Jeune comédienne burkinabé, Roukiata Ouédraogo a décidé de revisiter l'histoire de l'Afrique à travers la fresque des grandes héroïnes. Sa pièce « Yennenga, l'épopée des Mossés » est unanimement saluée par la critique européenne et africaine. Roukiata évoque pour Amina sa passion, ses convictions et ses projets. |
Pourquoi avoir décidé d'écrire une pièce sur la princesse Yennenga ?
Je me suis sentie interpelée par cette histoire. D'abord, il faut savoir que l'histoire de Yennenga est inscrite dans mon nom car je porte le même patronyme que l'enfant de Yennenga et de Riallé, Ouédraogo. Ce nom est fréquent chez les Mossés et résonne pour nous comme la trace actuelle de la filiation qui nous relie tous aux fondateurs des premiers royaumes mossés. D'autre part, je voulais, à travers cette histoire, faire connaître ma culture, ma tradition et l'histoire du peuple mossé au public français et étranger.
Vous en êtes l'auteur et l'interprète en même temps ?
Quand j'ai commencé a écrire l'histoire de Yennenga, je poursuivais ma formation théâtrale au cours Florent. Je savais que ce serait moi qui interpréterais ce texte. C'était une évidence. Etant seule à Paris, loin de ma terre natale et des miens, je portais en moi ce projet comme un morceau de ma culture que je voulais exprimer. Il m'aurait semblé étrange et frustrant de confier ce rôle à quelqu'un d'autre.
Comment jugez vous l'accueil réservé à votre création ?
J'ai eu l'occasion de jouer devant des publics français, italiens et burkinabés et je dois dire que ce fut à chaque fois une expérience différente. Les Européens expriment moins leurs émotions et il n'est pas dans leurs traditions de réagir bruyamment durant la représentation, néanmoins ils rient de bon cœur, se laissent porter par l'histoire et applaudissent chaleureusement à la fin du spectacle. Les burkinabés sont beaucoup plus réactifs et n'hésitent pas à exprimer leur approbation ou leur surprise par des exclamations, voire même, à faire des commentaires entre eux. Ils vivent la pièce et je peux vous dire que ça aide beaucoup. Chaque public réagit selon ses traditions mais ce qui compte avant tout, c'est l'échange d'énergie entre la salle et la scène. Et de ce point de vue en Afrique comme en Europe, j'ai toujours été gâtée.
Quelles sont les traits de caractère de Yennenga qui peuvent inspirer les femmes africaines actuelles ?
Ce qui m'a motivée dans ce projet, c'est de raconter l'histoire d'une femme qui prend son destin en main. Elle ose s'opposer aux plus fortes contraintes sociales et familiales, renoncer à son statut de princesse pour aller vivre un amour qui lui était interdit. Ce qui est beau dans cette aventure, c'est que Yennenga parvient finalement à faire admettre son choix à tous. Dès lors qu'elle ose le conflit avec son père, celui-ci devient libérateur; d'ailleurs son père lui-même l'en félicitera à la fin de la pièce. Ce que montre Yennenga, c'est que face au poids des traditions, des sociétés et des familles, il y a toujours moyen de se tracer une voie personnelle.
Pour vous, quelles sont les femmes africaines qui ont marqué l'histoire de l'Afrique ces cinquante dernières années ?
Ma mère, première entre toutes. Myriam Makéba, qui elle aussi a pris son destin en main et a imposé sa lutte avec grâce et talent au monde entier. Ellen Johnson Sirleaf, la présidente du Libéria, qui est la première femme à occuper ce poste sur le continent. Je crois qu'elle incarne l'espoir que les femmes jouent un plus grand rôle dans la gestion de la destinée du continent. Et puis, au delà des célébrités, il y a ces femmes qui se battent au quotidien avec courage et détermination. Je pense notamment à Awa Bari Drame, qui a mis sur pied au Burkina Faso, en Guinée et en France, la fondation Fitima qui accompagne les enfants victimes de maladies dégénératives et autres handicaps moteurs et mentaux, ainsi que leur famille. En Afrique, la question du handicap est encore trop peu prise en charge et fait encore trop souvent l'objet de croyances liées à des malédictions contre lesquelles il faut lutter. La fondation Fitima fait à ce titre un travail formidable.
Comment faire davantage découvrir les héroïnes africaines aux nouvelles générations ?
Je crois que l'art sous toutes ses formes peut jouer ce rôle-là. Je pense, par exemple, à la littérature et notamment au livre de Sylvia Serbin, « Reines d'Afrique ». Le théâtre m'intéresse peut-être un peu plus que d'autres disciplines à ce titre, car à travers les comédiens, il donne chair à ces grands personnages du passé. Mais bien sûr, c'est avant tout à l'école que les enfants doivent apprendre leur passé, leur histoire et les grandes figures qui les composent. Et rien ne peut remplacer la scolarisation pour amener les générations nouvelles à connaître leur culture.
