Une jeune femme avec beaucoup d'expérience:
Mame Seck Mbacké
"Le froid et le piment"
Mame Seck Mbacké est une jeune femme élancée, très élégante dans sa mise et qui est extrêmement simple. Elle répond avec beaucoup de franchise aux questions et elle a toujours un sourire désarmant. Bien qu'elle refuse de parler de sa vie privée, on sait qu'elle est de la famille du père du mouridisme musulman, et c'est pour cela qu'elle ne veut pas étaler sa vie privée mais bien la garder comme sa propriété personnelle. Cependant nous savons que son père est médecin, de la promotion de 1926 et, avec lui, la famille a voyagé au Mali, en Haute-Volta et en Côte-d'Ivoire, ce qui lui a permis d'être une famille ouverte au reste du monde. Comme elle l'a dit «j'ai beaucoup vu et pourtant je suis jeune»". C'est ce qui l'a poussée à écrire "Le Froid et le piment" que les Nouvelles Editions Africaines viennent de mettre sur le marché du livre.
Mame Seck Mbacké est aussi très religieuse. Voici ce qu'elle en dit: «Je suis très croyante moi-même rapporte un confrère du "Soleil". Je suis pour le mouridisme de Cheikh Ahmadou Bamba dans sa pureté originelle. Sa vie est un modèle car c'est un homme assez éloigné de cette tendance à vivre dans le matériel et qui est plutôt préoccupé par la réhabilitation de l'homme noir dans le respect de l'amour du prochain». Il faut la féliciter de cette prise de position car il est rare que les femmes osent le faire par rapport à la religion. Assistante sociale, Mame Seck Mbacké est titulaire du diplôme de l'Institution des hautes études internationales. Elle a aussi un diplôme de 3e cycle en développement économique et social. Elle a bien voulu répondre à nos questions sur son livre "Le Froid et le piment": |
Quand on a fini de lire votre livre, on est plutôt pessimiste. Et l'on se demande si cette situation pourra un jour s'améliorer. Qu'en pensez-vous?
Je pense que oui. C'est d'abord une affaire de gouvernement. Le cours de l'histoire est irréversible. Il y a eu pire, la traite négrière bien sûr, et il y a eu l'abolition de l'esclavage qui a continué sous une autre forme que fut la colonisation. Depuis l'Indépendance, un certain néo-colonialisme veut tenir les pays africains sous une dépendance économique et culturelle. Ce qui est certain, c'est qu'on ne peut pas freiner l'éveil des consciences. Il existe une dialectique assez heurtée et assez pénible mais qui ne peut que mener vers une acceptation des diverses cultures: c'est pour cela que je dis que le cours de l'histoire est irréversible. Ce que j'ai décrit dans "Le Froid et le piment" n'est pas propre à un pays; on retrouve cela aux USA ou en Afrique du Sud. En fait, je traite de la condition humaine.
Quels conseils donneriez-vous aux femmes qui veulent rejoindre leur mari travailleur en France?
Tout lecteur peut tirer de mon livre ce qui lui convient étant donné que chacun a sa nature et son caractère.
Après avoir côtoyé des cas sociaux terribles, que pensez-vous des mariages mixtes?
C'est une question à poser à ceux qui ont vécu cette expérience. C'est à eux, jeunes ou vieux de faire le bilan et de communiquer aux autres les leçons qu'ils en ont tirées.
Vous avez vécu longtemps en France. Est-ce-qu'il vous est difficile de vous réinsérer dans votre pays?
Aucunement. Est-ce que j'ai l'air d'une personne déracinée? Tout dépend du milieu où l'on a vécu. Je suis une africaine qui a eu l'occasion d'aller en Europe. J'ai eu à vivre une expérience qui m'a plus ou moins enrichie. Je pense maintenant en faire bénéficier les autres. Mais cela est réciproque, car une française par exemple qui vient en Afrique s'enrichit d'une somme d'expériences qu'elle aurait intérêt à partager avec son environnement.
On a toujours l'âme du terroir, l'âme négro-africaine qui fait notre force. Le Ouoloff considère symboliquement que chaque culture est représentée par un canari. «Si l'on veut laisser le sien pour grimper sur le canari du voisin il se casse. Ce qui signifie que si on veut changer de culture au détriment de la sienne, c'est le chaos. Nos cultures, autrefois péjorativement connues, sont en train d'être réhabilitées par la force des choses. Je prends comme exemple le lien mère-enfant qui renforce la personnalité; l'allaitement au sein, le port de l'enfant sur le dos. Ces pratiques sont maintenant conseillées aux mères d'Europe comme modèles pour l'épanouissement de leur enfant.
Vous avez écrit des nouvelles parues dans "l'Anthologie de la nouvelle sénégalaise". Comment malgré ce travail pas comme les autres auprès des immigrés en France, avez-vous le temps d'écrire? Quels sont vos projets?
Ce n'est pas une question d'avoir du temps. C'est une question d'inspiration. On a toujours le temps de faire quelque chose si on veut, quel que soit le pays ou le genre de travail ou encore le style de vie. En bonne musulmane, je ne suis pas certaine de me lever demain de mon lit. Je ne suis pas pessimiste ni fataliste. Je pense quand-même exploiter le peu de potentialités dont je dispose. Par mes écrits je peux me mettre au service du genre humain.
En écrivant ce livre avez-vous pensé à livrer un message à vos lecteurs?
Lequel?
Je n'avais pas écrit pour un public. Il appartiendra à chacun de tirer de mon livre le message qui lui convient. Ce qui est certain, c'est que si le livre est triste, il augure de lendemains meilleurs. Et je crois fermement que ces beaux jours vont venir dans la mesure où le cours de l'histoire est irréversible.
Si j'avais un message à livrer ce serait non seulement à la femme sénégalaise mais aussi à la femme africaine et même à la femme tout court, quel que soit le pays.
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