En entrant dans son bureau, dont le sol est recouvert de moquette grise, épaisse sous les pieds, (tout est insonorisé à la radio), mon regard est accroché par une longue tablette en bois, suspendue au mur, genre tablette coranique de talibé, sur laquelle sont inscrits en gros caractères les mots suivants: "La femme: ménagère ou Ministre"; au-dessous: "La plus belle parure des femmes est leur boîte à ouvrage", disait-on en fermant aux femmes la porte des universités. Cela se passait il y a moins de cent ans. La femme ne peut vivre que par personne interposée affirment certains. Les joies et devoirs du mariage et de la maternité sont incompatibles avec un développement personnel autonome disent les uns; escroquerie, répondent les autres. Betty Friedan a-t-elle éclairci le mystère de ce que Freud appelait, en parlant de la femme, "le Continent noir"? |
Je trouve Mme Annette Mbaye d'Erneville fidèle au poste, assise derrière son bureau recouvert de dossiers. Ces multiples dossiers n'ont pas l'apparence de dormir, Je m'explique: ne vous est-il jamais arrivé d'entrer dans un bureau, et de voir sur la table de votre interlocuteur un amas de dossiers qui s'empilent, jaunissants, sans que celui-ci ait pris le temps de les examiner ni de les classer? On n'a pas cette impression en regardant la table de la directrice des programmes de la Radio. Un énorme combiné téléphonique trône au milieu de tout cela; lui non plus n'est pas inutile; il sonne souvent, et souvent, Mme Annette Mbaye d'Erneville en use - sans jamais en abuser. On vient la voir à chaque instant pour une signature, un conseil, une instruction... Malgré cela, Mme d'Erneville se prête avec amabilité et simplicité à mon interrogatoire.
Madame Annette Mbaye d'Erneville, vous êtes journaliste de la presse parlée, mais aussi écrite. Comment en êtes-vous arrivée là? Comment êtes-vous venue à la presse?
D'abord élève à l'Ecole Normale de Rufisque, puis à celle des Batignolles à Paris, où mon mari poursuivait ses études, je suis entrée, en 1952, à la SOFIRAD pour collaborer à des émissions radiodiffusées en langues africaines. Lamine Diakhaté, l'actuel ambassadeur du Sénégal au Maroc, alors étudiant, travaillait avec moi. Puis je passai le concours de l'OCORA avec succès, et j'obtins ainsi, après des cours et un stage au Studio-Ecole, mon diplôme de journaliste de radio.
En ce qui concerne la presse écrite, après ma sortie de l'Ecole Normale de Rufisque, il y a trente ans cette année, je me suis mise à écrire dans certains journaux de l'époque, des articles sur les femmes et sur des problèmes à caractère social. Les sujets de ces articles étaient assez avancés pour l'époque. J'y parlais déjà d'émancipation féminine. A ce propos, je dois mentionner l'influence considérable qu'eut sur moi la directrice de l'Ecole Normale de jeunes filles de Rufisque: Madame Germaine Le Goff. C'est elle qui m'a fait prendre conscience que les femmes, elles aussi, peuvent faire quelque chose pour l'Afrique. Elle nous a fait prendre conscience de notre "africanité", bien avant que ce mot soit à la mode, comme maintenant, à une époque où personne ne songeait réellement à l'indépendance du continent. Elle nous disait, lorsque nous devions faire des exposés ou rédiger des textes: "N'ayez pas honte, lorsque le sujet le permet, de parler de choses que vous connaissez; n'ayez pas honte de vos calebasses, de vos taille-basse, de vos baobabs...". Nous devions décorer des pièces de l'école, comme exercices pratiques d'économie domestique, et bien, Mme Le Goff nous obligeait à décorer ces salles à l'aide d'objets d'artisanat sénégalais. Et puis, elle nous disait toujours: "Vous êtes appelées à travailler en brousse! Apprenez déjà votre métier!"
Cette Mme Le Goff, vit-elle toujours?
Oui. Elle vit actuellement en Bretagne, avec les siens. A chaque fois qu'une ancienne de ses élèves a l'occasion de passer la voir en France, elle le fait. C'est vous dire l'impact qu'elle a eu sur moi, mais aussi sur toutes mes promotionnaires; et cela, jusqu'à présent. Les anciennes "Legoffiennes" se sont dispersées, mais toutes, nous sommes restées attachées à l'enseignement de Mme Le Goff. Et parmi ces anciennes élèves, vous n'en trouverez aucune qui n'ait pas assumé des responsabilités à l'échelle de son pays, ou à l'échelle de l'Afrique. Voyez Caroline Diop et Marie-Anne Sohaï au Sénégal, Jeanne Martin en Guinée et aux Nations Unies. Jeanne Gervais en Côte d'Ivoire, etc. Cela est symptomatique! Mme Le Goff avait visé juste. Elle semblait même prévoir qu'en 1975 il y aurait une année internationale de la femme.
