Après la publication de "Sidonie", aux éditions Alpha-Oméga, à Paris, en 2001, Chantal Magalie Mbazoo-Kassa signe aujourd'hui son deuxième roman : "FAM !" édité par La Maison Gabonaise du Livre (MAGALI), sa propre maison d'édition. Autour d'un chocolat chaud, nous avons discuté à bâtons rompus avec cette écrivaine-éditrice gabonaise. |
Voulez-vous résumer "FAM !" à l'attention de nos lectrices ?
C'est l'histoire d'un jeune homme nommé FAM (homme en langue Fong, ndlr) qui, après avoir terminé ses études dans l'Hexagone, rentre au pays avec son épouse, Ewimane (la fin de la tristesse, ndlr). Ce jeune couple va expérimenter toutes les vissicitudes de la vie : chômage, faim, misère, mépris, humiliations...
Pour s'en sortir, Ewimane, malgré son doctorat en psychologie, va accepter un emploi à la Société nationale de vin de maïs de son pays Si (la terre, ndlr). Malheureusement, elle devra démissionner pour échapper au harcèlement sexuel que lui impose son patron. FAM va finir par obtenir une identité professionnelle. Aidé par un ami d'enfance, il sera nommé conseiller en communication de Si.
Après la mort du ministre, FAM va remplacer son défunt patron, en entrant au gouvernement puis, constatant avec amertume que les usages liés à sa fonction sont en contradiction avec ses convictions, il démissionne pour se lancer dans la lutte politique. Ainsi, il participe à un premier scrutin qu'il gagne, mais les élections sont annulées. Découragé, il va se rendre compte qu'il ne maîtrise pas le système établi par le grand créateur (le chef de l'Etat, ndlr) de Si.
Il décide ainsi d'abandonner la lutte, mais sa femme l'en dissuade, persuadée que son action n'a pas été vaine. La preuve, cet appel inattendu, cette main tendue soudain du grand créateur, qui lui propose un marché : lui donner le pouvoir en contrepartie d'une protection de sa famille et de ses intérêts. A la fin, on voit effectivement FAM gagner les élections.
Cette histoire contient une double morale : en Afrique, il faut que populations et gouvernants œuvrent en faveur d'une alternance en douceur, sans effusion de sang, sans vandalisme. La deuxième morale de l'histoire est que les aspirants au pouvoir sachent que la prise de ce dernier est assez complexe. Il n'est pas prudent, dans le contexte actuel, de l'arracher. Il est plus souhaitable qu'il soit donné. FAM, impétueux, intransigeant, va s'en rendre compte et l'accepter. Ainsi, par rapport au pouvoir, il faut user de patience, attendre son heure pour ne pas passer pour un usurpateur qui drainera une sorte de malédiction fatidique pour lui et son peuple.
Qu'est-ce qui vous a motivée à écrire "FAM", vous qui écrivez toujours pour exprimer une préoccupation ?
Nous avons un proverbe africain qui dit : "Lorsque la maison du voisin brûle, aide-le à éteindre le feu pour que le feu n'atteigne pas ta maison". Au regard de ce qui s'est passé dans Les Grands Lacs, au Tchad, en Côte d'Ivoire... on ne peut que se dire : "Seigneur, pourvu que ça n'arrive pas chez nous !". Ne pouvant rester insensible à ce qui se passe autour de nous, ma façon d'apporter ma modeste contribution reste l'écriture. L'écriture me permet de m'adresser au plus grand nombre, en leur proposant une alternance politique en douceur, sans effusion de sang.
La politique, le pouvoir ne sont pas des sujets usités par les écrivaines africaines ?
