Véronique Tadjo, écrivaine ivoirienne vivant en Afrique du Sud, a dernièrement publié "L'ombre d'Imana, voyage jusqu'au bout du Rwanda" ainsi que "La Reine Pokou" (Grand prix de littérature d'Afrique Noire). Véronique Tadjo est aussi l'auteur de textes et d'illustrations de livres pour enfants. Elle nous précise les raisons qui l'ont amenée à écrire sur la Reine Pokou, personnage historique et mythique de Côte d'Ivoire. |
Ecrire sur la Reine Pokou, c'est une manière de mettre en valeur les femmes au pouvoir ?
Nous les femmes devons faire très attention au pouvoir. Qu'est ce qu'on est prêtes à faire pour obtenir le pouvoir. Et quel pouvoir on veut obtenir. Si c'est pour faire exactement comme les hommes et être des hommes en pagne et en camisole, ce n'est pas la peine. Si les femmes entrent en politique et essaient d'acquérir le pouvoir, il faut qu'elles apportent quelque chose de nouveau, qu'elles pensent à changer la société pour que l'on avance. Pas simplement pour acquérir le pouvoir. Je voulais aussi proposer une réflexion sur la nature du pouvoir que les femmes veulent acquérir.
Vous avez réécrit cette histoire de la Reine Pokou pour éclaircir l'Histoire ivoirienne ?
J'ai trouvé l'histoire de la Reine Pokou tout à fait actuelle. Elle nous donne une
leçon que beaucoup de gens semblent avoir complètement
oubliée. C'est la légende de cette femme qui, à la suite
d'une guerre de succession, est partie du royaume Ashanti vers le XVIIIe
siècle. Elle s'est enfuie avec ses partisans mais elle a été arrêtée par le fleuve Comoé,
et les notables et les devins lui ont dit qu'elle devait sacrifier son enfant
pour sauver son peuple. Ce qu'elle a fait. Alors les eaux se sont ouvertes :
les hippopotames ont formé un pont sur lequel le peuple est
passé et il a créé le royaume Baoulé. La Reine
Pokou est devenue reine à ce moment-là.
Le peuple Baoulé, associé à l'identité
nationale, a dominé la scène politique de la Côte d'Ivoire
pendant des générations. Ce n'est qu'après la mort de
Félix Houphouët Boigny, et un peu avec Henri Konan Bédié
que cela a changé.
Maintenant, nous avons un paysage politique tout à fait
différent : Les Baoulés viennent du Ghana, nous sommes donc tous des migrants. On
devrait accepter cette diversité culturelle qui fait la force de la
Côte d'Ivoire. C'est la leçon que nous donne la légende de
la Reine Pokou.
Vous émettez dans le livre la possibilité que la Reine Pokou ait été capturée puis déportée vers les Amériques par les marchands d'esclaves...
C'est justement la seule version du mythe où la Reine Pokou dit: "Non, je ne sacrifierai pas mon enfant." Le peuple noir américain est très particulier dans son rapport avec l'Afrique et dans son rayonnement culturel. C'est un peuple qui a beaucoup souffert en Amérique mais qui en même temps a réussi à transcender cela et à donner beaucoup de culture, d'idées. La Négritude remonte aux poètes noirs américains de la Renaissance, la musique, la mode, le sport. Même si ce qui est arrivé est tragique, c'est un Royaume que les noirs américains ont fondé aux Amériques. Quand on est homme ou femme politique, le plus important, c'est d'être du bon côté. La Reine Pokou a été trahie par les siens. Et c'est eux qui l'ont conduite à l'esclavage, elle et ses partisans. Mais elle était du bon côté de l'Histoire.
Vous décrivez dans une autre version une femme assoiffée de pouvoir qui sacrifie son enfant pour le pouvoir.
Il y a des gens qui sont prêts à sacrifier beaucoup pour le
pouvoir. Grâce aux différents visages que je donne à Abraha
Pokou, je dis : "Arrêtons de sacrifier la jeunesse. Arrêtons de
balancer la jeunesse dans le fleuve". Aujourd'hui en Côte d'Ivoire,
qu'a-t-on à offrir à cette jeunesse ? Ces jeunes n'ont qu'une
seule envie, c'est partir. Parce qu'on n'a rien à leur offrir.
J'ai voulu proposer une réflexion sur la nature du pouvoir. Le pouvoir
n'est pas statique. Quelqu'un peut arriver au pouvoir avec une aura de martyr,
de grand opposant, et puis au fur et à mesure, peut-être par
l'usure du pouvoir, cette personne-là peut devenir tout à fait
différente. Si on a des héros, il faut continuer à savoir
qui ils sont. Continuer à analyser les gens qui sont au pouvoir. Ne pas
tout accepter.
Comment voyez-vous l'avenir de la Côte d'Ivoire ?
Les gens sont à bout, ils sont fatigués. J'espère maintenant que la société civile va pouvoir prendre le relais, s'organiser et faire pression sur ces hommes politiques pour arriver à un changement. Ils n'arrivent pas à s'entendre donc il faut absolument que cela vienne de l'extérieur, quelque chose hors politique qui va ou les pousser à laisser la place pour que d'autres personnes viennent essayer de nous sortir de cette impasse, ou alors faire une telle pression que les choses changent.
Sentez-vous une réelle utilité actuellement pour des artistes, des intellectuels ?
... et aussi des pharmaciens, des dentistes, toute la
société civile. On ne peut pas dire les artistes mais des
artistes. Il y a des artistes qui sont du mauvais côté aussi.
Comme quand on parle des intellectuels, des universitaires. L'ivoirité
qui est à l'origine de la crise que traverse la Côte d'Ivoire a
été inventée par des intellectuels.
La Reine Pokou me permettait d'entrer dans le débat mais de
manière indirecte. De dire comment par-rapport au passé on peut
réfléchir sur le présent.
L'exode de la Reine Pokou est datée du XVIIIe siècle. Pendant la
colonisation, la Côte d'Ivoire et le Burkina-Faso n'étaient qu'un.
Après, on a eu deux pays différents. La colonisation a
coupé, découpé, nous a mis dans cette situation absolument
ingérable. Il faut que l'on se souvienne un peu de tout cela, que les
ethnologues, les historiens, les artistes fassent leur travail pour que l'on
voie plus clairement qui nous sommes exactement et comment on en est a
arrivé à cette nation. Il faut rafraîchir les
mémoires.
J'ai habité deux ans dans le nord de la Côte d'Ivoire en pays
Sénoufo à Korhogo et cela a été le plus grand
dépaysement de ma vie, pourtant je suis grande voyageuse. Tout à
coup, je me suis aperçue que mon pays était dix fois plus riche
que ce que je pensais au niveau diversité culturelle.
C'est la mise en valeur de cela qui pourrait être le chemin vers la paix ?
Que de choses on pourrait gagner à être unis. On n'a aucun intérêt à être divisés comme on l'est aujourd'hui.
Vous qui êtes de parents français et ivoirien, comment vivez-vous ce déchirement passionnel entre ces deux pays ?
Très mal. Pourquoi aujourd'hui ne peut-on pas avoir de rapports équilibrés ? Je trouve cela terrible.
Propos recueillis
par Laure Malécot