Certains ont tout vendu, d'autres ont abandonné travail et famille. Comme eux, Eveline a plié bagages un beau jour. Avec l'aide "précieuse" de gens affamés de gains maximum et sans pudeur, elle a pu s'envoler pour son rêve le plus suave: la France. Sans papiers - enfin pas les bons - la réalité s'est fait montre seulement quand elle a foulé le sol du territoire français. Dur atterrissage... Nous l'avons écoutée. |
Ce que vous avez voulu prouver est que l'on peut aimer même sans papiers ?
On doit pouvoir s'aimer au-delà des papiers. Le monde est difficile de nos jours, à tel point que nous oublions les vraies valeurs, les plus simples d'ailleurs telles que l'amour. Tous les esprits sont figés sur le développement, le progrès... Nous ne voyons plus le bien qui nous entoure. Par ailleurs, les frustrations, les susceptibilités et le doute font que nous avons peur de l'autre. Si nous voyions un peu moins grand, et que nous accordions une meilleure attention à ceux qui nous entourent, pourquoi ne serions nous pas amoureux sans papiers? Le cœur ne se pose pas ces questions, il va là où il est bien. Il n'a pas de couleur, pas de vêtements, encore moins une identité. Alors des papiers...
Qu'est-ce qui pousse une jeune fille à partir à l'aventure, dans le danger?
On ne sait pas vraiment qu'il y a danger. Du moins, on n'en voit pas la portée. J'avais rencontré des personnes qui m'avaient proposé de m'offrir ma chance de sortir de ma situation. Je ne m'étais pas posé beaucoup de questions. Toute jeune que j'étais, mon rêve était de m'envoler vers l'Europe. Voilà que l'occasion se présentait. Ces fossoyeurs se présentaient comme très expérimentés. Ils donnent de faux noms et demandent à rester dans l'anonymat. Ils vous présentent même des gens pour qui ça a marché. C'est probablement une de leurs cousines, amies ou sœurs, complice. Et on les croit facilement. [...] Et dès que c'est fait, plus personne ! Vous n'avez plus aucune possibilité de les contacter. Puis vous partez, heureux, comme libéré.
Mais dès l'aéroport, vous déchantez ?
Effectivement, c'est une fois à Paris que j'ai découvert que le faux-papier qu'on m'avait fait était un vrai faux. Je me retrouvais seule face à mon destin. Ça a été pénible, néanmoins, j'ai tenu bon. Je ne me voyais pas retourner dans mon pays. Il était politiquement instable et moi je n'y envisageais pas un avenir particulier. Et comme d'habitude, je sentais le poids de mes responsabilités, par rapport à ma famille. A cette époque d'ailleurs, les autorités françaises étaient encore tolérantes pour ce genre de cas. Malgré tout, les jours qui ont suivi ont été durs. Alors imaginons ce qui doit se passer aujourd'hui.
Quelle image a-t-on de la France quand on en rêve?
C'est l'eldorado, tout simplement. La France terre d'accueil, horizon du bonheur, va changer tout notre destin. Ça, oui, il l'a fait. Mais pas forcément dans le sens que je pensais. Si aujourd'hui tout est rentré dans l'ordre, c'est au prix de plusieurs années de misère. J'avais l'esprit plein de rêves, mais rien ne s'est passé comme je l'imaginais. Si je devais tout recommencer, je mettrais mon argent dans un commerce et resterais chez moi. Je partirais peut être, mais sur de bonnes bases. Avec les années, quand je revois mon parcours, je réalise que j'avais réellement pris des risques inutiles. Mais j'ai fini par trouver ma place. C'est mon histoire, je la prends telle quelle. Rien ne garantit que j'aurais connu mieux si j'étais restée dans mon pays. Néanmoins, je ne conseille à personne de faire comme moi. Rien n'attend personne ici, il faut tout construire, mais pour cela, il faut exister d'abord : avoir accès aux droits.
C'est la rencontre avec un homme qui va tout faire basculer...
Oui, on peut dire que ça m'a sauvé l'existence. Mais tout n'a pas été rose. La rencontre avec cet homme est aussi une rencontre entre deux cultures. Si moi j'ai pu flirter avec la sienne, lui n'a jamais vraiment appris à connaître les Africains dans leurs habitudes. Il n'avait que des stéréotypes. Et malgré sa bonne volonté, il se heurtait à des situations qui lui échappaient. La peur de l'inconnu aidant, il se méfiait. Il avait du mal à comprendre certaines choses. Comme en plus, il sortait d'un divorce, reconstruire une vie familiale ne faisait pas partie de ses priorités, même si moi, j'en avais besoin pour exister. Au bout de quatre ans de vie commune, il a eu l'occasion de tester la profondeur de mes sentiments. Nous avons connu une phase très mouvementée de notre histoire qui comportait aussi des moments forts. C'est l'amour qui a triomphé au bout du compte.
Maintenant que tout est rentré dans l'ordre, que diriez-vous des conseils des autres ?
J'ai eu raison d'écouter mon cœur. Je ne pense pas que j'aurais pu assumer une décision que d'autres m'auraient fait prendre. D'ailleurs, il ne faut se fier qu'à son instinct. Les autres vous diront ce qu'ils savent par rapport à leur propre vécu. Ils ne sont pas dans votre histoire, ils la vivent de l'extérieur. C'est toujours bien de les écouter, mais quelle que soit la décision qu'on prenne, elle doit nous appartenir. Si j'avais quitté mon ami comme on me l'a conseillé, je ne sais pas ce que je serai devenue. Dans tous les cas, mes sentiments pour lui ont été plus forts, et je suis fière de les avoir écoutés.
Propos recueillis
par Christèle D.
"La patience d'une femme" Collection aeternam - Éd Bénévent, 2005.
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