"Les hommes aujourd'hui n'ont
plus une position enviable"
Kacou Oklomin, qui vient de publier "Okouossai ou mal de mère", juge sévèrement la position de l'homme dans la société. Pour elle, son complexe de supériorité l'a amené à une cuisante défaite. |
Taille moyenne, le regard vif, elle affiche peu la gravité de tous ceux qui, chaque matin, se frottent à de volumineux dossiers. Notaire en formation, elle vient de publier aux Editions Ceda son tout premier ouvrage "Okouossai ou mal de mère". Pour l'heure, Kacou Oklomin ne se considère pas comme un écrivain engagé parce que, dit-elle, "bien que consciente et préoccupée par les difficultés socio-économiques que traversent nos jeunes pays, je ne pense pas encore avoir trouvé de suggestions valables à proposer dans le cadre de la recherche des solutions à ces problèmes".
A propos de votre roman, pensez-vous sincèrement que la souffrance d'un homme lui vient des autres?
Je le pense, en partant du principe que si l'on est isolé sur une île, on est surtout préoccupé par sa survie. Tout au plus serait-on confronté à l'agression des éléments naturels; ce qui, à côté des regards mesquins que pose sur nous autrui, ne représente qu'une épreuve dérisoire.
A quoi peut-on comparer la maternité dans la vie d'une femme?
C'est très important, c'est le problème le plus crucial de la femme, sans lequel elle ne se sent pas pleinement réalisée ou épanouie. La maternité est d'ailleurs à mon avis un acte égoïste, parce que la femme en ce moment précis pense plus à elle-même qu'à celui qu'elle porte. L'essentiel pour elle étant de concevoir, peu lui importe le sexe, la couleur du nouveau né, justement parce que en ses toutes premières couches la responsabilité lui échappe. Ce n'est que plus tard, soit autour de la quarantaine, que la femme vit pleinement la responsabilité de son acte. C'est alors qu'elle éprouve le besoin de faire un enfant pour l'enfant c'est-à-dire pour ce qu'il est.
Est-ce une vision d'écrivain ou une expérience vécue?
C'est une vision d'écrivain. Elle ne m'est pas personnelle, mais elle existe et reflète la situation de beaucoup de femmes.
En fait, qui êtes-vous?
(sourire, puis elle ajoute). Je suis une femme comme toutes les autres. Avec des soucis identiques à ceux que rencontre habituellement une mère de famille. Je suis notaire-stagiaire de religion catholique pratiquante selon mes états d'âme. J'estime que se rendre à la messe tous les dimanches n'est pas la meilleure manière d'exprimer sa foi. Je pense que la forme importe peu, l'essentiel c'est l'existence de la foi en elle-même. D'ailleurs, il m'est absolument impossible de me concentrer dans une église. Les gens, leur façon de se vêtir, de se comporter dans ce lieu me distraient considérablement. Et puis, après tout, la prière est un fait intime; je ne comprends pas comment il peut être possible de la vivre en public. Disons que la seule valeur que j'accorde à la messe du dimanche est que je la considère comme une fête de croyants, en l'honneur de leur Dieu. Je n'aime les fêtes que modérément.
Pensez-vous parfois que vous auriez dû naître homme?
Il est trop tard, je pense pour avoir ce genre de complexe. Il y a peut être cinquante ans, oui, j'aurais souhaité être homme. Mais à une époque où chaque jour qui passe voit des femmes faire leur preuve dans des domaines aussi sélectifs que l'astronomie, la politique, les travaux publics, la médecine et, pourquoi pas, l'écriture! Non, non, je me sens fort bien comme je suis. Que peut faire actuellement un homme qu'une femme ne peut faire? Non on ne parle plus en termes de sexe, mais de don personnel, de capacité. Et puis il faut dire que les hommes se sont pris au piège de leur fameux complexe de supériorité dans la mesure où ils n'ont plus la possibilité d'assumer les énormes responsabilités qu'implique un tel état. Ils en sont arrivés à revendiquer que leurs soeurs les aident à supporter une cuisante défaite. Les hommes, aujourd'hui, n'ont plus une position enviable.
Comment définissez-vous l'être humain?
Il m'est difficile de le définir dans sa globalité. Pour moi, chaque homme est un phénomène spécifique, une histoire, une légende. Il me faudrait des pages entières pour définir ce que je pense de l'homme.
Est-ce une préoccupation métaphysique?
Oui, je crois.
Votre conception de la différence des classes sociales me paraît tout de même sortir de l'ordinaire!
C'est en effet une manière utopique de voir les choses. Mais l'écrivain je crois, exagère volontairement. C'est une tactique, une stratégie pour y faire remarquer, pour attirer l'attention sur telle ou telle chose, ou tel phénomène social, culturel, économique. En dehors du fait qu'on peut la considérer en certains milieux comme une fatalité, je prends à ce propos le cas du personnage central de mon oeuvre.
Comment percevez-vous la stérilité?
On peut effectivement s'imaginer poursuivie par une fatalité, mais tout cela est question des influences reçues, de la civilsation et des croyances. L'homme est arrivé grâce à la science à expliquer certaines causes de la stérilité. Il existe certainement encore de multiples points qui gagneraient à être élucidés et auxquels on pourrait très bien trouver des causes mystiques. Je le répète, tout dépend des influences reçues. Il y a bien des domaines que la science n'arrive pas à expliquer. Je ne suis pas cartésienne à cent pour cent et ne désire pas le devenir. Cela me priverait d'une somme trop importante d'expériences nécessaires à ma réalisation en tant qu'individu.
Comment voyez-vous l'évolution de la littérature ivoirienne?
Je pense qu'elle ira en s'améliorant. Il reste encore beaucoup à apprendre. Pour l'instant, les gens lisent peu parce qu'ils sont surtout occupés à s'assurer une certaine sécurité matérielle. Ensuite, viendra le temps où ce problème résolu ils en viendront tout naturellement à se soucier de la qualité de leur esprit, alors les écrivains pourront peut-être prétendre vivre de leur plume.
Un écrivain, à quoi ça ressemble à votre avis?
(elle éclate de rire) Voyez vous-même à quoi je ressemble.
Mais non, il ne s'agit pas de cela!
Bien que consciente et préoccupée par les difficultés socio-économiques que traversent nos Etats, je me considère actuellement, surtout comme une spectatrice qui regarde et transcrit le spectacle qui se déroule sous ses yeux. Il m'est difficle de me poser en écrivain engagé car pour moi, l'écrivain engagé n'est pas seulement celui qui crie sa révolte, il doit aussi proposer des solutions nécessaires aux règlements des problèmes qu'il relève et je ne pense pas avoir encore trouvé de suggestions valables à faire. Mais peut-être n'est-il point nécessaire d'être capable de proposer des thérapeutiques pour être considéré comme engagé, dans ce cas, je suis prête à prendre mes responsabilités.
Quelles sont vos méthodes de travail?
Je travaille avec un crayon, une gomme et une feuille. Je n'arrive pas à travailler sur un cahier. J'écris parfois au compte-gouttes, parfois d'un trait des dizaines de pages ou même davantage. Cela dépend de mes états d'âme.
Qu'est-ce que cela vous fait d'écrire?
Cela me fait du bien. C'est une façon de canaliser mon surplus d'énergie. C'est un peu comme un devoir. Quand je n'écris pas, j'ai l'impression de n'avoir pas rempli mon devoir.
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