Myriam Warner Vierya:
"Le quimboiseur l'avait dit"
La littérature féminine sénégalaise témoigne encore une fois de plus de sa vitalité. Après Nafissatou Diallo, Aminata Sow Fall, Mariama Bâ, Kiné Kirama Fall et Annette Mbaye D'Erneville, c'est une autre voix, cette fois-ci originaire des Antilles, qui s'élève. C'est celle de Myriam Warner-Vierya, la femme du grand cinéaste sénégalais, Paulin Vierya. Il s'agit de son premier roman publié par "Présence Africaine" sous le titre suivant: "Le quimboiseur l'avait dit". Ce livre est une dénonciation acerbe du système éducatif naguère développé aux Antilles, par le colonialisme pour l'assimilation et l'acculturation des populations locales. C'est le drame d'une jeune fille noire, qui est rejetée comme souillure par sa propre mère mûlâtresse, au nom d'un manque de vernis de la civilsation. Pour nos lectrices Myriam Warner-Vierya nous en dit davantage sur son oeuvre et sur elle. |
Qui êtes-vous?
Warner est mon nom de jeune fille. Je suis originaire de la Guadeloupe. J'ai fait la plus grande partie de mes études secondaires en France. Professionnellement, je suis bibliothécaire-documentaliste à l'Institut de Pédiatrie social de Dakar. Je suis diplômée de l'Ecole des Bibliothécaires, Archivistes et Documentalistes de l'université de Dakar. Que dire encore de moi? Je suis mère de famille: deux garçons et une fille. Mon mari est Paulin Vierya. C'est un cinéaste.
Mari cinéaste. Vous écrivain. En somme c'est une famille de créateurs...
Non. Je ne peux pas dire que je suis écrivain. Je viens de publier un livre. Je suis bibliothécaire. Je ne sais pas encore si je vais faire carrière. C'est le premier livre. J'espère que d'autres suivront. Mais avant tout, toute la journée, je suis bibliothécaire.
Vos activités et celles de votre mari posent-elles des problèmes dans votre vie familiale?
Mon mari voyage souvent. Les enfants ne se sentent pas lésés dans la mesure où depuis qu'ils sont petits, ils y sont habitués. En plus, je leur ai toujours fait comprendre que c'est très bien. Ils n'ont jamais pleuré quand ils ne voient pas leurs parents. Ils sont contents que leur Papa voyage, parce qu'ils ont toujours quelque chose à se faire acheter. En ce qui me concerne, pour écrire, cela ne les gêne pas. En général, je travaille pendant le week-end. Je me lève à 4h du matin. A ce moment-là, tout le monde dort. Je travaille jusqu'à midi. Ensuite, on mange ensemble. On cause. On joue. Je crois que je ne les gène pas tellement. Je ne dors pas le matin. Je me suis toujours réveillée très tôt. Même en semaine, si je me réveille et que j'ai une idée, j'ai toujours au moins une heure devant moi pour écrire un peu. Dans la journée j'ai beaucoup d'activités et pas tellement le temps de penser. Autrement dit, je ne suis pas mes personnages dans la journée.
Est-ce que vous collaborez avec votre mari dans le domaine professionnel?
Pas du tout. Quand j'ai terminé mon premier roman je le lui ai donné à lire. J'avoue que j'ai été un peu déçue. Il ne m'a rien dit. Alors que je m'attendais à ce qu'il me fasse des remarques, des critiques. Il ne m'a absolument rien dit. C'est quand "Présence Africaine" a accepté de publier mon manuscrit qu'il a réagit en me disant: "C'est mieux comme cela. Parce que si je t'avais dit quelque chose, cela n' aurait pas été pareil. Au moins, tu as persévéré par toi-même". De mon côté, j'avoue que je ne suis pas cinéaste. Je vois ses productions en tant que spectatrice. Un peu comme tout le monde. Dans un film, l'histoire me plaît ou ne me plaît pas. Je trouve que les images sont belles ou moins belles. Mais sur le plan technique, j'ai beau vivre depuis vingt ans avec un cinéaste, je n'y connais rien.
