Selon vous, pourquoi certaines femmes, ne s'intéressent-elles pas à la culture?
Les raisons sont multiples et diverses. Elles varient avec les milieux et les individus :
- Pour une certaine catégorie de femmes, être mariée est une finalité. Riche, elle se contente d'être belle, ornementale; pauvre, elle se consacre entièrement aux tâches managères. Dans les deux cas, la culture à quoi ça sert, se demande-t-elle ?
- Dans certaines communautés, on n'encourage pas la jeune fille à "trop apprendre", par crainte "qu'elle ne trouve pas de mari", car, dit-on, les hommes fuient les femmes trop intelligentes ; cela déstabilise leur sentiment de supériorité.
- Pour d'autres femmes, passer son temps à développer les arts de la séduction corporelle, constitue parfois un investissement qui prend le pas sur l'intellect. C'est d'ailleurs pour éviter ce travers que notre département exhorte les candidates à Miss Gabon à déployer un éclat aussi bien intellectuel que physique.
- La tragédie d'un mariage précoce et forcé en milieu rural.
- La pauvreté, qui met la priorité sur la satisfaction des besoins primaires (faim, abri, santé ... ) et inhibe les réflexes culturels (achat de livre, spectacles de qualité, visite de musée, voyages culturels ... )
Le rejet systématique des activités requérant un effort mental.
L'accent mis sur le mimétisme et la superficialité, entraînant le matérialisme qui prime sur le spiritualisme.
Voilà brièvement quelques raisons qui empêchent certaines femmes de s'intéresser à la culture.
Vous êtes directrice de la culture au ministère, chargée de la Culture et de l'Education populaire. Quelles sont les politiques mises en place, pour éradiquer l'analphabétisme ?
Le ministère de la cultures, chargé de l'éducation populaire a pour mission fondamentale de servir de pont entre le monde traditionnel et le monde moderne. A ce titre, il concourt à la formation des Gabonais en contribuant à les adapter aux nouvelles structures politiques, économiques et sociales modernes. C'est le rôle que jouent les centres d'alphabétisation, ouverts aussi bien aux hommes qu'aux femmes, et de plus en plus, aux jeunes ayant abandonné leurs études de façon prématurée. L'éducation artistique est aussi une des missions de notre ministère. Elle est mise en oeuvre en milieu scolaire et dans des centres spécialisés tels que l'Ecole Nationale d'Art et de Manufacture (ENAM). Un grand projet visant à rendre la culture accessible à tous vise l'implantation de maisons de la culture tant à Libreville qu'à l'intérieur du pays.
D'autres actions telles que les caravanes culturelles, les lectures publiques, les concours d'art oratoire, le théâtre dans la rue, les causeries culturelles organisées dans les services provinciaux du pays devraient permettre à toutes les couches sociales d'accéder à la chose culturelle. Il n'y a pas, à ma connaissance, de grand projet culturel ciblant l'inculture de la femme de manière spécifique. Tous les grands projets englobent les hommes et les femmes. A mon avis, l'ignorance est une maladie dont la seule thérapie, indépendamment du sexe, est la connaissance.
L'éducation, la culture, sont-elles des données importantes pour la femme de nos jours ?
Avant de répondre à votre question, entendons nous d'abord sur les termes. Que signifie le mot Eduquer ? Eduquer vient du latin educare, de ducare, conduire, former par l'éducation. L'éducation repose sur la formation et le développement d'un être humain sur les plans physique, moral, spirituel, académique, traditionnel... J'ai tenu à clarifier ce terme pour éviter une confusion confortablement instalIée dans l'esprit de certaines personnes qui pensent qu'être analphabète signifie être inculte. L'analphabète ne sait ni lire ni écrire, ce qui représente certes aujourd'hui, un énorme handicap, mais il n'en demeure pas moins qu'un analphabète peut avoir développé et maîtrisé d'autres types de connaissances.