En somme, c'est Mme Le Goff qui vous a aidée à opter pour la société dans laquelle vous vivez?
C'est cela; elle m'a fait opter inconsciemment; vous pensez, en 1942, j'avais seize ans! Et vous connaissez la mentalité des mulâtres de Saint-Louis! Ils ne se considéraient pas comme des Africains! Ainsi, mes parents auraient bien aimé que j'épouse un métis voire un 'toubab'. Cela dit, lorsqu'ils ont connu mon mari, ils l'ont adopté. Comme quoi, ils n'avaient pas que des préjugés. L'influence de notre directrice a permis que dès mon arrivée à Paris, je me mêle aux Africains qui y faisaient leurs études. Sans elle, peut-être, aurais-je été différente de ce que je suis aujourd'hui. Mme Le Goff a quitté le Sénégal en 1946.
Pour en revenir à mes études, j'ai fait l'école primaire et secondaire chez les religieuses de Saint Joseph de Cluny à Saint Louis; j'ai donc un fond de tradition catholique.
Ensuite, après mon épisode de l'OCORA, j'ai écrit des articles dans Bingo, dont les sujets se rapportaient aux problèmes sociaux de la femme. J'ai collaboré à la rédaction de LA VIE AFRICAINE, également. Mais cela n'était que des articles alimentaires pour gagner ma vie. Je dois surtout mentionner la création de la revue AWA. En effet, en 1957, retour de France, j'ai demandé à Oulimata Ba, à Solange Faladé, à Virginie Camara et à Henriette Bathily, de s'unir à moi, pour que nous fassions quelque chose, nous, femmes d'Afrique, à l'approche des indépendances. La première appellation de ce journal était FEMMES DE SOLEIL. L'imprimeur Abdoulaye Diop, innovateur en matière d'imprimerie africaine à l'époque, nous avait aidées. Puis, nous nous sommes dispersées, les unes et les autres. Solange Faladé, par exemple, est partie à Paris où elle exerce le métier de psychanaliste, et moi, j'ai été affectée à Sokone, et à Diourbel, à la suite de mon mari, ingénieur agricole. Après mon divorce, en 1963, j'ai relancé FEMMES DE SOLEIL que nous avons rebaptisées AWA. Le public africain et pas seulement sénégalais a fait bon accueil à cette nouvelle revue, mais nous nous rendîmes rapidement compte qu'une revue n'est pas seulement une affaire d'idées, mais aussi et surtout, une affaire d'argent. Or à cette époque-là, la politique des Etats africains n'était pas encore tournée vers les mass média. Paradoxalement, ce sont ces difficultés financières d'AWA qui ont permis à AMINA de voir le jour. D'ailleurs, Monsieur de Breteuil a voulu racheter notre titre, mais nous n'avons pas accepté de le vendre, car AWA était pour nous un symbole. C'est ainsi que nous avons périclité faute de moyens. Cependant, je ne désespère pas de voir AWA ressortir avant la fin de cette année. Des associations ainsi que deux sociétés s'intéressent à notre projet.
A ce propos, Mme Annette Mbaye d'Erneville, ne pensez-vous pas qu'AWA risque de concurrencer AMINA?
Non, car le public qui s'intéresse aux magazines féminins est de plus en plus nombreux. Que ce soit des femmes instruites, universitaires ou non, ayant des moyens différents, regardez avec quelle facilité se vendent des revues comme INTIMITE, NOUS DEUX, MODE DE PARIS, ELLE, ETC.
A présent, Mme Annette Mbaye d'Erneville, quels sont vos projets?
Je n'en ai pas, pour le moment. Je suis directrice des programmes de l'O.R.T.S., et le travail que je fais me passionne. Mon dernier stage, APS, qui a duré deux ans à Paris, m'a donné le grade de direction dans notre hiérarchie radiophonique.
N'aimeriez-vous pas être directrice de la radio?
Non. Je ne le souhaite pas. Car au Sénégal, quoiqu'on en dise, il est encore difficile, pour une femme, de diriger des hommes, réfractaires à toute autorité féminine. C'est surtout difficile à la radio, où l'on doit faire preuve de beaucoup de diplomatie et d'esprit critique pour résister à toutes sortes de pressions, car les moyens audio-visuels attirent!...D'autre part, mon propre caractère manque de souplesse...alors?
