D'origine congolaise, Gilda Rosemonde Moutsara-Gambou (4e prix du concours de la Meilleure nouvelle organisé en 1998 par l'ACCT) vient de publier son premier roman "Les nouvelles d'Éloïse" aux éditions Plume d'Ailleurs. Cette jeune écrivain - qui fut blessée par des éclats d'obus pendant la guerre civile qui embrasa Brazzaville en 1997 - se dit être toujours poursuivie par les "peurs" de cet effroyable conflit. Pour elle, l'acte d'écrire doit être considéré comme une mission. A cœur ouvert, elle nous parle de son itinéraire et de son livre. |
Comment en êtes-vous arrivée à l'écriture? Est-ce que quelque chose vous y a poussée ?
L'écriture a toujours été pour moi une passion. J'ai commencé à écrire très jeune. Quand j'étais au collège, j'écrivais de petites histoires. C'était un passe-temps pour moi. J'étais très admirative quand je lisais les auteurs de chez moi, comme Tchicaya UTam'si, Jean Baptiste Taty Loutard, Marie Léontine Tsibinda. Chaque fois que je lisais leurs œuvres, je me mettais à leur place. Je me disais: il faut que j'écrive moi aussi. Cette idée a fait son chemin. Quelques années plus tard, j'ai commencé à écrire avec assiduité. Avec le temps, j'ai décidé d'en faire un métier.
Le tournant dans votre vie d'écrivain a été, me semble-t-il, ce concours de l'ACCT en 1998 ?
En effet, j'ai participé au concours de l'ACCT en 1998, après la guerre civile de 1997 Pendant cette guerre civile, j'avais été blessée par des éclats d'obus. Ça été une période éprouvante pour moi. Pendant ma convalescence, j'avais renoué avec l'écriture. C'était devenu en quelque sorte un exutoire. Elle me permettait d'oublier le temps qui passait, mais aussi d'exprimer ce que je ressentais : l'injustice, ma préoccupation de comprendre les raisons de cette guerre, etc. L'écriture m'a permis de mieux exprimer mes sentiments. "Le socle en pleurs" a été l'une de mes nouvelles. En 1998, j'ai pris connaissance du concours de l'ACCT et j'ai décidé d'y participer avec cette nouvelle. Mais j'avoue que j'ai été encouragée par mon entourage. Et j'ai été agréablement surprise d'apprendre que je faisais partie des lauréats.
Dans l'une de vos nouvelles, on peut lire: "Ecrire c'est se réconcilier avec soi-même, avec ses joies, mais surtout ses peurs et ses angoisses". Est-ce que vous voulez parler de vous, de votre expérience ?
Aujourd'hui, ça fait plus de dix ans que cette guerre a eu lieu. Mais les peurs que j'ai vécues en ce moment-là m'habitent toujours. Je suis partie du Congo pour oublier ce passé douloureux, mais je me rends compte que ces peurs me poursuivent toujours. Chaque fois que j'écris, je me replonge dans le passé. J'ai du mal à faire abstraction de mon passé qui est la source de mon inspiration. Il me permet également de bien comprendre le présent.
Pourriez-vous à présent nous parler de votre livre qui est, en fait, un recueil de nouvelles ?
"Les nouvelles d'Éloïse" c'est d'abord l'histoire d'une écrivaine nommée Éloïse qui relit un de ses vieux manuscrits. Il se trouve que ce manuscrit est un recueil de nouvelles. Au cours de cette lecture, Éloïse part à la rencontre de ses personnages. Ceux-ci se manifestent à elle par le biais de la magie des mots. Ainsi, Éloïse s'interroge sur le lien qui existe entre la réalité et la fiction, mais surtout entre un auteur et ses personnages. Le manuscrit d'Éloïse compte 18 nouvelles parmi lesquelles il y a "Le rêve de Patou". Ici, j'évoque les problèmes de transport. Patou est un lycéen vivant à Brazzaville et qui, dans un rêve, se voit prenant le métro pour se rendre au lycée. A son réveil, il est confronté à la réalité: à cause d'une pénurie d'essence dans la ville, il doit se battre pour trouver une place dans un bus. "L'ivraie" met en scène deux personnages engagés en politique. D'un côté, il y a un homme assoiffé de pouvoir et qui s'autoproclame "député à vie" de sa circonscription. De l'autre, il y a un jeune qui, malgré son ambition de changer les choses, tombe dans le piège de la corruption et accepte de jouer le rôle d'opposant de façade. Dans "La lampe luciole", il s'agit de problèmes d'électricité. Caroline achète une lampe luciole pour permettre à son fils d'étudier à la maison. Malheureusement, cette initiative va lui coûter très cher. Son fils mourra dans un incendie. "Le mouroir" est une nouvelle qui décrit la politique de santé dans un pays africain, et "Sel piment" nous plonge au cœur d'un complot politique. Quant à "L'initiative de Berthe", elle sensibilise l'opinion publique sur le manque de tables-bancs dans certaines écoles publiques. "La béquille de bois" évoque la souffrance ainsi que l'avenir incertain d'un enfant, blessé de guerre. Dans "les bidons jaunes", je décris comment les populations vivent le manque d'eau au quotidien et à quels dangers elles s'exposent quand elles tentent de résoudre ce problème par leur propre initiative. Il y a aussi "Le panier de Léonie", nouvelle dans laquelle j'aborde la question de la baisse du pouvoir d'achat. "La stèle de l'immigré inconnu" est une nouvelle sur l'immigration clandestine. C'est l'histoire d'Hugo dont le corps est retrouvé sur une plage de Malte. Ce dernier revient raconter sa fin tragique à sa mère à travers un songe. Ce sont là quelques nouvelles dans lesquelles j'essaie d'éveiller la conscience collective face aux problèmes dont l'urgence n'est plus à démontrer. Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir le reste !
