"Un seul tournant Makousu"
La quarantaine environ, la démarche alerte, l'allure sportive, Justine Mintsa n'a rien à envier aux jeunes étudiantes qu'elle enseigne. Ce Docteur de 3 Cycle d'anglais, actuellement maître-assistante et dramaturge à l'Université Omar Bongo de Libreville, est aussi présidente de l'Union des Écrivains Gabonais (UDEG). Elle appartient à cette trempe de femmes, qui après que vous ayez fait sa connaissance et discuté avec elle, vous laisse perplexe. Après la sortie de son premier roman "Un seul tournant Makosu", elle a bien voulu nous accorder un entretien. |
Vous venez de publier votre premier roman. Comment en êtes-vous venue à la littérature?
Je tiens cette passion de mon enfance, quand mon père qui était instituteur, ramenait des livres à la maison. Je les lisais et les relisais. Puis avec le temps, l'idée d'écrire a germé dans ma tête, et puis voilà
Présentez-nous votre livre
"Un seul tournant Makosu" est l'histoire d'un grand défi : la mise en place et le fonctionnement d'une Université de sciences et techniques dans un pays en voie de developpement, appelé le Govan.
Le recteur de l'Université, à qui on a confié la responsabilité de mener ce projet à terme, se trouve confronté à plusieurs difficultés, et finalement abandonné à lui-même, aussi bien par le pouvoir politique qui le lui a confié, que par ses collègues enseignants.
Quelle est la place de la femme dans votre livre?
La femme y trouve forcément sa place, car Oyomo, l'épouse du recteur qui est une femme fidèle, suit et soutient son mari pour la réalisation de ce projet.
C'est un couple uni, qui malgré les difficultés qu'ils recontrent, se serre les coudes.
Oyomo est une intellectuelle très préocupée par les problèmes de l'Université, car elle y dispense des cours. Mais elle ne délaisse pas pour autant son foyer. Elle est également cette femme blessée, mais qui ne désarme pas.
Quel interêt fondamental nos lectrices peuvent elles tirer de votre roman?
Vous savez, "Un seul tournant Makousu" s'adresse aussi bien à la femme intellectuelle, qu'à la femme au foyer. En lisant ce roman, vous comprendrez combien l'amour dans un couple est important, surtout quand surviennent les difficultés.
Imaginez un peu ce qui aurait pu advenir au recteur, abandonné à lui-même aussi bien par les politiques, les étudiants que pour ses collaborateurs, si son épouse l'avait, elle aussi, abandonné? Heureusement pour lui, elle reste fidèle jusqu'au bout. Et pour parvenir à entretenir une telle harmonie, il faut absolument de l'Amour.
Ce sentiment se construit et se solidifie justement devant les épreuves et les réussites. J'ai voulu également montrer un autre aspect de l'égalité entre l'homme et la femme. Je continue à penser que tout en étant égales aux hommes, les femmes doivent garder leur féminité.
Les africaines devraient s'abstenir de calquer le modèle occidental et de le transposer chez nous, car les réalités ne sont pas les mêmes. J'estime qu'être Africaine et intellectuelle, ne signifie pas rejeter systématiquement sa culture. Oyomo, l'héroïne, est docteur en anglais et professeur dans cette Université, c'est une femme humble, modeste et soumise à son époux.
Vous pensez donc que la femme doit soumission à son époux?
Cela dépend de ce qu'on entend par soumission. Pour moi, se soumettre, c'est respecter, ne pas outrager, être attentionné
L'homme étant considéré comme le chef de famille, il n'est pas judicieux pour la femme, quels que soient son niveau intellectuel ou ses moyens financiers, de faire sentir à son époux, qu'on est la plus forteet qu'on a donc le droit de l'humilier. Cela est vrai, aussi bien pour la femme que pour le mari.
L'épouse du recteur justement est le type même de cette intellectuelle que vous décrivez.
Oui, Oyomo l'a bien compris, d'où l'équilibre dans sa vie. Son époux, le recteur et elle, sont suffisamment intelligents et conscients poursavoir que le couple se construit tous les jours à force de succès et de batailles. Ils savent dépasser toutes les considérations négatives qui tournent autour du mariage entre intellectuels.
Mme Justine Mintsa-Mi Eyal n'est-elle pas Oyomo?
Ce roman est le résultat d'observations d'une situation : la crise dans le milieu universitaire. L'Université est un univers où on est censé penser, réfléchir, s'instruire et instruire, mais où pourtant on observe plusieurs problèmes sociaux tels que la géopolitique, le racisme, le tribalisme, le suivisme Mon expérience dans ce milieu ne peut que transparaître, mon époux et moi étant universitaires (M. Mintsa-Mi est docteur en Sciences Naturrelles).
"Que signifie Makosu?
Makosu est le nom de la ville où se trouve l'Université des Sciences et techniques. Makosu, c'est aussi en langue fang : J'avance
Makosu, n'est-ce pas Masuku, la ville gabonaise où se trouve l'Université?