Comment se situe votre pays d'origine: la Guadeloupe, par rapport au reste des Antilles?
C'est difficile à dire dans la mesure où je ne connais pas très bien les autres îles. J'ai été à la Martinique en vacances. Mais cela ne suffit pas pour bien connaître un pays. J'ai recontré des Martiniquais en France, au Sénégal. J'ai recontré des Guyanais, des Haïtiens et des gens originaires des îles anglaises comme mon père. Mais tout compte fait, ce sont des rapports assez superficiels. Je ne pense pas qu'il y ait une différence entre la mentalité et l'évolution des îles. Sinon avec Haïti qui a été depuis longtemps indépdendante. Forcément, les Haïtiens ont une façon de voir les choses un peu différente de nous, ainsi que des préoccupations différentes. Il est certain qu'à la Guadeloupe et à la Martinique à l'heure actuelle, il y a un problème d'identité culturelle. Ce que les Haïtiens n'ont pas parce qu'ils se sont toujours sentis nègres. Mais pour ce qui est des îles qui ont été colonisées par les Anglais, c'est difficile à déterminer. Il est vraiment difficile de se lancer dans des comparaisons pour ce qui est des Antilles.
Est-ce que vous vous sentez aujourd'hui plus sénégalaise que Guadeloupéenne ou vice versa?
Franchement, je ne peux pas dire que je me sente plus Guadeloupéenne ou plus Sénégalaise. Mais une chose est certaine, je me sens plus nègre depuis que je vis en Afrique. Maintenant, je suis certainement mieux dans ma peau que je l'étais quand j'avais entre 10 et 16 ans.
De quoi est-il question dans votre livre?
J'ai voulu peindre une certaine société antillaise qui se pose des questions. Une société qui ne sait pas très bien où elle se situe. C'est essentiellement le problème de couleur qui est aussi un problème de colonisation. Les gens ne savent plus tellement bien qui ils sont. Ils ne sont pas Africains. Ils ne sont pas Français. Que sont-ils? Ils ne savent même pas. Evidemment, il y a deux catégories de gens. Il y a ceux qui essaient de réfléchir et de se demander qui sommes-nous, d'où nous venons. Il y en a d'autres qui ne se posent pas ces questions. Par exemple, souvent chez les Métis on se dit une fois pour toutes: "Le Noir, il est laid. C'est la sauvagerie. Nous descendons directement des Blancs". Ils veulent tellement être blancs qu'ils finissent pas être ridicules. A force de vouloir s'assimiler, ils finissent par faire des choses abominables. C'est un peu ces observations que j'ai pu faire quand j'étais jeune, en voyant les gens vivre, parler et agir.
Mais l'histoire exacte du livre est l'histoire d'une jeune fille d'environ 16 ans qui est le produit de ce milieu. Elle a un père qui est parmi les plus noirs du village et une mère qui est parmi les plus claires, une mulâtresse très belle, qui se sent par sa position de mulâtresse, déclassée dans ce village de pêcheurs. Cette mulâtresse a eu en plus la chance d'aller à l'école, de connaître la civilisation de la ville et la manière de vivre des Blancs. Elle rejette complètement le côté noir bien que sa propre mère soit une femme très noire. Elle veut être complètement blanche. Elle ne parle avec personne dans son village où elle considère les autres femmes comme étant sans aucune importance. Elle s'ennuie et rêve d'aller à Paris où, pour elle, tout doit se réaliser. Elle part finalement avec le premier Blanc venu qui peut l'emmener à Paris. Mais ce n'est pas tellement l'histoire de la mère. C'est surtout l'histoire de l'enfant. Elle se trouve confrontée à un certain moment à des problèmes scolaires. Elle pense aussi comme tout le monde, qu'en allant en France, ce problème va se résoudre. Elle arrive à Paris. Le problème ne se résout pas. Elle rencontre d'autres conflits avec sa mère qui la rejette complètement parce qu'elle est noire, parce qu'elle manque un peu du vernis de cette civilisation française, parce qu'elle fait des choses qui déplaisent à sa mère, parce qu'elle est un peu sauvageonne. Se trouvant confrontée à tout cela, elle perd pied et se retrouve finalement confrontée à des problèmes psychologiques.