Quand on lit ce recueil, on est plongé dans l'univers congolais. Ce qui attire l'attention du lecteur - vous l'avez relevé - c'est le rapport qu'Éloïse entretient avec les personnages de ses nouvelles. Est-ce à dire que vous entretenez des relations privilégiées avec ses personnages, lesquels s'imposent à elle comme des êtres véritablement indépendants ?
Quand j'écris, je pars, bien sûr, d'une idée. Au fur et à mesure que j'avance dans l'écriture, je fais le constat qu'il y a des personnages qui s'imposent à moi, qui ont quelque chose à raconter, malgré le plan que j'ai établi. Je me sens poussée par des voix invisibles, par une nouvelle inspiration qui vient, pour ainsi dire, court-circuiter l'inspiration initiale. Alors je laisse libre cours à cette inspiration. Lorsque je relis mes écrits, je découvre qu'il y a des intrus dans mon histoire, des gens qui parlent d'eux, de leur vécu, de leurs expériences. Je ne peux malheureusement pas faire abstraction d'eux, tellement ils se confondent à mon histoire. Il y a une relation privilégiée qui s'établit entre eux et moi.
Vous êtes très critique à l'égard des hommes politiques. Il y a dans ce recueil un personnage qui s'auto-proclame "député à vie" dans "L'ivraie". Et ce personnage affirme que "la politique, ce n'est pas compliqué; c'est tout simplement savoir dire aux autres ce qu'ils veulent entendre".
Je me suis mise dans la peau d'un homme politique pour comprendre son acharnement à vouloir conserver le pouvoir. C'est quelque chose qui m'interpelle. Dans cette nouvelle, j'ai voulu comprendre les motivations de ce député qui tient à conserver son siège. Il définit sa notion de la Politique, il confie sa recette. D'après lui, pour être aimé par le peuple, pour être élu, il faut dire aux populations ce qu'elles voudraient bien entendre, donc mentir. C'est la raison pour laquelle les populations ne croient plus aujourd'hui aux hommes politiques. Il y a un grand fossé entre ce qui est dit pendant les campagnes et ce qui se fait après une élection. En écrivant cette histoire, j'interpelle en fait les politiciens; je les exhorte à prendre conscience de cette crise de confiance qui existe entre eux et les populations. Il est impérieux pour que les démocraties africaines se consolident que les hommes politiques apprennent à tenir leurs promesses.
Justement, en parlant des populations, elles ne sont pas tout à fait inactives dans votre recueil. On le voit dans "L'initiative" de Berthe" qui met en scène des parents d'élèves qui s'organisent pour acheter des tables-bancs afin d'offrir à leurs enfants de bonnes conditions d'études.
C'est beaucoup plus pour interpeller la conscience collective. Nous sommes dans un pays en pleine reconstruction. A travers cette nouvelle, je voulais dire que la construction n'est pas seulement l'affaire des politiques, il faut également que les populations apportent leur pierre à l'édifice. Plus il y aura d'initiatives, plus les problèmes trouveront des solutions.
Pour vous l'écriture, c'est un moyen de décrire la réalité sociale et de la transformer en même temps ?
Je le dis dans mon livre: c'est une mission. Les intellectuels doivent prendre leurs responsabilités en essayant d'éveiller les consciences. En tant qu'écrivain, je le vis en tout cas comme une mission. Il faut que nous mettions le doigt là où ça fait mal. Mon livre, c'est un questionnement. Je veux également qu'en refermant mon livre, les gens s'interrogent eux aussi sur certains problèmes de notre société.
Est-ce que vous avez eu des problèmes pour publier ce premier livre ?
J'avoue que je ne l'ai pas proposé aux maisons d'édition. Je l'ai édité moimême. Je voulais suivre sa fabrication du début jusqu'à la fin. Ce livre a été pour moi comme un enfant. Ça a été une grande aventure. Je ne le regrette pas. Car c'est un projet qui me tenait à cœur.
Propos recueillis
par François Bikindou
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