Dans son nouveau livre "Reine Pokou, concerto pour un sacrifice" paru à Actes sud, la poète, romancière et auteurs de livres pour la jeunesse Véronique Tadjo revisite, à la lumières de la récente crise Ivoirienne, la légende d'Abraha Pokou, reine baoulé sacrifiant son fils pour sauver son peuple. Mais ici, la madone noire prend les traits d'une reine assoiffée de pouvoir. Née à Paris d'un père Ivoirien et d'une mère française, Véronique Tadjo a passé toute son enfance et fait l'essentiel de ses études à Abidjan, puis s'est spécialisée dans la domaine anglo-américain à la Sorbonne Paris IV. Professeur au département d'anglais de l'Université Nationale de Côte d'ivoire, elle a vécu aux Etats-Unis, au Mexique, au Nigeria, au Kenya et en Grande-Bretagne. Elle réside actuellement à Johannesburg. |
C'est si important que cela de résoudre l'énigme de la reine Pokou ? Votre lecture de l'histoire et de la légende n'est-elle pas trop sévère ?
Il est important de continuer à interroger la tradition . Cela est le devoir de tous et en particulier celui des créateurs. Les mythes et les légendes font partie de notre héritage culturel. Quels messages véhiculent-ils ? Quels enseignements peut-on en tirer aujourd'hui ? Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de l'imaginaire qui nous habite. Une légende a plusieurs niveaux de compréhension et c'est d'ailleurs cela qui fait la beauté et la richesse de la tradition orale. En me penchant sur la légende de la Reine Pokou, une légende dont on trouve d'ailleurs différentes versions dans d'autres pays africains, j'ai voulu réfléchir sur l'idée de sacrifice. Pourquoi Pokou a-t-elle sacrifié son enfant unique ? La réponse que donne la légende ne m'a pas suffi. J'ai alors voulu aller plus loin, interroger le mythe. J'ai pensé qu'il était important de le faire parce que la légende a des répercussions sur notre façon de voir le monde aujourd'hui puisqu'elle est très connue. Elle est même enseignée à l'école en Côte d'Ivoire. On ne peut pas accepter comme cela le sacrifice de Pokou. La reine avait-elle le droit de tuer son enfant ? Maintenant on sait que nos enfants ne nous appartiennent pas et que nous ne pouvons pas abuser d'eux en toute impunité. D'accord, il s'agit là d'une légende. Mais le problème vient du fait que cette légende, telle qu'elle nous est rapportée aujourd'hui, est devenue dangereuse. Est-ce être sévère que de mettre les lecteurs en garde contre ces dangers ?
Qu'est-ce qui a changé votre regard sur la reine Pokou? Comment passe-t-elle, dans votre conscience de la madone noire à "l'animal politique" prêt à tout pour asseoir son règne ?
Vous savez, les choses changent et les gens aussi. On a vu des héros devenir des dictateurs sanguinaires. Le pouvoir corrompt, c'est connu. C'est pourquoi il ne faut jamais rester figé sur ses positions et toujours garder un sens critique vis-à-vis de ceux qui nous dirigent. Ce n'est pas parce qu'un homme politique a lutté pour la libération de son pays que l'on doit ensuite accepter toutes ses dérives. Non ! Nos dirigeants ont un contrat social à remplir et c'est à nous de faire en sorte qu'ils l'honorent.
Une grande partie de votre œuvre est consacrée à la jeunesse. Aujourd'hui vous vous 'attaquez' à un public plus mûr...
J'ai d'abord écrit de la poésie et des romans, avant de m'intéresser à la littérature pour la jeunesse. En fait, je me suis mise à écrire ces livres un peu par hasard, lorsqu'à un Salon du livre, un éditeur m'a dit qu'il y avait un grand besoin de livres destinés à la jeunesse africaine. Je me suis dit qu'en effet, c'était là une grande lacune. L'idée a commencé à germer dans mon esprit et c'est ainsi que je me suis mise à écrire pour les jeunes. C'était il y a plus de dix ans. Depuis je n'ai pas arrêté et j'illustre moi-même mes livres. Je fais ce travail de création parallèlement à celui de poète et de romancière. "Reine Pokou" est mon cinquième roman. Ce n'est pas toujours facile, car beaucoup de gens ont du mal à imaginer que l'on puisse écrire pour ces deux publics. C'est probablement une question de tempérament qui a sans doute quelque chose à voir avec la capacité à retourner dans son "royaume d'enfance", comme le disait Senghor. Pour moi, la littérature africaine est un tout. L'erreur que nous avons commise jusqu'à présent a été de négliger ceux qui pourraient devenir nos futurs lecteurs. Au lieu de se plaindre en permanence que les Africains ne lisent pas, il faudrait peut-être se poser la question de savoir pourquoi en dehors des questions d'analphabétisme, bien sûr ! ceux qui pourraient lire ne le font pas. Certes, les livres sont beaucoup trop chers, mais il y a aussi le fait que nous n'avons pas développé en nous le désir de la lecture. Pour parvenir à cela, il faut commencer très tôt. Les enfants doivent s'habituer à manipuler les livres, à les découvrir, à les aimer. Le reste viendra tout seul.
D'origine ivoirienne, vous résider en Afrique du Sud. S'agit-il d'un choix personnel ou d'une démarche littéraire ?
Depuis la fin du régime de l'apartheid, j'ai souhaité venir en Afrique du Sud pour observer de près les changements. C'est un pays qui compte beaucoup pour le continent africain et même pour l'Occident. Je trouve la vie à Johannesburg très stimulante malgré les problèmes de sécurité qui sont malheureusement très graves. On y rencontre des gens de tous les horizons et l'histoire récente du pays fait que les hommes et les femmes qui ont lutté contre l'apartheid sont encore là. Beaucoup continuent à jouer un rôle sur tous les plans. Au niveau littéraire, il y a de grands noms et toute une nouvelle génération d'écrivains qui commencent à faire entendre leur voix. Ils font partie de la période post-apartheid et de la transition. Oui, l'Afrique du Sud est une grande source d'inspiration pour moi. J'ai d'ailleurs un recueil de nouvelles en chantier dont certains des thèmes viendront directement de mon nouvel environnement.
Propos recueillis
par Gnimdéwa Atakpama
Du même auteur chez Actes Sud, "L'ombre d'Imana, Voyages jusqu'au bout du Rwanda" réédition Babel.