Woré Ndiaye Kandji, retenez bien ce nom! Elle vient de publier Nous sommes coupables aux éditions Phoenix Press International. Derrière ce titre accusateur et un brin provocateur, l'essayiste sénégalo-congolaise soulève des questions essentielles. Et apporte certaines réponses pertinentes. Son ouvrage, plutôt atypique, se situe entre le roman et l'essai. Il invite à la réflexion, au partage et à l'échange dans un monde devenu un immense village planétaire. Les propos de cette auteure new-yorkaise sont autant d'arguments en faveur de la « Renaissance Africaine ». Rencontre. |
Vous semblez être une activiste de la première heure. Les questions environnementales, la santé, le développement mais aussi les questions de genre sont autant des sujets qui vous passionnent. Comment vous définissez-vous?
Vous savez, c'est justement à ce niveau que se situe la difficulté pour moi: je ne sais pas comment me définir. Mais je peux vous dire que je suis passionnée par ce qui porte sur le devenir de la femme. J'ai un grand intérêt pour l'humanisme de l'individu, pour la défense des causes de ceux qui ne peuvent le faire pour eux-mêmes. J'aime promouvoir le respect de la dignité humaine, et je crois aux valeurs ancestrales les plus riches de notre continent. Et ces valeurs, justement, ne peuvent être approchées sans l'apport de la femme, car tout commence par et avec elle. Je pense être une humaniste pure et dure.
En quoi consiste votre rôle au sein du Global Information Network?
Global Information Network est une organisation spécialisée dans la vente d'informations en général. Elle est présidée par Lisa Vives, une amie qui est très intéressée par l'Afrique. Lisa trouve que les médias américains ne donnent pas assez d'importance aux questions concernant le continent africain. Elle est donc très impliquée dans la mise en valeur de ces informations. Le Global Information Network organise des forums de discussion traitant des questions sur l'Afrique, telles que la mal gouvernance, le journalisme d'investigation, etc. Nous invitons pour cela des spécialistes qui viennent du monde entier. Certes, mon travail à Global Information Network est à temps partiel, mais mon implication dans l'organisation des forums et dans la promotion des valeurs purement africaines est totale. À côté de ça, lorsque nous avons des invités francophones, je me charge de la traduction.
Pourquoi avoir écrit Nous sommes coupables? Et pourquoi ce titre?
J'ai écrit Nous sommes coupables lorsque j'étais enceinte de mon premier enfant. À l'époque, je passais énormément de temps à penser aux leçons que j'avais apprises de ma mère et qui devaient m'aider à être une mère dévouée. J'ai commencé à les répertorier. De fil en aiguille, cela m'a mené à une analyse extraordinaire: je me suis rendu compte que tout ce qui allait faire de moi une mère exemplaire n'allait pas servir qu'à ma fille. C'était des valeurs dont la communauté entière allait profiter. Puis j'ai commencé à réfléchir et me suis posé la question: « Si je n'avais pas appris toutes ces leçons de ma mère, qu'aurais je aujourd'hui à transmettre à mon enfant comme valeurs? » Répondre à cette question me fit réaliser qu'être une femme nécessite une formation très rigoureuse et que lorsque cette formation sociale fait défaut, notre monde s'effondre, tout simplement. Car c'est nous qui nous chargeons de l'éducation de nos enfants. Et lorsque nos fils manquent d'humanisme et ne mettent pas l'accent sur les besoins des femmes dans leurs conseils des ministres; lorsqu'ils ne pensent pas à mettre les cases de santé là où il faut; ne construisent plus d'hôpitaux pour faciliter nos accouchements, c'est que nous avons échoué à leur inculquer ces notions de gouvernance. Il y a une chose qui est très importante et évidente : qu'importe le nombre de diplômes que l'individu peut avoir et combien il est un expert dans son domaine, s'il n'a pas de compassion et d'humanisme. S'il ne se connecte pas au reste du monde, il n'exercera jamais son travail comme il faut, car il le fera pour nourrir son ego. Lorsque cet humanisme manque chez nos enfants, il faut se demander si nous les femmes, n'avons pas échoué quelque part. Donc le titre Nous sommes coupables invite à une nouvelle approche féminine des problèmes de l'Afrique, car il ne faut pas oublier que la femme, chez nous, occupe une place à part dans la société: elle porte toutes les tares de la société sur ses épaules. Non seulement elle les porte humblement mais elle est en plus censée les résoudre. Pendant les guerres, elles sont violées, lorsque, pour une raison ou une autre, le pouvoir d'achat baisse, elles doivent faire preuve d'imagination et d'esprit d'initiative pour nourrir la famille. J'ai souhaité qu'on se regarde dans les yeux et qu'on se demande où est notre responsabilité dans les échecs de notre continent.
Justement, quel devrait être, selon vous, le rôle de la femme africaine sur notre continent aujourd'hui?
