Née en 1986 à Dakar où elle a fait ses études primaires et secondaires, Charlotte Seck part à Paris pour s'instruire dans les affaires internationales. Dès l'adolescence, elle milite pour les droits humains et se passionne pour la mode. "Sa vie entre luxe et humanitaire", le roman qu'elle vient d'écrire, est édité chez L'Harmattan. |
Quand avez-vous écrit ce livre ?
A New York en mars 2008. Je faisais une enquête sur la mondialisation : l'agriculture aux Etats-Unis comparée à celle de l'Afrique; les multinationales et le problème de la délocalisation, lors d'un stage en affaires internationales de quatrième année, dans le cadre de mes études.
Est-ce une fiction ou bien vous êtes-vous inspirée de votre vie ?
Les deux à la fois. Il y a plusieurs histoires dans l'histoire. C'est une histoire d'amour, bien sûr. Mais le contexte, la rencontre entre le milieu de l'humanitaire et celui luxueux de la mode se révèle très instructif. Lia et Salim, les personnages principaux, font le lien entre ces histoires : elle est fashion designer est très différente de Salim qui est écartelé entre ses tâches humanitaires. Quand ils se rencontrent, c'est bouleversant. Ils n'accrochent pas vraiment. Lia est une métisse sénégalaise. Elle a 23 ans et vient d'obtenir le diplôme de fin d'études d'une prestigieuse école de mode et de design. Lorsqu'elle est engagée comme styliste-créatrice dans l'une des plus grandes maisons de haute couture du monde, le succès est au rendez-vous. Tout s'enchaîne: la notoriété, la réussite, les grandes capitales de la mode, le luxe et le glamour deviennent son quotidien. Malgré le strass et les paillettes, elle garde la tête sur les épaules. Salim est né en France et d'origine sénégalaise, mais il ne connaît pas le pays. Il est avocat à Paris et il a fondé AIDE, une importante organisation humanitaire connue pour ses actions en cas de catastrophe naturelle, de guerre, d'épidémie, de famine et pour son action en faveur des droits de l'homme. Salim est discret, introverti et a un regard profondément triste, mais il fait preuve d'un extrême courage. Il ne se sent proche que des nécessiteux, se considérant aussi seul et démuni qu'eux. Il côtoie peu les médias. A la suite d'un accident de voiture, Salim a perdu ses parents à sept ans. Il est sombre, quelque chose lui manque. Il a 32 ans. C'est Lia qui va vers lui et qui entre dans sa vie mais sans rester dans son monde à lui.
Comment avez-vous été élevée ?
Mon père est journaliste au quotidien Le Soleil et ma mère travaille aux Impôts et aux Domaines à Dakar. J'ai des demi-sœurs et des demi-frères qui ont grandi avec mon père. Je suis la fille unique de ma mère. Certes, ma famille n'était pas complète, mais j'observais l'autre famille : un va et vient permanent, car ma mère a vingt frères et sœurs, tous très proches. J'ai reçu une éducation occidentale. Je suis allée à l'école primaire Sainte-Thérèse à Dakar et au collège Saint-Pierre, ensuite deux ans au lycée Machala, puis le baccalauréat littéraire à Yalla Suur En. Je suis allée faire des études de Droit en France en septembre 2004, à Périgueux, dans le cadre de l'université de Bordeaux. J'ai obtenu une maîtrise en affaires internationales de l'Institut européen des affaires internationales à Paris. J'aimerais travailler aux Nations Unies.
C'est à votre mère que vous devez votre talent d'écrivain ?
Elle notait les belles phrases dans les journaux et me les lisait au sortir de l'école, d'où mon goût prononcé pour la littérature. J'étais toujours fourrée au centre culturel français de Dakar. J'adore George Sand. C'est grâce à ma mère que je la connais. La vie de George Sand à l'époque ressemble à celle des femmes en Afrique aujourd'hui : elles prennent conscience des choses. Je ne suis pas féministe, mais je tiens à ma liberté.
Que pensez-vous du mariage ?
Je n'en ai pas une bonne idée. J'attends de voir. J'ai souffert d'être seule avec ma mère, même si nous nous entendions bien.
23 ans, l'âge de votre héroïne, êtes-vous sûre de vous comme elle ?
Quand j'ai relu mon livre, j'ai eu peur. Il y avait trop de combats, je donnais des leçons. J'ai rencontré des problèmes à cause de mon âge, car je témoignais sur des choses que j'avais vues. C'était à l'occasion d'une conférence sur l'éducation au Sénégal : les gens ne m'écoutaient pas quand je disais qu'il fallait instruire les enfants jusqu'à l'âge de 17 ans !
Le monde de la mode ne vous est pas inconnu, d'où tenez-vous cela ?
Je le dois à ma solitude. Je crée des vêtements. J'apprécie beaucoup le designer italien Valentino Garavani. Sa vie me fascine. Je recherche ses créations. J'espère collaborer un jour avec lui sur une collection.
La mode, les vêtements, les droits de l'homme, l'humanitaire.... que choisissez-vous ?
J'ai plus un regard sur l'humanitaire. En 2006, j'ai participé au programme YOWLI (Young Women's Leadership Institute) qui regroupait 35 jeunes venues de toute l'Afrique pour faire une étude de ce qui n'allait pas afin de changer les choses. Il y a beaucoup trop de travail à faire sur le continent. Je préfère m'occuper de petites choses. Les Africains sont découragés. J'agis pour les droits de l'homme. En Palestine, avec les événements de janvier, le conflit s'est déplacé. Il y a eu des marches pour la paix et une conférence pour la paix. C'est ça qui m'intéresse.
Vous dites avoir souffert du racisme...
Je l'ai très mal vécu, lorsque j'étudiais à l'Institut européen des affaires internationales. C'est un fait bien réel. Pour moi, un être sain d'esprit et intelligent ne peut pas croire à la supériorité de sa race, c'est du narcissisme et de la bêtise. Le racisme fait beaucoup de mal : l'esclavage l'apartheid, certaines choses graves qui se sont passées durant la colonisation, et de nos jours, dans certains pays, l'égalité est encore un combat. Je trouve cela dommage. J'ai écrit en français et en anglais des textes de chansons qui concernent la lutte contre le racisme. Je voudrais rassembler des artistes africains et français autour du titre "Because I am black".
Le métissage est évoqué dans votre roman, que voulez-vous dire ?
Pour moi, une personne est métisse, lorsqu'elle vit entièrement sa double ou multiple appartenance, connaît « ses » pays, « ses » cultures, « ses » origines sans les rejeter, et surtout - très important - ne se sent pas plus d'un pays et pas moins de l'autre mais « autant » de ce pays que de l'autre. Mes personnages, Lia N'diaye et son frère Karim, sont métisses : ils parlent le Wolof, la langue de leur ethnie, aussi bien que le français, ils connaissent Dakar aussi bien que Paris, ils savent que l'Afrique est en eux et ils respectent ce qu'ils sont au point de rompre tout contact avec leurs grands-parents qui n'acceptent pas leur métissage.
Propos recueillis
par Monique Chabat
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