Pour un coup d'essai, c'est un coup de maître. Pour cette rentrée littéraire, deux auteurs, Evariste Fogang et Alix Ndefeu, nous livrent un beau livre pimenté. Nous avons rencontré Alix Ndefeu à Marseille où elle nous parle de la Femme, de l'écriture, de l'Afrique. |
Qui êtes-vous ?
Je suis née au Cameroun, j'y ai grandi. Très jeune, l'ai eu envie d'être pharmacienne. Ma famille m'a beaucoup aidée et soutenue ; c'est ainsi que je suis venue en France après le bac. Je vis à Marseille depuis plus de huit ans.
Comment êtes-vous arrivée à l'écriture ?
Par un concours de circonstances. Au collège, j'étais passionnée de littérature. J'ai fait un peu de théâtre. Mais très vite, les études ont pris le dessus. Travailler avec Evariste Fogang a été capital : tout a commencé par une pièce de théâtre (Asmaa) que nous avons montée. Au fil des jours et des conversations, des histoires sont nées. Avec beaucoup d'heures de travail, on est arrivé au livre "Lunes du Sahel". Non seulement j'ai beaucoup appris, mais en plus, Evariste m'a donné le courage de travailler. C'était vraiment génial !
Vous signez votre premier livre. Pourquoi avoir commencé par la nouvelle ?
La nouvelle est un style qui demande rigueur et rapidité dans la narration. Chaque mot compte. Chaque détail a une importance dans le déroulement de l'intrigue. C'est ça qui est intéressant; les histoires se nouent et se dénouent vite. Le lecteur n'a pas le temps de s'ennuyer. Dans "Lunes du Sahel", on entre dans l'intimité de plusieurs hommes et femmes, des destins de personnes comme vous et moi, à la fois proches et lointaines.
Que signifie ce titre "Lunes du Sahel" ?
Il n'y a rien de plus libre que l'explication du titre d'un livre. C'est une émotion qui est aussi variée que le nombre de personnes qui s'y attardent. Le Sahel est une région semi-aride qui, dans un passé plus ou moins lointain, a connu une luxuriance. Bien que le dessus soit sec, le sous-terrain regorge d'eau. Le challenge est de pomper cette eau pour nourrir la terre. Le Sahel est donc une transition qu'il faut savoir négocier, sinon l'évolution en désert totalement aride est inéluctable. "Lunes" en rapport avec le fait que la nuit est le moment privilégié pour se raconter des histoires en Afrique. Histoires souvent abordées sous des angles différents.
Dans votre livre, vous abordez plusieurs problèmes sociaux. La femme est au centre. Dans l'une de vos nouvelles, on assiste à un mariage arrangé entre Duke et Amina. Que pensez-vous de ce type de mariage ?
Cela dépend du contexte. Je ne peux pas totalement rejeter la possibilité de permettre à des personnes de se rencontrer, le reste étant une question d'affinités. Cela se fait aussi bien en Afrique dans d'autres civilisations. Je fais référence aux mariages arrangés entre gens de même niveau social. Malheureusement, il y a des cas de mariages où les personnes sont malheureuses. Pire encore, des cas de mariages forcés. C'est terrible ; de telles pratiques ne devraient plus exister. Tout le monde a droit au bonheur. Dans la nouvelle "L'illusion mijotait", il y a un ordre moral dicté par la société. Ce sont les parents qui ont décidé du mariage. Amina est à la poursuite d'un rêve: se marier avec un homme de la ville. Le rêve se réalise mais le bonheur espéré est-il au rendez-vous ? C'est un autre débat.
Souvent, certains hommes ont l'impression que la dot est le prix qu'ils paient pour disposer d'une femme, et cela conduit à la soumission, puis à la violence conjugale comme si la femme était une esclave ou un objet. Quelle est votre opinion ?
Il y a bien sûr des hommes qui, après avoir versé la dot à la belle-famille, se considèrent "propriétaires" ou "titulaires"; et, dans ces cas, la vie de la femme mariée est une vie d'esclave. Il lui faut effectuer sa lourde tâche (sexualité, maternité, travail ... ) dans le mépris de son mari. C'est une honte à la fois pour les parents qui vendent leurs enfants en demandant des sommes d'argent élevées, et pour ceux qui les achètent. Avec cet aspect mercantile du monde moderne, on est loin de la coutume. Autrefois, la dot était symbolique. Les présents donnés à une famille pour prendre leur fille devaient servir à un garçon de cette famille pour se marier à son tour. Tout est devenu argent. A côté de cela, il y a des hommes qui considèrent la dot à sa juste valeur, c'est-à-dire comme une formalité coutumière. Mais ceux-là risquent d'être vite rattrapés par le jugement de la société. Pour ne pas être considérés comme des parias, ils peuvent se comporter comme les autres. Il y a un grand travail d'éducation à faire à ce sujet. Il ne faut pas non plus oublier que, dans certaines familles, il n'y a pas de dot. Dans ces traditions, une famille ne sera pas dotée si sa mère ne l'a pas été.