Je laisse le choix au lecteur. Je vous rappelle que la signification fang de ce mot revêt également une place importante si vous lisez le roman en profondeur.
Vous êtes la présidente de l'UDEG. Quelle sont la place et le rôle de la femme dans cette association?
Je tiens d'abord à vous préciser les objectifs de l'UDEG, qui a pour activités : promouvoir le soutien à la création littéraire, diffuser les uvres éditées, initier à l'approche technique d'un texte. Nous venons de mettre au point un programme intitulé: "A la découverte de la culture gabonaise". Ce programme a une caravane littéraire à travers les établissements primaires et secondaires de la place. Maintenant, pour ce qui est de la place de la femme au sein de cette Association, je vous rappelle que nous sommes deux femmes écrivains gabonaises connues : Mme Angèle Rawiri (qui vit en France) et moi. En tant que présidente de l'UDEG, je puis affirmer que mes collègues et moi travaillons de concert, et qu'ils m'ont fait confiance en m'élisant présidente de l'Association. Nous avons plutôt des problèmes maté0riels, et non de personnes.
On compte seulement deux femmes écrivains gabonais. A quoi cela est-il dû?
Je ne saurais expliquer cette absence de la femme gabonaise dans le domaine littéraire. Toutefois, il des y a des femmes remarquables dans d'autres domaines. Tenez, vous écrivez des articles, vous n'êtes pas très loin de la littérature. Vous serez la bienvenue à l'UDEG. (rires)
Que conseillez-vous aux jeunes femmes de niveau moyen, qui souhaiteraient écrire?
Je leur dirais tout simplement que lorsqu'on a quelque chose à dire, on cherche le moyen de communication qui nous convient le mieux.
La recherche minière est une activité accaparante
Il y a souvent des incompréhensions entre mon mari et moi. Il me qualifie de ministre des Relations extérieures, une ambiance que vivent tous les couples où les femmes se lancent dans le monde des affaires. Mais étant lui-même un homme d'affaires, il essaie de me comprendre. C'est vrai qu'avec les différents déplacements, rencontres je n'arrive pas à accorder le temps nécessaire que j'aurais souhaité à mes enfants, mais ça va bien entre eux et moi. Au plan scolaire, ils s'en sortent bien aussi et je suis satisfaite.
Ou'est-ce que l'émancipation de la femme?
Je refuse le terme émancipation. Je préfère plutôt promotion de la femme. Dès la tendre enfance, on inculque à la femme l'idée qu'elle doit être soumise. Mieux, dans la Bible et le Coran, il est écrit que la femme doit être soumise à son mari comme celui-ci est soumis à Dieu. Nous ne sommes pas des êtres inférieurs, donc on n'a pas à s'avouer vaincues d'avance. Chacun est né avec ses faiblesses et ses forces. L'homme et la femme ont les mêmes capacités intellectuelles, morales Si l'homme domine physiquement las femme, en revanche, celle-ci lui ravit la vedette au plan de la résistance où l'homme jette vite l'éponge. Les femmes ont des capacités insoupçonnées qu'il faut exploiter.
Certaines femmes donnent l'impression de se plaire dans une situation d'infériorité
Ces femmes qui se plaisent dans ce statut ne s'épanouissent pas. Il faut les aider à revenir à elles-mêmes, à avoir confiance en elles-mêmes et à mettre en valeur leurs potentialités. Pour moi, qui veut le peut. Quand les femmes s'organisent, elles font des merveilles.
Au Cameroun par exemple, les femmes ont mis sur pied un réseau de tontines qui marche bien et qui remplace les banques pour leurs activités rémunératrices, pour ne citer que cet exemple. Et puis, l'intuition féminine ne trompe pas. Quand un mari s'entête à s'engager dans telle ou telle enterprise en dépit des avertissements de sa femme, le plus souvent il finit par confesser : "Ma chérie, tu avais raison. Il faut faire confiance à la femme, car elle est plus honnête ".
Pourquoi, bien que majoritaires, les femmes n'arrivent elles pas à prendre en charge les affaires de nos pays?
Il leur manque un élément catalyseur pour déclencher le déclic. Un carcan culturel pèse sur elles. Quand une femme veut montrer ce dont elle est capable, on l'accuse de tous les péchés du monde. Le mari, au lieu d'être fier de sa femme qui est entrprenante, devient plutôt complexé, ce qui complique davantage la situation.
Êtes-vous satisfaite de l'évolution de la femme africaine et burkinabé?
Il y a un début d'amélioration, mais le processus est lent. Dans beaucoup de pays africains où l'Islam pèse de tout son poids, les femmes sont voilées et confinées à des rôles domestiques. Au burkina, nous avons la chance d'échapper à l'emprise du voile. Des initiatives sont prises par les plus hautes autorités de l'Etat pour la promotion de la femme. Il y a moins de brimades ici. À travail égal correspond un salaire égal. Il y a d'énormes progrés au Burkina pour encourager la femme à se mettre en valeur et à se développer. On peut se féliciter d'être en avance sur nombre de pays.