Si. J'ai quand même un projet: mon ambition actuellement, est de pouvoir reprendre la revue AWA, et d'en faire une grande revue africaine, utile à ses lectrices.
Je n'ai aucune ambition politique; ma politique à moi, c'est d'avoir des activités sociales utiles à mon pays. Les gens trouvent souvent ces activités intempestives; je suis du signe du Sagittaire (je crois à l'astrologie), et comme tous les Sagittaires, je suis active, si je ne l'étais pas, je ferais des dépressions nerveuses. Inch Allah, dans quelques années, j'aurai atteint l'âge de ma retraite. Je ne me croiserai pas les mains à ce moment-là! Si ma santé me le permet encore, je commencerai réellement à vivre ma vie. Que Dieu m'entende!
Annette Mbaye, parlez-nous de votre participation à l'année internationale de la Femme, en tant que journaliste.
Avant cette année, j'ai écrit de nombreux articles sur la femme africaine. Et depuis 1965, je m'occupe de l'émission en wolof qui s'appelle "jeegen ni deglugeen". Cette année, j'ai été désignée comme déléguée à l'information au comité permanent de l'Année Internationale de la Femme. Comme vous le savez, ce comité a un président d'honneur, le Ministre de la Santé Publique et des Affaires Sociales, effectivement M. le Docteur Papa Gaye, Directeur de la Santé Publique. Toutes les associations féminines y sont représentées sur un pied d'égalité, en vue d'exercer une action commune et concertée. Et je dois dire que je trouve très bien que toutes les Associations féminines soient concernées et consultées. Malheureusement, il y a plus de paroles que d'actions.
Qu'est-ce que ce comité a décidé de faire concrètement?
Les associations ont programmé des causeries, des débats, mais peu de réalisations concrètes. L'A.S.N.U., représentée par Mme Johanne Ba, et la Promotion Humaine, par Melle Khady Guéyé, ont fait deux propositions. En effet, afin de laisser quelque chose de concret de cette année internationale de la Femme, l'A.S.N.U. a suggéré l'installation d'une maternité moderne, par exemple, à l'hôpital Aristide Le Dantec: rénovation des lits et berceaux, remplacement des alèzes, des tables, bref, de tout le matériel de la maternité, afin d'en faire un lieu propre où l'on n'est pas pris par l'odeur tenace et désagréable des couloirs, comme c'est souvent le cas; fourniture d'instruments de travail et de médicaments. Ce projet serait étendu aux maternités des régions, afin que tout le pays soit intéressé. C'est là un travail de longue haleine, qui ne restera pas circonscrit à cette année bien sûr. La Promotion Humaine a projeté de faire des tournées de prises de contact afin que les femmes puissent séjourner dans les régions, et prendre conscience des réalités féminines dans le monde rural. C'est aussi le projet du Club Soroptimiste. De même le Zonta Club n'a pas attendu cette année pour aller faire des vaccinations anti-poliomyélitiques dans le milieu rural. On peut aussi citer l'amicale des secrétaires de la Présidence de la République, qui a organisé des journées d'études destinées à améliorer la profession de secrétaire. Les institutrices de même.
Quel conseil donneriez-vous à une Africaine qui serait tentée d'exercer votre métier?
Je dirais d'abord qu'il est heureux que de nombreuses femmes travaillent dans le domaine de l'audio-visuel: je pense à Sokhna Dieng, à Takaia, qui essaient d'émerger par leur dynamisme. Mais la majorité se contente de petits postes. Celles-là devraient s'intéresser à la recherche, se mettre au rythme de notre temps. Si plus de femmes étaient à des postes de responsabilité, dans la presse, la masse des Sénégalaises serait davantage touchée par le modernisme. Voyez comme Eugénier Aw, au SOLEIL, Marianne Sy, chef de la station radiophonique de Casamance, prennent leur travail à coeur. Mais il est difficile de progresser dans ce domaine, car être femme-journaliste va à l'encontre de la tradition qui veut que la femme soit réservée, ne parle pas, n'exprime pas son opinion. En fait ce n'est pas un métier, mais une vocation.
Que pensez-vous de l'égalité de l'homme et de la femme?
Je n'aime pas beaucoup le mot "égalité", car il suscite trop de discussions. Je lui préfère le mot "complémentarité". Mais on doit reconnaître que la société sénégalaise a toujours eu des préjugés favorables aux hommes, au détriment des femmes. Même les femmes ont ces préjugés. N'entend-on pas certaines d'entre elles dire: "Man, jigeen rek lä!"