Vous avez co-signé ce livre avec Evariste Fogang. Est-ce une façon de pouvoir observer la société avec deux regards : celui d'un homme et celui d'une femme ?
Il est évident que deux personnes qui travaillent sur un sujet ne l'aborderont pas exactement de la même façon. Chacun apporte une richesse personnelle du fait de son bagage culturel et intellectuel. En plus, un homme et une femme n'ont pas forcément les mêmes centres d'intérêt. Toujours est-il qu'un livre écrit à quatre mains est une belle expérience. Cela évite entre autre de faire du "nombrilisme". L'échange est très constructif.
Les écrivains disent toujours que l'écriture est un acte de solitude. N'est-ce pas difficile d'écrire à deux, surtout si l'autre est du sexe opposé ? Quels ont été vos principaux points de divergence ?
Bien sûr, écrire à deux peut poser problème. On a eu des divergences sur la manière d'aborder tel ou tel sujet, sur le choix des mots ou encore sur le dénouement d'une intrigue. Mais ne sont-ce pas les divergences qui permettent d'avancer ? C'est grâce à ces heures de discussion et d'échange que 'Lunes du Sahel" existe.
Une fiction se nourrit de la réalité, dit-on. Comment trouvez-vous les idées pour vos histoires ?
On s'inspire de tellement de choses. Dans la vie de tous les jours, on est confronté à des situations toutes plus enrichissantes les unes que les autres: la vie est un grand théâtre ouvert. Il arrive qu'on s'inspire des souvenirs personnels ou empruntés. A la fin, il y a un grand travail de création, beaucoup d'éléments de fiction pour aboutir à une nouvelle ou à un roman.
A votre avis, quel rôle la Femme doit-elle jouer pour la développement de l'Afrique ?
Il y a beaucoup de littérature sur la femme africaine. Une chose est sûre, son statut social s'est détérioré au fil du temps et des différentes crises qui ont bouleversé l'Afrique: la traite, la colonisation, le néo-colonialisme, la crise économique et, maintenant, la mondialisation. L'urgence est désormais que les femmes reprennent une place en politique, comme c'était le cas dans la préhistoire, et, plus proche de nous, avant la traite négrière où la société était souvent matriarcale. Les femmes peuvent avoir des idées géniales, encore faudrait-il qu'elles aient droit à la parole. Parler, se faire entendre pour espérer un changement. Je parlerai aussi du rôle économique que jouent les femmes en Afrique. Grâce à leur courage et souvent dans le secteur informel, les femmes ont su se maintenir et même créer un véritable business. Je fais référence aux Nanas Benz de la Côte Ouest de l'Afrique. C'est un exemple à suivre. Plus les femmes seront indépendantes économiquement, plus elles seront libres de réfléchir à la société, sans oublier d'être mère ou/et épouse. Ceci dit, même dans les pays dits développés, on a été obligé de légiférer pour instaurer la parité hommes/femmes sur la scène politique.
Avant de finir, je voudrais vous demander deux conseils pour les lectrices d'Amina. d'abord, puisque vous abordez ce thème dans votre livre, que conseilleriez-vous à ces jeunes filles prêtes à se jeter dans les bras d'un homme parce qu'il vient de la ville ou d'Europe ? Puis, quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui veulent se lancer dans l'écriture ?
Les jeunes filles africaines doivent se prendre en main, s'ouvrir au monde, s'informer, s'éduquer, et éloigner d'elles toute naïveté. La nouvelle "De rien ma vitamine" en parle bien. Croire qu'en s'unissant à quelqu'un qui vit en Europe ne peut que vous apporter du bonheur est un leurre. Car, même en Europe, il faut travailler dur pour gagner sa vie. Il faut combattre l'ignorance et la naïveté ! Pour ce qui est de l'écriture, quand on a des choses à partager avec le reste de la société, il ne faut pas hésiter. Certes, il faut faire preuve de beaucoup de persévérance, mais quel bonheur de voir ses personnages vivre comme s'ils avaient toujours existé. Il faut commencer à écrire sans se préoccuper de la fin car vous ne la saurez pas avant d'avoir fini.
Mais ne nourrit-on pas toute l'histoire, du début à la fin, dans sa tête ? Ne la laisse-t-on pas mûrir avant de la coucher sur papier ?
En effet. Au début, on a la charpente, l'ossature de l'histoire, du début à la fin, mais en écrivant, on modifie et on ajuste...
Je vous laisse le dernier mot. Je vous remercie et vous souhaite bon vent dans le milieu littéraire.
Merci de m'avoir permis de parler aux lecteurs et lectrices d'Amina. La situation actuelle de l'Afrique n'est pas une fatalité. Nous devons prendre notre destin en main. Dans "Lunes du Sahel', la femme est au centre. C'est le reflet de notre société, qui ne saurait exister s'il n'y avait pas d'hommes non plus. C'est ensemble que nous allons construire l'Afrique et le monde.
Propos recueillis
par Salim Hatubou