Véronique Tadjo vient de publier pour la jeunesse aux NEI
"Le Seigneur de la danse" et "Mamy Wata et le Monstre"
PRIX UNICEF 1993
Véronique Tadjo est un écrivain connu; en Côte d'Ivoire tout comme en Afrique. Poète et romancière, elle a effectué l'essentiel de ses études à Abidjan, puis s'est spécialisée dans le domaine anglo-américain à la Sorbonne Paris IV. Après plusieurs séjours aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Mexique, au Nigéria et en France, Véronique Tadjo enseigne maintenant au Département d'Anglais de l'Université d'Abidjan. Elle est mariée et mère de deux garçons. |
A votre actif, vous avez des romans, des poèmes et même des contes qui s'inscrivent dans la littérature des adultes. Pourquoi donc avoir choisi d'écrire à présent pour les enfants ?
Je suis venue à la littérature pour enfants, très naturellement, car j'ai toujours eu un goût particulier pour les contes. Ce qui me plaît dans ce genre-là, c'est la grande liberté de création qui y existe. Aucune limite n'est imposée à l'imagination, presque tout peut arriver dans un conte. La seule condition, comme dans toute entreprise artistique, d'ailleurs, c'est d'offrir desoeuvres de qualité.
Quelles sont vos sources d'inspiration en ce qui concerne cette production enfantine ?
Ma principale source d'inspiration est la culture africaine. Je trouve que l'héritage que nous possédons est un véritable trésor dans lequel nous pouvons puiser à l'infini. Le patrimoine culturel appartient à tout le monde et les artistes peuvent l'exploiter, tout en respectant son essence première. Je ne suis pas pour "repenser", faire un gros travail de réflexion et de créativité afin de pouvoir l'adapter aux goûts et aux préoccupations des jeunes d'aujourd'hui qui vivent dans une Afrique en pleine mutation, pour ne pas dire en pleine crise. Mais il m'arrive aussi d'aller puiser ailleurs dans les autres pays du tiers monde ou même d'Europe des éléments culturels qui captent mon imagination.
Que pensez-vous de la situation de la littérature enfantine en Côte d'Ivoire ? Pensez-vous qu'elle s'épanouit, qu'elle est moribonde, voire même inexistante ?
La littérature pour enfants en Côte d'Ivoire en est encore à ses débuts. On peut considérer qu'un écrivain s'adonne vraiment à cette littérature lorsqu'il a plusieurs ouvrages à son actif. Or, on s'aperçoit qu'à part Jeanne de Cavally, sans doute la toute première, Sabine Combet, Amon d'Aby, et Micheline Coulibaly, plus récemment, il y a peu d'écrivains qui s'y intéressent véritablement. Il reste donc encore un gros effort de promotion à faire.
Pensez-vous que la littérature est vraiment nécessaire à l'évolution et à l'épanouissement des enfants ?
La littérature apporte beaucoup aux enfants. Elle leur permet d'élargir leur champ de réflexion et elle les amène à être plus autonomes au niveau de la pensée. Les enfants aiment lire ou écouter des histoires. Ils aiment aussi en raconter. La littérature permet à leur imagination de s'épanouir. Et même lorsqu'ils ne savent pas lire, le simple fait de regarder les images leur ouvre beaucoup de plaisirs et les stimule intellectuellement. Ils essaient de comprendre ce qui se passe "dans l'histoire" et cela les oblige à réfléchir et à poser des questions. Leur esprit de curiosité, élément important dans l'envie d'apprendre, se développe plus vite.
Quel rôle pensez-vous que les mères doivent jouer dans ce sens ?
Il faut qu'il y ait complicité entre la mère (ou le père, ou la soeur, ou le frère...) et l'enfant afin que celle-ci parvienne à transmettre à l'enfant le désir de lire, le désir de découvrir les secrets qui se cachent dans les livres. La mère doit aider son enfant à comprendre le texte et les illustrations en discutant avec lui "que s'est-il passé ?", "pourquoi tel personnage a-t-il fait cela ?", "penses-tu que c'est bien?" , "à ton avis, comment aurait dû se terminer l'histoire ?", etc..., etc.... En fin de compte, on peut exploiter un conte de mille manières. L'enfant s'amuse et il apprend en même temps.
Lorsque vous écrivez, quels sont vos thèmes privilégiés ?
En ce qui me concerne, tous les thèmes de la vie courante sont intéressants. Cependant, il est vrai que j'attache beaucoup d'importance à l'amitié, la tolérance, la beauté, le dépassement de soi et la solidarité.
