la tâche de transmettre uniquement à ceux qui étaient habilités à le faire, c'est-à-dire aux vieux donc aux sages.
On peut en effet y voir une déviation, mais nous ne sommes pas tellement loin de cette tradition dans l'esprit, puisque dans les textes très anciens, on retrouve l'Africain poète.
Quelle est votre position devant cette tendance très à la mode chez de nombreux jeunes Africains, qui consiste à rejeter l'Afrique "passéïste"?
Je suis persuadée qu'à un moment donné, l'Africain reviendra à cette Afrique qu'il nie. On revient à l'Afrique, on y revient toujours!
Comment voyez-vous ce retour futur? N'y aura-t-il aucun conflit entre le mode de vie et le mode de pensée?
Ce retour sera simple, nous revenons à l'Afrique, car nous n'avons pas pu nous habituer à avoir autre chose, et ce que nous rapportons ne change pas notre conception des choses et de la vie. De même que le bébé africain élevé entièrement dans un autre milieu, aura lorsqu'il grandira, tout simplement parce qu'il est Africain, le désir de connaître l'Afrique, et de rechercher ses racines de façon systématique.
Peu de femmes illustrent la littérature africaine. Comment analysez-vous ce fait?
Les femmes expriment toute une littérature... A l'étranger elles adoptent par exemple un style d'habillement occidental, mais sitôt de retour en Afrique, elles retrouvent le costume traditionnel. L'expression féminine est donc à chercher ailleurs ou partout, pas seulement dans la littérature, mais aussi ces multiples expressions de la femme africaine manifestent un malaise certain.
Le malaise de ne pas se retrouver dans le milieu étranger les pousse à créer un cadre de vie à l'esprit africain purement authentique.
Quelles sont les conséquences de cette valorisation de l'authentique à l'étranger?
Etre à l'étranger, en situation d'exilé, favorise l'analyse des civilisations. On fait la part des choses, on peut opérer une véritable comparaison de cultures, et c'est d'après ces diverses confrontations que l'on décide le plus souvent de revenir à ses origines.
Ne risque-t-on pas alors d'être déçu par l'Afrique retrouvée et peut-être trop adulée?
Il est déplacé pour moi de porter un jugement sur l'Afrique, que je viens seulement de retrouver. Mais j'éprouve déjà un sentiment de déception. Je suis déçue de voir le naturel s'en aller, car c'est un peu de nous-mêmes. Déçue aussi de constater le gigantisme, l'engouement pour le luxueux et la sophistication étrangère. Désormais, les capitales africaines, ont tout des villes modernes et surtout leurs murs de béton, ce qui conduit nécessairement à la sélection, à l'incompréhension, à l'incommunicabilité. L'Africain du peuple refuse cette Afrique, mais il est obligé de suivre. Que pourrait-il contre cette énorme force du progrès!
A votre avis, quel rôle doit jouer la femme africaine aujourd'hui?
C'est un rôle simple et compliqué à la fois. Toutes les femmes à la base aspirent à un changement, et c'est aux femmes qui ont pu faire la différence, c'est à ces femmes, à nous donc, de leur faire comprendre que cette différence n'est pas toujours bonne à faire.
Ne faut-il pas vivre les choses pour les connaître?
Bien-entendu à chacun son expérience! Certains disent qu'il n'est pas possible de revenir à l'Afrique d'hier, cela semblerait-il donc plus difficile que de vivre comme aujourd'hui, c'est-à-dire dans une Afrique que nous ne reconnaissons pas et dont nous n'avons pas l'habitude, que nous n'avons finalement jamais apprise!...
N'est-ce pas l'image d'une Afrique statique, et sans évolution que vous défendez alors?
Non, l'Afrique ne serait pas condamnée si elle était restée à son état premier, malheureusment elle a vite été engloutie, au début telle était la situation, puis les problèmes se sont très vite amplifiés en raison de ce manque d'adaptation à cette nouvelle vie.
Que pensez-vous du pouvoir créateur de la femme africaine d'aujourd'hui?
J'aimerais encourager le goût de la poésie chez beaucoup d'autres femmes, cela ne me semble guère difficile, car toute femme exprime ce qui est littérature; la femme est une création merveilleuse, d'où découle toute la beauté humaine.
Si la femme africaine n'a pas encore décidé de s'exprimer, c'est parce qu'elle a trouvé que le fait de vivre quotidiennement à l'africaine est plus important, et on peut vivre à l'africaine n'importe où. En effet, il existe un fonds immuable, transmis aux enfants, même élevés dans une autre civilisation. En grandissant ces enfants pourraient confondre les deux cultures, et c'est là le danger, car l'incertitude peut naître alors, et l'enfant vivra en déraciné. Celui qui arrivera à faire la synthèse, pourra par la suite essayer de regarder l'avenir en Africain. Ce sont de tels regards africains qui aideront l'Afrique Nouvelle à franchir le grand pas que rien ne pourra arrêter. Je ne rejette pas toute forme de progrès, l'homme vit de changements, mais il est plus simple de progresser en restant soi-même. Il faut essayer d'évoluer non en copiant, mais en créant. Quelques Africains émergent déjà. A la base la femme doit être consciente de ce qui va se passer, et éprouver la nécessité d'un cap à franchir. Si beaucoup de femmes semblent ne pas avoir suffisamment évolué, c'est que leur conscience de l'évolution est encore imparfaite.
Pensez-vous qu'il y ait une sensibilité féminine particulière?
Il me semble que ce qui importe plus que le sexe de l'auteur homme ou femme, c'est que le message africain continue, oui cela est vraiment essentiel!
Ce message est dédié à l'enfant de demain. Bien sûr, écrire pour ceux de maintenant, c'est très bien, mais nos contemporains connaissent ce mode de vie propre à l'Afrique et encore loin de s'effacer. Il faut donc écrire pour l'enfant de demain, cet enfant qui ne verra plus l'Afrique d'hier. Nous devons absolument écrire pour lui, car il pourra alors encore vivre dans la pureté africaine, et l'esprit même de la transmission du savoir inhérente à l'Afrique traditionnelle sera perpétué.
Que retenez-vous de vos premiers contacts à Libreville?
A Libreville, je sens que tout est resté très africain. Bien-entendu, je n'ai passé encore que peu de temps dans la capitale gabonaise, mais sans me permettre de juger, je crois que le Gabonais l'est véritablement et qu'il reste très attaché à ce qu'il a connu. La femme gabonaise, comme toutes les femmes africaines, peut arriver à concilier le progrès et le retour en arrière. Et c'est à travers cette conciliation que l'on se rend compte que toute femme est poésie. Elles arrivent toutes à cette conciliation poétique même si elles n'en sont pas conscientes, ne serait-ce que par leur façon de s'habiller et de se coiffer.
Votre poésie est donc partout et pour tous?
Oui, tout-à-fait, écrire un poème est toujours un renouveau, une renaissance, car il s'agit de redire ce qui était gardé par la mémoire, afin de le donner, de le rendre aux autres, et en transmettant je ne garde plus rien. Voilà le véritable but de ma poésie: Tout donner!
Le poète africain moderne reprendrait-il la fonction réservée autrefois aux Anciens?
Oh! mais je ne saurais me comparer à eux, ils ont une sagesse que je n'ai pas! Non, j'accomplis simplement ma tâche de poétesse dans le monde africain d'aujourd'hui...
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