Je pense que malgré les embûches et le contexte pas toujours favorable, les femmes africaines tiennent leur rôle avec beaucoup de mérite. Ce que je leur demande, c'est juste plus de persévérance et d'engagement dans l'éducation des enfants. Elles doivent aussi s'insurger contre les mauvaises politiques de développement. Il est important qu'elles s'attachent à conserver ce qu'il y a de plus noble dans nos traditions. Enfin, elles gagneraient à faire savoir aux autres composantes de la société qu'elles ont leur mot à dire dans tout ce qui se passe sur le continent.
Pourquoi à la fois rendre hommage aux femmes africaines, et leur parler sur un ton accusateur? Ne craignez-vous pas que votre message soit moins bien compris?
Pas du tout! J'ai commencé par rappeler quelques vérités, car je voulais qu'on se dise la vérité. Et la vérité, elle n'est ni bonne à dire ni facile à digérer, même lorsqu'elle vient de notre propre mère. Le livre est écrit sur le ton de la confidence, de l'amitié et de l'amour. On dit en wolof que seule ta sœur ou celle qui t'est proche aura le courage de t'expliquer qu'il y a une mauvaise haleine qui se dégage de ta bouche. Je voulais donc, par ces écrits, renforcer le lien qui m'unit à mes sœurs, mais en utilisant l'angle de la conscientisation dès la première page. Je ne crains pas que mon message soit moins bien compris car je ne peux pas défendre les femmes et leur mentir. Si nous voulons relever notre Afrique, nous devons étudier toutes les possibilités pour y parvenir. Et pour mieux souligner que nous sommes bien coupables quelque part, j'aime évoquer des faits qui ont marqué ces derniers temps la Tunisie et la Côte d'Ivoire: quelle est la part de responsabilité de Mmes Leila Ben Ali et Simone Gbagbo dans le refus de leurs époux à quitter le pouvoir?
Votre livre commence avec l'évocation de Diaga, (une chanson de l'artiste sénégalais Thione Seck) et il se termine également sur une réflexion et surtout une compréhension du sens de cette chanson. Passage émouvant, d'ailleurs, avec une prise de conscience de Nabou, une de vos héroïnes. Pouvez-vous nous en parler?
Avec un réel plaisir! Honnêtement, c'est une question à laquelle je ne m'attendais pas du tout, et j'en suis toute émue. Pourquoi Diaga? D'abord parce que Thione Seck est un homme dont j'ai toujours aimé les paroles des chansons. Les thèmes évoqués ont coïncidé avec certains faits de ma vie. Dans une de ses chansons, alors que je n'avais pas encore 5 ans, il parlait de la déception d'un individu qui avait été trompé par la personne qu'il aimait. Et pour moi, chaque fois que je me suis sentie trahie par une personne qui occupait une place importante dans ma vie, la mélodie de cette chanson m'est revenue. Grâce à elle, je sais que la vie est ainsi faite. Raison pour laquelle il ne faut jamais cesser de donner de son amour. Au début des années 90, il a sorti une chanson qui s'appelait "Papa", c'était un hommage à son père, et moi je venais de perdre le mien. C'est dans ces moments-là que l'on réalise qu'on ne rend pas toujours justice à ces hommes qui sont nos papas, nos oncles, nos frères, nos maris. Parfois on oublie tout simplement de les remercier pour tout ce qu'ils font pour nous. La chanson de Thione m'a aidé à supporter le vide créé par la mort de mon père à qui je ne cesse de dire au fond de moi « merci mingui (papa), où que tu puisses être, merci mille fois ».
Sans le savoir, Thione Seck a donc eu grand impact sur votre vie...
Énormément, même par rapport à la sortie de mon livre. Lorsqu'en 2010 je l'ai fait parvenir aux éditions Phœnix, après avoir essuyé des refus d'autres maisons d'édition cinq ans auparavant, ils l'ont beaucoup aimé. Le livre devait paraître en décembre, mais à ce moment-là, la maison d'édition m'avait proposé d'ajouter une page afin d'expliquer que ce que je disais dans la partie de l'essai qui sortait de la bouche d'un personnage que j'avais créé. C'est à cette période-là que j'ai entendu la chanson Diaga de Thione Seck. J'ai versé des larmes lorsque j'ai analysé les mots un à un. C'était trop beau. Cette fois-ci ce n'était ni sa mère ni son père, mais son épouse qu'il vénérait, et à travers elle, toutes les femmes. Or, heureuse coïncidence, mon livre soulignait l'extraordinaire rôle de la femme dans la société. J'ai alors dit à mon éditeur qu'il me fallait plus qu'une page. C'est ainsi que sont nés les personnages de Nabou Camara et de Ganegui. C'était ma façon à moi de dire merci à Thione Seck. Et puis, je considérais que lui et moi chantions la même chanson: lui dans ses paroles et dans sa musique et moi sur mon clavier d'ordinateur. J'avais traduit toute la chanson dans le livre, malheureusement je n'ai pas pu le contacter pour obtenir l'autorisation d'utiliser son texte. Et comme cela risquait d'ajourner la parution du livre, j'ai alors décidé d'annuler cela et de ne conserver qu'une portion de la chanson. Je me dis qu'il faudra que je fasse tout pour le contacter un de ces jours afin de lui expliquer l'impact qu'il a eu dans ma vie.