Dans la littérature féminine, il y a très peu de place pour les questions politiques. Ces sujets ne doivent pas demeurer l'apanage des hommes. Parce qu'au moment où nous luttons pour notre émancipation, on voit encore la femme en train de revendiquer le second rôle, en laissant toujours la part belle à l'homme. Il s'agit ici du complexe de Cendrillon, cette conviction que la femme ne peut rien sans l'homme. Nous sommes dans l'ère du Verseau et un grand penseur disait : "Le XXe siècle sera féminin ou ne sera pas". Il est donc temps que les femmes changent de mentalité, qu'il n'y ait plus de sujets exclusivement mâles ou féminins. Que l'approche genre prenne son sens dans la gestion des entreprises et de la Cité. Il serait temps qu'en littérature il y ait corrélation entre l'action sociale, culturelle, économique et politique de la femme avec les thèmes abordés en littérature. Ce n'est qu'ainsi que les écrivains pourront contribuer au débat démocratique, qui reste une préoccupation sociale et populaire.
Quelle est la part du sacré dans FAM ?
Je crois personnellement qu'en Afrique un chef d'Etat qui serait dépourvu des connaissances traditionnelles ressemblerait à une coquille vide. Ces connaissances constituent aussi une exigence du pouvoir temporel. Un chef qui se baserait uniquement sur son savoir intellectuel aurait du mal à s'imposer car, en Afrique, précisément, l'exercice du pouvoir exige cette double compétence. Un chef doit présenter des attributs visibles et invisibles pour être capable de défendre sa famille, son village, son clan, sa tribu, sa région, son pays....
J'aborde aussi la question des nganga (marabouts, ndlr) dans "FAM". C'est un phénomène très courant : on considère que toute réussite est la résultante du travail mystique accompli par le marabout. Personnellement, je ne crois pas à l'influence maléfique ou bénéfique des féticheurs car je refuse de croire qu'ils sont capables de changer le destin d'un homme ou la face du monde. En revanche, j'ai foi en la connaissance traditionnelle, celle léguée par les ancêtres. Celle-là ne s'usurpe pas et celui qui la détient brille comme une lumière.
Quelle est la place de la femme dans "FAM" ?
Ce roman aurait pu s'intituler "Ewimane". D'abord Ewimane naît au crépuscule de la vie - et de sa mère. Plus personne ne l'attendait. Mais Dieu permet qu'elle vienne faire son expérience terrestre dans la famille d'Obame et de sa femme Moyissi (sirène en langue Punu, ndlr), accusée de stérilité depuis des dizaines d'années. En lui donnant ce nom, son père veut que sa femme retrouve désormais le sourire. Ewimane signifie donc "la fin de la tristesse". Ewimane, c'est le modèle idéalisé pour donner confiance à la femme, la mère, l'épouse, en la mettant face à ses responsabilités. La femme étant le berceau de l'humanité, elle doit contribuer au devenir des nations, car elle est responsable du renouvellement de l'espèce humaine, formatrice éducatrice des générations futures et du changement de mentalité chez ses enfants, adultes en devenir. Cette prise de conscience de la femme va lui permettre d'assurer une bonne santé morale, sociale, économique et politique de l'Afrique.
Dans "FAM", il a trois types de femmes :
- Mme Ozan ou "coffre-fort", comme l'appelle sa belle-famille. C'est le prototype de la femme moderne acculturée, plus préoccupée par la rentabilité financière de son mari, que par l'intérêt général ou par le malheur de ses proches. Elle a épousé la vision occidentale. Hors son mari et ses enfants, point de salut pour le reste de la société. Elle est à l'image de nos sociétés africaines, complètement déshumanisées, dénuées de chaleur, de générosité et d'hospitalité.
