Journaliste franco-camerounaise, Elisabeth Tchoungui vient de sortir, chez Plon, son premier roman Je vous souhaite la pluie, un conte de fées des temps modernes où l'auteur, présentatrice du magazine culturel Ubik sur France 5 et du journal de TV5, rend hommage au français d'Afrique. Un roman vivant et plein d'humour, peuplé de personnages hauts en couleur. |
Journaliste audiovisuelle, comment avez-vous décidé de vous lancer dans l'écriture ?
J'ai toujours eu envie d'écrire mais je n'osais pas me lancer toute seule. Se sentir capable d'écrire un livre n'est pas une chose évidente quand on n'a pas un ego surdimensionné.
Aviez-vous déjà écrit auparavant ?
J'ai tenu pendant douze ans un journal intime, de ma onzième année à mes vingt-trois ans. Cela m'a permis de m'entraîner. J'écrivais aussi des poèmes et je lisais beaucoup.
Quel est le point de départ de votre livre ?
Je souhaitais rendre hommage au français d'Afrique. Je trouve que l'Afrique est le continent où la langue française a le plus de vitalité. Elle se renouvelle comme nulle part ailleurs, chaque jour de nouvelles expressions y apparaissent.
Pourquoi avoir choisi comme personnage central une jeune fille pauvre et sans diplôme ?
Je désirais écrire un conte de fées des temps modernes. Je voulais que le personnage principal soit une femme car je trouvais important de rendre hommage à mes sœurs africaines, à leur courage, leur dignité et leur dynamisme car elles sont l'avenir de l'humanité et de l'Afrique en particulier. Dans mon livre, les femmes africaines font tout le boulot et les hommes ne sont là que pour boire et pour se battre. N'en déplaise à mes lecteurs, je trouve que c'est souvent le cas. C'est la femme qui porte la famille et on ne lui rend pas assez hommage.
Y a-t-il une part d'autobiographie dans votre roman ?
Non, pas du tout. Les personnages sont de pure fiction ; seuls les lieux sont inspirés de mon vécu. Aucun village au Cameroun ne porte le nom de Bikwoué, dont est originaire Ngazan. En revanche le village que je décris est assez proche de celui de mon père. C'est un endroit perdu au milieu de la forêt camerounaise où les paysans vivent dans des conditions difficiles. Seul Essos, où vit Ngazan, est véritablement un quartier de Yaoundé.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour écrire ce livre ?
Un an et trois mois. Le roman s'est construit petit à petit comme un
puzzle. J'ai commencé par écrire une scène annexe quand
le médecin raconte son expédition au village autour de laquelle
s'est bâtie la rencontre de Ngazan avec
Alexandra. Tout s'est ensuite enchaîné. Ce qui est vraiment
excitant, c'est quand soudain votre personnage vous échappe et se met
à vivre sa vie. Tout naturellement j'inventais ce qui lui arrivais comme
si c'était une évidence.
Au cours de mes voyages, en Afrique, en Italie, aux Antilles... tout m'est venu
facilement. Paris, en revanche, a été moins propice à
l'inspiration. J'en ai profité pour retravailler mon roman. J'ai
passé de longues nuits blanches.
Comment est venu le titre du roman ?
Je connaissais la formule: "Je vous souhaite la pluie" et trouvais qu'elle collait bien à l'histoire de Ngazan. J'aimais bien le décalage avec ce qui se passe ici car en France la pluie n'est pas forcément ce qu'il y a de meilleur. Derrière cette expression et le contexte dans lequel je la restitue, il y a un appel à la tolérance.
Vos personnages sont presque caricaturaux, pourquoi ?
Je voulais que ce soit des archétypes. Le fait d'être journaliste me porte à observer le monde qui m'entoure. Par exemple, le personnage de la princesse est un épouvantail. On pourrait considérer qu'elle a des points communs avec moi parce qu'elle travaille à la télé, mais c'est véritablement ce que je n'aimerais jamais devenir, elle est anorexique, ultra ambitieuse, cocaïnomane et prête à tout pour réussir. Je connais, parmi les gens de télé, des personnes qui lui ressemblent.