Vous évoquez superbement bien le sens de l'amour et son caractère insuffisant pour que tienne un couple. Vous évoquez alors le Ngor, un mot wolof, que l'on ne trouve pas dans les autres langues. Pourquoi selon vous le Ngor a plus de force que l'amour seul ?
Le Ngor pour moi est une forme supérieure d'amour. C'est une vertu extraordinaire qui est indispensable dans toute relation, spécialement dans la vie de couple. Comme me l'a fait comprendre un ami, l'amour est présent à des degrés différents. On voit des couples qui s'aiment mais qui se déchirent sans arrêt. J'ai aussi évoqué l'exemple d'une femme qui a soutenu son mari pendant des décennies et qui se réveille un jour en disant qu'elle en a marre. Cela démontre que l'amour à lui seul ne suffit pas pour bâtir et maintenir un couple pour une durée indéterminée. On a besoin d'autre chose. C'est le Ngor. Ce mot est difficile à traduire. Il est la combinaison de toutes sortes de vertus: c'est l'engagement envers l'autre, la compassion, la détermination, la volonté de tout surmonter, l'humilité. C'est la force qui fait dire que l'on est là, point final; et rien ni personne ne cassera notre envie d'être là. C'est l'amour en majuscules!
Votre livre donne une vision intéressante du caractère subjectif des faits. Vous évoquez notamment la polygamie qui, dans la bouche d'Oumy, est positive. En tant que jeune femme moderne et ayant beaucoup voyagé, quelle est votre position au sujet de la polygamie? Pensez-vous qu'elle a sa raison d'être?
Ah la polygamie! L'éternel problème de la polygamie. Ma position au sujet de la polygamie est claire et explicite dans le livre. Je dis simplement que lorsque j'avais 19 ans, je ne pouvais concevoir l'idée de devoir avoir une coépouse. L'idée à elle seule me donnait des maux de toutes sortes. Il m'a justement fallu m'ouvrir au reste du monde pour comprendre la raison d'être de la polygamie. Elle a beaucoup de raisons d'être, surtout aujourd'hui. Notez bien le mot « surtout ». Chaque époque a vu des hommes voyager, partir et laisser les épouses derrière. Au début c'était les guerres, puis les maladies qui décimaient, puis l'exode rural et aujourd'hui la mondialisation, l'immigration. Les hommes partent et laissent leurs épouses pour une durée indéterminée. Sans oublier que les statistiques montrent que les hommes ont une espérance de vie plus courte que les femmes. Dans certaines parties du globe, on assume la polygamie, dans d'autres on évoque le concept de premier et deuxième « bureau », tandis qu'ailleurs, les hommes se cachent pour tromper leurs épouses et les épouses sont au courant tout en faisant semblant de tout ignorer. Le débat sur la polygamie est plus nuancé et mérite qu'il soit engagé avec beaucoup de lucidité, sans passion ni préjugés. Dans certaines sociétés, la polygamie peut être un bon régulateur.
Contrairement aux apparences et au titre, votre essai est plein de positivité et surtout d'espoir. Comment, pour finir, vous pourriez donner envie à nos lecteurs de lire Nous sommes coupables?
Nous sommes coupables est un des rares livres dans la littérature africaine qui aura combiné le roman et l'essai avec une étude intrinsèque de la nature de la femme africaine moderne. Je l'ai écrit avec un humour bien à moi, comme si je parlais à mes copines, comme si nous racontions une histoire autour d'un bol de « Saka saka » et de « Ndounda », avec un fond de musique de Salif Keita ou de Baaba Maal. Je l'ai écrit pour nous exhorter à nous réveiller. C'est une sorte d'abécédaire du « self help » afin que nous soyons conscientes de ce que c'est que de vivre tout simplement. Après avoir lu ce livre, plus aucune femme ne sera comme avant. Un déclic se sera déclenché en elle. Il est marrant que même les hommes qui ont lu ce livre me disent qu'ils acceptent de se sentir coupables. Alors certains l'appellent Nous sommes « tous » coupables.
Le mot de la fin?
Lorsque l'on écrit un livre aussi controversé que Nous sommes coupables, les opinions et discordes ne peuvent être tues. Mais ce qui est important c'est d'être compris.
Propos recueillis
par Renée Mendy
Contact: https://worendiayekandji.com/