Ce "rek" là est de trop!
Oui. Ce "rek" là est de trop. Il faut profiter de l'Année Internationale de la Femme, non pas pour créer une sorte de guerre, mais pour que la femme se découvre en tant que personne de valeur, ni absolument inférieure, ni absolument supérieure.
Je dois dire qu'au Sénégal, il faut faire un parallèle entre les femmes qui ont reçu une instruction et celles qui n'ont pas-été à l'école. Mes handicaps ne sont pas les mêmes, et les réactions diffèrent. Il faut dire aussi que c'est la femme, qui, dès le berceau inculque à ses filles cette notion d'infériorité; un simple exemple: alors que le bébé garçon peut être allaité pendant deux ans, et porté sur le dos, cette durée est réduite à un an et demi pour la fille. Un autre exemple: lorsqu'une femme enceinte de son mari divorce, elle peut espérer être reprise par son ex-mari, si le bébé dont elle accouche est de sexe masculin.
Je viens de lire un ouvrage écrit par Benoite Groult: "Ainsi-soit-elle". Eh bien, j'ai été très étonnée de constater qu'en Europe, les femmes se heurtent aux mêmes problèmes que nous. Toutes les lois y sont faites pour les hommes.
Que pensez-vous de la contraception?
Je pense que de plus en plus, on devrait informer les mères sur ce qu'est la contraception, et sur la façon dont elles devraient l'enseigner à leurs enfants. Il ne faut pas se voiler la face. De toute façon, les filles font ce qu'elles veulent, ce qui a pour résultat d'ailleurs, de faire éclater la cellule familiale. Et cela, depuis que les filles vont à l'école. Il faut bien souligner aussi que les mères démissionnent devant l'éducation de leurs enfants. On dirait des canards qui ont couvé un...poulet. Ils ne savent plus ce que font leurs enfants. Donc, au nom, non seulement de la morale, mais de la santé et de l'hygiène, ils doivent s'occuper de l'évolution de leurs enfants. Le gouvernement devrait instaurer des cours d'éducation sexuelle à l'école, afin que les enfants sachent mais bien.
Je vois: de toute façon, ils savent; mais pour qu'ils ne soient pas traumatisés par des expériences malheureuses, il faut qu'ils agissent consciemment. Lorsque l'on agit dans l'insconscience, on réagit aussi dans l'inconscience, c'est-à-dire mal.
Je voudrais aussi mettre en évidence cette... prostitution camouflée des jeunes filles d'âge scolaire. Je pardonne tout à l'amour, mais je réprouve l'amour vénal. Je parle de prostitution parce que les jeunes filles cherchent avant tout dans la fréquentation d'un homme, sa situation, sa voiture, sa maison. Et les mères sont fautives; je dirais même qu'elles poussent leurs filles à se comporter de la sorte. Elles sont complices parce qu'elles refusent de leur parler.
Combien d'enfants avez-vous, et combien d'enfants au maximum, pensez-vous qu'une femme africaine doit avoir?
J'ai quatre enfants, deux garçons et deux filles. Ils sont gentils, bien que chacun ait son petit caractère. Marie-Pierre a seize ans et demi, Layti, quatorze, Reyane-Nafi, l'aînée est étudiante à Paris, elle a été élevée par sa tante paternelle, et Ousmane-William veut devenir cinéaste...J'ai aussi élevé ma nièce Annette qui a fait des études d'infirmière. Je pense qu'il faut, si c'est possible, avoir des enfants selon ses moyens financiers, mais aussi et surtout, selon le temps dont on dispose: pour chaque enfant, il faut mobiliser quinze années de sa vie, afin de le mener à bon port. Il faut être disponible, se mettre à leur niveau. Par exemple, parfois, j'aime bien danser le jerk avec eux, et à ce moment-là, ils me sentent plus proche d'eux. Je crois qu'il faut revoir le principe traditionnel qui nous commande de "prendre tous les enfants que le Bon Dieu nous donne"; je veux dire par là que l'on ne doit pas se contenter du proverbe qui dit: "Dans chaque bouche que Dieu ouvre, il y met du mil". D'autant plus que les pères se désintéressent de plus en plus de leurs enfants!
Comment expliquez-vous cette démission du père?