Considérons le contexte rural, par exemple, où la tradition est fort heureusement résiliante. L'éducation morale, spirituelle et culturelle reste une valeur sûre, bien qu'elle ne passe pas par le biais d'une langue dite civilisée. La plupart de nos grands-mères sont illettrées, mais sont-elles pour autant incultes dès lors qu'elles sont détentrices de nos valeurs culturelles, de notre culture ? La démocratie, n'est-ce pas le respect de l'autre dans sa différence ?
A l'ère de la revalorisation des identités culturelles, le ministère des identités culturelles, le ministère de la Culture, pour sa part, exhorte les femmes à communiquer avec leurs enfants en langue maternelle, conscient du fait que la langue est le berceau de la mémoire, et la mémoire est la source de production de nos traditions. En tant que gardienne de toute tradition, la langue est aussi la mémoire d'un peuple. C'est donc là une grande mission dont est investie la femme. Montaigne dans ses Essais trouve que nos plus grands vices prennent leur pli dès notre tendre enfance et notre principal gouvennement est entre les mains des nourrices. Ce faisant, il considère les femmes comme le moule de la personnalité future de l'enfant, du futur citoyen.
Cette action du ministère de la Culture est relayée par le ministère de l'Education nationale qui, depuis quelques années, a introduit l'étude des langues maternelles dans les établissements secondaires.
Concernant la prise en compte de la femme gabonaise dans les politiques culturelles, il me semble que par le rôle qu'elle y joue et par la place qu'elle y occupe, elle peut être considérée comme actrice. Elle participe à la conception des projets culturels et contribue à leur mise en oeuvre. Ceci dit, le monde de la culture et des arts est un univers asexué où on se regroupe en par affinités, aspirations. Voyez-vous, le mot " artiste" est symbolique de cet état de fait : il n'est ni masculin, ni féminin. Le terrain de l'expression artistique est celui des échanges égalitaires.
Avez-vous un conseil à donner aux femmes pour pouvoir se cultiver...
Aujourd'hui, partout dans le monde, il y a divers moyens de se cultiver: les émissions culturelles de radio et de télévision, les conférences, les expositions d'art, les spectacles, les visites de musée et la lecture.
Le livre, est à la fois un objet d'art et une fenêtre ouverte sur le monde. Sa diversité, c'est "la chose culturelle" par excellence. Les oeuvres littéraires constituent autant d'identités culturelles. La création artistique constitue un immense patrimoine dont se nourissent chaque culture nationale et la culture de toute l'humanité car elle exprime le dialogue de l'artiste avec la réalité de son temps. Ignorer l'héritage culturel, le tenir pour inutile, c'est s'interdire la compréhension profonde du présent et toute activité authentiquement créatrice. Le plaisir pris à s'intéresser à une oeuvre d'art signifie qu'un besoin humain a été satisfait, que ce soit à travers une activité passive et introspective comme la lecture, ou une activité créatrice comme la sculpture, la peinture, l'écriture, la couture...
Je conseillerais à toute femme d'avoir une ou plusieurs activités culturelles et artistiques correspondant à sa sensibilité et de développer une passion pour au moins un art ou un aspect culturel donné. Ça ajoute du zeste à la vie.
Avez-vous un dernier mot pour les femmes ?
Je ne pense pas être excessive en affirmant qu'il n'existe pas de femme ne s'intéressant pas à la culture. La culture, c'est en gros l'expression de l'homme dans son milieu à travers ses rapports avec la nature, avec la matière, avec son prochain et avec son propre être. Disons qu'il y a une culture consciente et une autre inconsciente. Nous avons autours de nous des artistes et des esthètes qui s'ignorent mais qui, pourtant, sont des génies. Seulement, ils n'intellectualisent pas leur passion, ils n'en font pas un sujet d'étude. Est-ce pour autant qu'on va estimer qu'ils ne s'intéressent pas à la culture ? Si vous me permettez de reformuler votre question, je dirais à l'endroit des femmes qui n'intellectualisent pas la culture, qu'elles doivent en faire un sujet d'étude en commençant par se regrouper autour d'un thème précis, et si le mot "débat" fait peur, en organisant des causeries sur leurs passions, leurs projets, leur vision du monde. Ça fait partie de la culture, oui, c'est le premier pas vers la Culture.
Propos recueillis
par Pascaline Mouango