Le thème que développe "Le Seigneur de la danse", à savoir la marginalisation de l'élément mythique qu'est le masque pour les Africains n'est-il pas trop dense pour des enfants ?
A partir du moment où le masque en tant qu'élément culturel est tout à fait familier pour l'enfant africain, je ne pense pas que son aspect mythique, ou plutôt sacré, puisse poser un problème de compréhension. Après tout, n'essaie-t-on pas d'apprendre la notion de Dieu aux enfants en bas âge ?
On remarque d'ailleurs à travers vos oeuvres que le fond littéraire est tiré de la culture africaine elle-même. Nous avons nommé le masque qui évoque le domaine de l'initiation et Mamy Wata, ce personnage mythique qui peuple les légendes africaines. Pourquoi donc ce choix? Est-ce une manière pour vous d'intéresser les enfants dès le bas-âge à leur culture-mère ?
Dans notre désir d'être une nation moderne; des gens "développés", il ne faut pas que nous perdions notre identité culturelle. Ce serait vraiment dommage. Qu'allons-nous laisser à nos enfants ? Il ne s'agit pas de faire un saut en arrière et de vivre dans le passé. Non, il s'agit de "repenser" la tradition et de retenir ce qui fait notre personnalité profonde, notre originalité en tant que peuple.
Nous avons aussi remarqué que vous réalisiez vous-même vos illustrations. Pourqoi donc ce choix ?
Ma mère est peintre et sculpteur. Elle m'a donné le goût de l'art en général. Ce qui fait que je n'ai pas vraiment hésité, lorsque je me suis retrouvée seule en Angleterre, sans personne que je connaissais pour illustrer mes contes. Je me suis alors dit qu'il serait peut-être temps pour moi de me mettre au dessin. J'avais beaucoup observé ma mère au travail. Apparemment, cela a porté ses fruits. En illustrant mes propres contes, cela me permet de renforcer mon image et d'aborder les sujets sous d'autres angles.
Pensez-vous que la "caricature" frappe mieux l'imagination des enfants, ou avez-vous d'autres raisons pour illustrer vous-même vos oeuvres ?
Les enfants ont besoin d'un bon support visuel. Ils aiment les couleurs vives et les mouvements. Cela capte leur attention. Une fois qu'ils sont attirés par une illustration, ils ont envie de connaître l'histoire qui va avec. Comme les enfants ont une grande imagination, ils aiment qu'on les stimule de ce côté-là. L'avantage de pouvoir illustrer ses propres textes c'est qu'on est libre de choisir exactement ce qu'on veut illustrer et ce choix que l'on fait donne une autre dimension à l'histoire.
En fonction de quoi choisissez-vous vos couleurs ?
Le choix de mes couleurs est tout à fait personnel. Il n'obéit pas à une règle particulière. Cela dépend du thème que j'aborde et de l'âge des enfants pour lesquels j'écris. Plus ils sont jeunes et plus les couleurs sont vives.
Pourquoi ne mettez-vous pas pas en scène un enfant-héros auquel les enfants-lecteurs pourraient s'identifier ?
J'ai déjà songé à mettre en scène un enfant-héros, il est fort probable que je vais finir par le faire. Mais pour le moment, je ne suis pas trop pressée, car je ne veux pas me fixer immédiatement sur un personnage.
En tant que mère et en tant qu'écrivain, que pouvez-vous conseiller aux autres mères et aux autres écrivains pour que la littérature pour enfants fasse son chemin en Côte d'Ivoire ?
Il ne faut surtout pas sous-estimer la littérature pour enfants. C'est une littérature qui a ses propres exigences et qui demande beaucoup de rigueur. Il serait souhaitable que les parents apprennent à être vigilants et à demander le meilleur pour leurs enfants. Le meilleur, c'est-à-dire, une bonne harmonie entre le fond et la forme. Beaucoup plus d'écrivains devraient s'intéresser à cette littérature de façon à ce qu'un plus grand nombre de textes de qualité arrivent chez les éditeurs.
Veuillez adresser un dernier mot à nos lecteurs.
Quand j'écris pour les enfants, j'essaie d'entrer dans leur monde et de communiquer avec eux. Je pars du principe que ce n'est pas eux qui doivent aller vers nous, les adultes, mais nous qui devons aller vers eux. Nous sommes responsables de leur avenir.
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