- Essila est une femme émancipée à outrance, qui revendique une égalité parfaite entre l'homme et la femme. D'ailleurs, elle gère son corps comme une entreprise, et change de partenaire selon son bon vouloir. Elle fait partie de ces jeunes femmes qui pratiquent une prostitution de luxe. Malheureusement, les familles sont complices. On rit sous cape tout en bénéficiant des revenus de ce commerce. Essila, c'est l'anti-modèle. Elle meurt à la fin du livre. Car il ne faut pas que les jeunes filles se trompent d'idéal. Il est bon qu'elles se disent que "petit à petit l'oiseau fait son nid", pour que, pierre après pierre, elles posent les fondations de leur avenir, en s'autonomisant par le biais de l'école, plutôt que de vouloir brûler les étapes. La mort d'Essila est une forme d'alarme pour interpeller et conscientiser les jeunes filles, plus éprises de matériel que d'autonomie et de spiritualité, car, aujourd'hui, le vice est érigé en vertu.
- C'est vrai que le modèle Ewimane tend à disparaître. Aussi faut-il renverser la tendance actuelle afin de combattre les fléaux tels que l'inceste, la pédophilie, les MST, l'homosexualité, les sectes pernicieuses... A mon humble avis, il n'y a que les femmes pour mener à bien cette noble mission. La femme africaine doit se réapproprier les valeurs traditionnelles positives que sont la soumission librement consentie à l'égard du partenaire, la disponibilité, l'amour de ses enfants et son engagement pour les causes sociales tout en s'ouvrant au monde afin de ne pas demeurer atone face aux défis de l'heure.
Comment devient-on écrivain ?
Il n'y a pas de recette ! Dieu, en nous envoyant sur terre, nous confie des talents, des dons... L'écriture n'est donc pas une question de diplômes mais de sensibilité et de talent, qu'il faut développer. Reste à attendre la réaction des lecteurs. Pour écrire, il faut avoir des choses à dire et savoir les dire.
Quel effet cela fait-il de devenir célèbre et d'entrer ainsi dans l'immortalité ?
C'est vrai qu'il est plaisant de voir quelqu'un avec son roman. Les commentaires des autres sont la preuve que le message est passé et que l'on n'a pas écrit en vain. Cela me conforte en tant qu'écrivaine dans l'idée qu'un bon livre, c'est celui dans lequel les lecteurs se reconnaissent. Le roman étant un genre populaire, il n'est donc pas utile de complexifier en rendant hermétique son écriture. Le faire reviendrait à exclure de facto une frange importante de la population. Or, lutter contre la pauvreté c'est aussi lutter contre l'analphabétisme, l'illettrisme. Je m'insurge contre tous les détracteurs de l'écriture de proximité qui, pour moi, constitue le véhicule des préoccupations de nos sociétés.
Vous êtes la première éditrice gabonaise. Qu'est-ce qui vous a amené à créer La Maison gabonaise du livre MAGALI ?
MAGALI est un défi, un challenge personnel, qui me permet de susciter l'amour de la lecture. Un citoyen qui ne lit pas, vit dans l'obscurantisme. Il a l'esprit étroit et n'est pas cultivé. Inculte, il ne peut donc prendre part aux multiples débats de la société. Il sera toujours ainsi tenu à l'écart du mouvement politique, social économique du pays. MAGALI a pour ambition de promouvoir la plume gabonaise, de la sortir de son mini-terroir afin que notre pays soit aussi présent sur l'échelle internationale. C'est un concept national les Gabonais devraient valoriser. Plus que l'homme, la femme a besoin de lire, parce qu'une femme cultivée a déjà gagné la bataille de l'épanouissement personnel. Pour terminer en ce qui concerne "FAM", ce livre n'est qu'une fiction. Tous les personnages que l'on croit y reconnaître ne sont que pure coïncidence. J'aimerais que les lecteurs perçoivent dans ce roman la grandeur de l'homme, FAM, et de la femme, Ewimane. L'homme n'est pas la femme et vice-versa. Tous les deux, chacun jouant son rôle, se complètent dans leur inégalité. Voilà pourquoi, même si la société est encore écrite au masculin, c'est dans l'ordre des choses. L'heure de la femme viendra, à condition qu'elle se mette à l'école de l'homme et de la vie.
Propos recueillis
par Pascaline Mouango