Jadis, le père savait ce qui se passait dans sa maison, car il supervisait tout; mais maintenant, regardez la queue devant les écoles au moment des inscriptions: ce sont les mères qui font la queue, de même, ce sont elles qui vérifient le carnet de notes, même lorsqu'elles sont analphabètes. D'où l'utilité d'informer ces femmes, car en définitive, tout repose sur leurs épaules. De fait, ce sont les femmes qui tiennent la maison. Je voudrais ajouter qu'il existe un préjugé très injuste à l'égard de la femme qui n'a pas d'enfants; elle est culpabilisée par la société, souffrant déjà en elle-même. Et lorsqu'une femme mariée qui a déjà des enfants n'accouche pas dans un laps de temps de trois ans, on crie au scandale.
Mme Annette Mbaye, que pensez-vous du mariage?
Décider de vivre avec quelqu'un, c'est autre chose que de simples rapports sexuels. Il faut une certaine éthique. Je peux paraître vieux jeu, mais le mariage est une chose sérieuse. Si on ne respecte pas certaines règles, on risque de se mépriser soi-même.
En ce qui concerne la polygamie, je la conçois lorsqu'elle est acceptée par amour, lorsque la femme, consciente, organise elle-même sa vie conjugale, sans contrainte. Finalement, c'est une affaire toute personnelle que ni les décrets ni les manifestes ne feront disparaître.
En général, dans la société africaine, le mariage, mono ou polygame valorise la femme. Elle acquiert le respect du jour au lendemain. C'est d'ailleurs pour cela que certaines femmes finissent par accepter la polygamie. Mais le mariage doit être basé sur l'estime et non sur l'intérêt. La femme ne doit pas se faire entretenir. Un autre écueil, c'est que l'on se marie beaucoup plus pour l'extérieur que pour soi-même. Les mères, dans ce domaine ont un rôle important, car elles poussent leurs filles. Il ne faut pas tricher; il faut se marier pour soi-même et non pas pour les autres.
Un peu de frivolité à présent: quel est, selon vous, le canon de beauté de la femme africaine moderne?
On ne peut pas dire qu'il y ait un canon unique: en tout cas, tout ce qui singe l'autre est mauvais. Il faut garder sa personnalité et son originalité. Les produits de beauté peuvent être utilisés, mais avec discernement. La perruque aussi, mais à condition qu'elle soit discrète; par exemple, les perruques blondes sont à proscrire. Le xesal également.
Justement, à propos du xesal: ne pensez-vous pas que de même que les femmes blanches se font brunir pour obtenir la jolie couleur du bronze, les femmes noires s'éclaircissent le teint par coquetterie?
Non. Je crois que le xesal est quelque chose de plus profond. Il est un reniement de sa propre couleur. C'est très grave. On peut se mettre une poudre dorée qui embellit le teint, mais en un temps où l'on parle d'africanité, de négritude, on doit garder son teint tel qu'il est. C'est une question psychologique.
Pour en revenir à notre canon de beauté, il y a celui de la Sénégalaise, grande, élancée, au visage fin. Mais il y a aussi les rondelettes qui ont leur charme. Il y a la femme peulh qui est admirée dans toute l'Afrique. Mais il est difficile de définir un canon de beauté unique. Tout est une question de charme.
Que pensez-vous des tresses?
Je trouve cela très bien, c'est une mode africaine. Mais il ne faut pas que cela soit forcé. Quant au costume africain, qui est très à la mode au Sénégal, il est le reflet d'une certaine prise de conscience chez les Sénégalaises. A l'époque coloniale, les femmes s'obligeaient à porter des vêtements européens, étriqués, ajustés, qui ne leur allaient pas du tout.
Comment voyez-vous l'Africaine de l'an 2000? Sera-t-elle (en plus grand nombre) occidentalisée, acculturée? Ou bien restera-t-elle "africaine", bien que moderne?
L'authenticité n'est pas contraire à la modernité. Il faudra qu'elle respecte ses traditions, en même temps qu'elle devra aimer le monde moderne. Elle sera un mélange harmonieux, une symbiose de nos traditions et des apports extérieurs. Tout dépend de ce que l'on aura fait de ces années d'indépendance. Mais je serai optimiste sur ce point.
Quelles sont les solutions que vous préconisez pour régler les problèmes des femmes africaines?
Il ne faut pas qu'elles attendent les solutions des autres. De plus, il faut qu'elles soient unies, qu'elles n'aillent pas à hue et à dia! Il faut qu'elles pensent davantage à la collectivité dont elles font partie. Si les femmes pouvaient cesser leurs rivalités mesquines pour travailler ensemble...
© AMINA 1975. Toute reproduction interdite sans l'autorisation des ayants droit.