De quoi ont besoin aujourd'hui, selon vous, les femmes africaines, pour s'épanouir ?
Avant tout, de volonté. Mais cela ne suffit pas toujours. Les femmes d'aujourd'hui ont aussi besoin de plus de liberté d'expression et aussi d'hommes qui les épaulent. Trop souvent, aujourd'hui encore, la femme africaine est reléguée à un rôle de second plan et les pesanteurs sociales entravent son épanouissement. Il revient peut être aussi aux hommes de leur accorder un plus grand espace d'expression quel que soit le domaine dans lequel elles souhaitent s'investir, que ce soit l'art, le sport, la politique...
Vos projets ?
Je suis actuellement en train d'écrire une pièce qui porte sur la condition féminine en Afrique, à travers quelques cas dramatiques. C'est l'histoire d'une femme qui se heurte aux cotés sombres des traditions, ceux qui maintiennent la femme à une place subalterne. Je travaille également à la collecte et à la rédaction de contes destinés au jeune public. J'ai aussi avec mon compagnon, une comédie musicale en chantier mais je ne peux encore rien en dire car le projet est encore trop peu abouti. Je travaille au sein de la compagnie Yamne Yam, c'est une jeune compagnie théâtrale au statut associatif fondée en 2009.
La légende de la Princesse Yennenga raconte une histoire africaine, burkinabé qui nous rappelle l'épopée du royaume des Mossés ... Yennenga était la fille de Nédéga, roi de Dagomba (situé dans l'actuel Ghana). Vaillante guerrière, elle montait admirablement à cheval et savait combattre à la lance, au javelot, à l'arc. Elle fut l'héroïne de l'histoire moaga au début du 11e siècle. Fameuse cavalière et redoutable amazone, Yennenga naquit au début du XI siècle dans le royaume Dagomba des Mossis. Formée aux arts de la guerre par son père, le roi Nedega, elle aide celui ci lorsqu'il doit défendre son royaume contre les attaques des Malinkés. Farouche meneuse d'hommes qu'aucun danger n'effraye, fidèle à son père et à son royaume, elle n'en est pas moins confrontée à des désirs de jeune femme. Elle veut connaître l'amour et la joie d'être mère. Désirs incompatibles avec son statut d'amazone, ainsi que se chargera de le lui rappeler son père. Mais le cours de son destin change brutalement le jour où son cheval s'emballe et l'entraîne, dans sa course folle, dans la vallée du fleuve Nakambé où vit le chasseur Ryalé. D'abord méfiante, Yennenga se laisse conquérir par le jeune homme. Toutefois, si son orgueil de princesse baisse les armes face à l'amour, elle n'en impose pas moins à son beau chasseur sa manière de voir les choses. Pour lui, elle apprendra à cuisiner, elle qui, coutumière des champs de bataille, n'avait jamais pu partager les secrets du goût et des saveurs avec les autres femmes. Mais hors de question qu'elle renonce à l'accompagner à la chasse ! Il lui apprendra à pister les animaux, elle lui apprendra le maniement des armes de guerre. Parallèlement, elle se découvrira en femme amoureuse et renaîtra même, d'une certaine façon, de cette découverte. L'amour va croissant entre les jeunes tourtereaux, à l'image du ventre de Yennenga qui ne cessera de s'épanouir jusqu'à la naissance de leur fils, Ouédraogo. Ouédraogo signifie étalon et ce nom sera donné à l'enfant en souvenir du cheval blanc de Yennenga qui permit, par sa fuite folle, la rencontre de la princesse et du chasseur. Yennenga finira par revenir à Gambaga présenter son chasseur et surtout Ouédraogo à son père, le roi Nédéga et sa mère la reine Nopoko. Si le roi avait dans le passé été opposé au mariage de sa fille et avait voulu la garder à ses côtés, brisant ainsi ses rêves d'amour et de maternité, il l'accueille maintenant avec bonheur. Peut-être pressent il le rôle que jouera Ouédraogo à l'avenir ? Mais on peut penser aussi que Yennenga, en fuyant sur son cheval pour vivre sa vie et mieux revenir, a démontré à son père qu'elle était digne de sa confiance. Elle peut concilier son destin royal et sa vie de femme. Plutôt que reine fondatrice, Yennenga ne sera en réalité que la mère du véritable roi fondateur, son fils Cuédraogo. Par la suite, les enfants et petits enfants de celui ci poursuivront cette œuvre fondatrice. |
Propos recueillis
par Tiégo Tiemtoré
Tiégo Tiemtoré. "Roukiata Ouédraogo". Amina 491 (mars 2011), p.58.
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