Sylvie Ntsame, originaire du Gabon, vit à Libreville. Elle est fonctionnaire de l'administration gabonaise, en poste auprès du Premier Ministre. Présidente d'associations, mère de quatre enfants, Sylvie Ntsame est aussi écrivain. Son dernier ouvrage "Mon amante la femme de mon père" est un roman riche en émotions qui raconte une relation indécente existant dans une grande famille. Interview. |
Pouvez-vous nous retracer votre parcours sur le plan professionnel ou encore associatif.
Je travaille à Libreville au cabinet du Premier ministre depuis neuf ans. Je suis écrivain et m'occupe de deux associations. Je suis présidente de "l'Union des écrivains gabonais" depuis 2006. Pour faire connaître le livre gabonais au niveau national et international, nous organisons des caravanes littéraires, des concours littéraires et des cafés littéraires. Tous les écrivains du pays sont a priori membres et certains sont sympathisants. "L'Union des écrivains gabonais" existe depuis le 29 avril 1987. Cette association et l'Education Nationale a permis que les œuvres gabonaises soient étudiées à l'université et au lycée. Mon autre association "Sourire à l'enfant démuni" a été créé en 2001, car j'ai constaté que les enfants souffrent à Noël. Certains ne peuvent pas recevoir de cadeaux de leurs parents. Le sourire est très important. Il faut donner à ceux qui n'ont rien et ils nous le rendent par le sourire. J'aime m'occuper de ceux qui n'ont rien. Il faut les entourer d'attention. Depuis 2001, cette association est reconnue, mais elle ne se limite pas uniquement à la diffusion de cadeaux à Noël : je souhaiterais dans un proche avenir accompagner certains enfants dans leur scolarité. Donc il nous faut des fonds, et voir comment nous pouvons assurer tout cela.
Qu'est-ce qui vous a donné le goût de l'écriture ?
J'ai commencé à écrire très jeune. A mon époque, nous lisions Arlequin. J'étais une passionnée. Et quand je n'avais pas d'argent, j'inventais une histoire à ma mère pour m'acheter deux ou trois livres. J'avais déjà une bibliothèque. Je lisais Agatha Christie, et aussi tous les romans qui sortaient. C'est après avoir lu tous ces livres que, un jour, j'ai écrit un roman d'amour, "Quand l'heure de la séparation sonna", un ouvrage que je n'ai pas publié : j'étais en 6e, donc je n'avais pas les moyens. Il fallait vraiment avoir la volonté d'écrire. J'allais voir ceux qui avaient des machines à écrire et leur donnais mes textes, mais c'était très cher. Je suis revenue à l'écriture en 2001 à cause de situations personnelles qui m'ont vraiment touchées. J'ai publié un ouvrage purement didactique, "La correspondance administrative et diplomatique", après quoi j'ai voulu montrer que je pouvais passer d'un thème à un autre avec "La fille du Komo", qui est pour moi ma plus belle œuvre, puis en 2005 "La malédiction", et maintenant "Mon amante, la femme de mon père".
De quoi parle votre dernier ouvrage ?
C'est une relation à trois entre un fils Nzé-Mendang, Ngonetang, la troisième femme de son père et son père, Mendang, Nzé-Mendang fait trois enfants à la femme de son père. Au troisième enfant, Mendang décide de punir cette relation indécente qui nuit au bon fonctionnement de la famille et même au village. L'enfant nommé Misse est né albinos. Mendang fait appel au sorcier qui lui donne une potion pour piéger le temple de sa troisième femme. Ainsi plus personne n'aurait accès à son temple sauf lui. Mais tous les personnages rencontreront de nombreuses péripéties...
Vous parlez beaucoup de la femme par le biais de Ngonetang. Quel est son rôle dans la tradition gabonaise ?
Très important. La femme est dépositaire des valeurs. Dans un village, elle est le centre, elle dirige la famille. L'homme est là, mais c'est elle qui donne l'idée maîtresse quand le mari va régler un problème au dehors. La femme nourrit la famille, le plus gros du travail repose sur elle. Au village, sur le plan sentimental, tout ce qui concourt à l'épanouissement de la femme sans qu'il y ait un homme autour est vu d'un mauvais œil. Quand on parle d'adultère, la femme est sanctionnée mais pas l'homme. D'ailleurs on dit souvent que c'est normal. Ce sont les hommes qui ont fait les lois, et pour se protéger eux-mêmes, ils ont placé la femme dans une situation qui fait qu'elle n'a pas beaucoup de liberté de mouvement.
Vous abordez aussi la polygamie avec Mendang. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?
Je ne fais que tirer la sonnette d'alarme. En ce qui me concerne, je ne suis pas pour la polygamie. Quant aux autres, je ne leur dirai pas de faire comme moi. J'ai un certain nombre de priorités qui font que je ne succombe pas à la polygamie. Le bonheur pour moi tient à peu de chose: bien manger, aller me balader, faire ce qui me plaît. Lorsqu'on vit une situation de polygamie, il est difficile de jouir de certaines libertés car il y a d'autres femmes à côté, les enfants... Et puis il y a le Sida !
Vous voulez transmettre votre tradition et vos coutumes? Quel est le pincipal message de votre dernier roman ?
Ngonetang s'est marié, mais cette relation ne l'honore pas. Je veux donc dire aux femmes de ne pas commencer des relations qui ne nous honorent pas, surtout si on sait que ces relations ne nous apporteront rien. Deuxièmement, il faut toujours faire attention à ceux qui nous entourent. Le message principal c'est l'amour car il nous permet de transcender les différences. Et quand on a ce sentiment fort, on peut faire face à ces deux problèmes et tout arranger dans un cadre, dans un sentiment d'amour comme à la fin de mon livre.
Craignez-vous que les coutumes et traditions gabonaises soient peu à peu oubliées ?
Bien sûr! A Libreville, il y a des familles qui ne parlent pas Fang, Punu, Ddzebie quand elles se retrouvent dans leurs maisons. Et les gens qui me lisent ne connaissaient pas l'existence de certaines choses. Pour moi, la tradition c'est ce que l'on donne à l'autre. Aujourd'hui, on parle de mondialisation qui donne à l'autre ce qu'il n'a pas, ce qu'il ne connaît pas et reçoit de lui ce qu'il a. Moi je ne peux perpétuer que ma tradition, je veux la dévoiler au monde. Ainsi, celui qui me lira saura comment le peuple gabonais se comporte. Ce livre peut devenir une référence.
Comment conciliez-vous toutes vos activités ?
Ce n'est pas facile ! Je suis fonctionnaire, je suis présidente de l'Union des écrivains du Gabon, mais aussi mère de famille. J'ai tellement de choses à faire qu'il m'arrive parfois de ne pas vouloir sortir le week-end ! Ma priorité dans ma vie, c'est mes enfants, et aussi mon travail car c'est grâce à lui que je nourris mes enfants et c'est grâce à mes enfants que je suis forte.
Quels sont vos projets d'avenir ?
D'abord écrire, écrire, écrire ! J'aimerais être riche pour aider les démunis. La chance d'une association, c'est qu'elle peut porter haut plusieurs idées.
Propos recueillis
par Géraldine Mambu