Avez vous croisé des éditeurs comme Nutheil, qui cherche à coucher avec Ngazan ?
Ce personnage est le fruit de mon observation. J'ai pu aller dans des cocktails, des remises de prix... et j'ai épinglé quelques figures. Mes personnages rassemblent des caractères que j'ai piochés à droite à gauche.
Et le styliste Don Schmoll ?
C'est le seul qui soit tiré d'une personne existante. Il me semble que Galliano a fini un de ses défilés avec un bandeau de pirate, comme le personnage de mon roman.
Tous ne sont pas fictifs : vous citez entre autre Frédéric Beigbeder qui existe véritablement.
C'est un conte de fées des temps modernes, mais je voulais qu'il soit ancré dans le réel. Les personnages qui existent vraiment comme Beigbeder sont pour la plupart des auteurs. Je les cite tout comme plusieurs ouvrages. Je viens d'une famille de lecteurs. Cette histoire est aussi un hommage à la littérature qui me porte depuis mon enfance. C'est un point que j'ai en commun avec Ngazan.
Les écrivains que Ngazan apprécient sont-ils aussi ceux que vous aimez ?
Effectivement les quatrains d'Omar Khayyam, constitue mon livre de chevet, celui que j'ouvre quand j'ai un coup de blues. J'adore également Baudelaire, le Grand Meaulnes. En revanche, je reconnais qu'avec Balzac, j'ai plus de mal. C'est pourquoi je cite ses œuvres en disant que Ngazan les trouve plus soporifiques que les discours adressés par le président à la nation.
Qu'appréciez-vous dans la littérature ?
La littérature, telle que je la vois, doit proposer un regard sur le monde. Je suis plutôt dans la veine anglo-saxonne, j'aime beaucoup Philippe Roth, Salman Rushdie qui tirent leur inspiration de l'univers qui les entoure alors que la littérature française fait davantage dans l'autofiction, la littérature du moi. Je n'avais pas envie de cela. J'aime bien les romans qui racontent la société, à l'instar du roman russe de la deuxième moitié du 19e siècle qui propose un regard sur une époque et non sur le nombril de l'auteur.
Dans vos remerciements, vous citez un certain Alexandre, a-t-il un rapport avec le mari de Ngazan qui porte lui aussi ce prénom ?
C'est vraiment une coïncidence. Il se trouve qu'Alexandre est mon prénom masculin préféré, mais celui qui est cité dans les remerciements n'a rien à voir avec l'Alexandre du roman. C'est un ami qui m'a poussé à écrire parce qu'il croit que j'ai véritablement une plume.
Le mari de Ngazan est originaire du Sud Ouest de la France, est-ce un région que vous affectionnez particulièrement ?
Ma mère est originaire de cette région, c'est pourquoi je la connais bien.
Dans votre roman, vous n'hésitez pas à mettre en avant les différents travers des sociétés occidentales comme africaines, est-ce de l'humour ou une véritable critique ?
L'humour est toujours un outil, une façon d'épingler les travers de nos sociétés. Mon roman a cette vocation.
Vous vous moquez gentiment des compagnies aériennes desservant l'Afrique et mettez en avant l'arrogance des douaniers français, avez-vous vécu les situations que vous décrivez ?
Il y a très clairement des situations tirées de mon vécu. Quel Africain qui voyage n'a pas partagé une expérience similaire à celle que je décris avec Air Cameroun ! Quant à l'arrogance des douaniers français, on ne peut en effet être indifférent à l'atmosphère qui se dégage quand on arrive à Roissy. Sans parler de la vieille dame dans le bus, et du chauffeur de taxi insupportable, situations que j'ai personnellement subies.
Les familles de Ngazan et d'Alexandre refusent chacune à leur tour le mariage de leur enfant. Ainsi en est-il du père de Ngazan qui préfère partir en brousse plutôt que d'y assister et de la mère d'Alexandre qui s'évertue à ne pas accepter sa bru en faisant des remarques désobligeantes sur sa cuisine.
Je voulais qu'il y ait un rejet des deux côtés de la famille. Dans la famille blanche, comme dans la famille noire. Je souhaitais qu'il y ait un équilibre.
Votre roman est très vivant, car ponctué d'expressions typiquement africaines et de petits bruits de la vie quotidienne. Pourquoi y avoir introduit le son ?
Je n'ai pas réfléchi à cet aspect, je trouvais que çe rythmait le texte. Le côté pas académique me plaisait. J'aime jouer avec la langue, c'est pourquoi, j'ai inventé des mots qui n'existaient pas comme chamboulatoire, bordellologie...
Avez-vous subi comme Ngazan des tracasseries pour être publiée ?
Non, j'ai eu de la chance. Je remercie d'ailleurs la productrice d'Ubik, Françoise. Quand elle a su que j'écrivais un livre, elle m'a exhortée à ne pas attendre de l'avoir terminé pour l'envoyer en maison de lecture. Elle m'a conseillé de le déposer chez Plon dont elle connaissait la directrice littéraire. C'est ce que j'ai fait. Il a été pris du premier coup.
Vous n'avez jamais tenté comme Ngazan, d'écrire des nouvelles avant de vous attaquer à votre premier roman ?
Ma première expérience d'écriture a été collective : avec un groupe d'amies issues de l'école de journalisme, nous avons au cours d'un dîner de filles où chacune se lamentait sur "ses histoires de mecs fouareuses" décidé de faire un livre. On a écrit chacune sept nouvelles que nous avons envoyées à différentes maisons d'édition. Un premier éditeur s'est déclaré très intéressé. Il nous a draguées l'une après l'autre. Au bout de trois râteaux, il a soudain cessé de nous rappeler. C'est ce travail qui m'a permis de me lancer seule.
Maintenant que vous avez écrit votre premier roman, allez-vous proposer à Plon votre recueil de nouvelles ?
Ce qui gêne Plon, c'est qu'il y a plusieurs auteurs. Si mon roman marche, peut-être cela ouvrira-t-il des perspectives pour les nouvelles.
Allez-vous faire comme Ngazan, une fois votre livre sorti ? Allez-vous vous précipiter à la Fnac pour prendra en photo les rayons où il figure avec votre téléphone portable ?
Quand même pas... Je pense que le jour de sa sortie, j'irai peut-être faire un tour pour voir où il est exposé. Parce que c'est vrai que pour moi, c'est un rêve qui se réalise.
Vous avez d'autres projets littéraires ?
J'ai chopé le virus, j'ai un deuxième projet qui mûrit. En attendant, je savoure ce premier roman.
Comment devrait être votre prochain livre ?
Ce sera lui aussi un roman. Le personnage central sera un homme d'origine camerounaise. Il y aura toujours une forte base africaine parce que l'Afrique m'inspire tout particulièrement. Quand on écrit, on le fait avec ses tripes.
Il évoluera dans un milieu différent du précédent ?
Complètement. Dans un premier roman on met toujours un peu de soi, même si le personnage est une pure fiction. J'y ai mis ma double culture et le sens de l'observation acquis en temps que journaliste. J'ai voulu parler du monde qui m'entoure, tout en restant objective.
Avez-vous des projets dans le domaine audiovisuel ?
Pour le moment non. Sinon, je pense reprendre la présentation sur TV5 "des 24h", l'émission emblématique de la chaîne, qui propose de partir à la découverte d'une capitale. Je l'ai co-présentée pendant un an et demi avec Frédéric Mitterand. La première sera au mois de mars.
Propos recueillis
par NB