En lisant votre roman, on a l'impression de lire un réquisitoire contre la mère de l'enfant. Mais on a aussi l'impression que vous n'avez abordé dans le conflit ayant opposé la mère mulâtresse et son mari teint noir de charbon que le côté racial. Pourtant cette femme reprochait toujours à son mari d'être "un nègre borné et sans éducation".
Les deux remarques sont valables. A cette époque, aux Antilles comme encore aujourd'hui dans quelques coins d'Afrique, les parents mariaient leurs filles. Aussi la femme a beau être claire, sa mère étant une paysanne qui vit dans un village, forcément, à l'âge du mariage, on l'a donnée à celui qui était prêt à la prendre. Or, c'est un pêcheur. Il sait à peine signer son nom. Il a été à l'école mais pas pour longtemps. C'est un homme à peine lettré et en plus il est noir. Tout cela fait qu'au départ, elle n'a jamais accepté. Il a beau être beau et sportif, mais pour sa femme, c'est un nègre ignorant. Si le mari, au lieu d'être noir, avait été clair, cela se sentirait moins. Elle accepterait volontiers. C'est le fait qu'il soit noir qui bloque tout. Elle a finit par assimiler le noir à la bêtise, à l'ignorance et à tout ce qui est péjoratif.
Est-ce que cette situation raciale s'est améliorée aujourd'hui dans les Antilles?
Elle semble beaucoup évoluer. Les gens commencent à prendre conscience qu'ils ne sont pas seulement des descendants de Blancs. Depuis les indépendances africaines les choses ont énormément évolué. On ne parlait pas. Les Antilles sont quand-même de petites îles perdues qui n'ont aucun contact avec le monde extérieur excepté la France. Les informations qu'on reçoit, à l'école les programmes d'histoire et de géographie, tout cela était déterminé par la France. Les Antillais étaient donc des gens qui vivaient complètement coupés du reste du monde. Leur horizon, c'était la France. Si bien qu'il y a beaucoup de gens qui, sans avoir ces préjugés poussés à l'extrême, ignoraient totalement ce qu'est l'Afrique. Moi par exemple, jusqu'à la fin de mes études primaires, je ne connaissais rien de l'île sur laquelle je vivais. Je connaissais pourtant par coeur tous les départements français, les fleuves et tout ce qui se passait dans ce pays. Mais je ne connaissais absolument rien de la Guadeloupe, encore moins de l'Afrique.
Ce que j'ai découvert récemment aux Antilles, c'est que les problèmes de couleur jouent nettement moins. Les Antillais noirs assument mieux leur personnalité. Les journaux parlent plus de l'Afrique noire. Toutes les îles anglaises sont indépendantes. Il y a donc une prise de position totalement différente. Les rapports sont de ce fait totalement différents. Il y aurait même un mouvement de retour aux sources. Tous ceux qui sont partis en France où l'on ne dissocie plus l'Antillais de l'Africain à cause de sa couleur, font petit à petit, un retour aux sources. Les Français, comme on le sait, ont maintenant ras le bol d'avoir à tout coin de rue des travailleurs noirs. La police contrôle les Noirs dans les métros et partout. Ce qui constitue un grand choc pour les Antillais qui sont quand-même Français à part entière. Pourtant, aux Français de race blanche, on ne demande pas leurs papiers. Mais eux, Français de race noire, ils subissent les mêmes vexations que n'importe quel Africain.
Partagez-vous l'opinion de ceux qui soutiennent que la nature des rapports entre Blancs et Noirs obéit de plus en plus à des critères sociaux plutôt qu'à la différence de couleur?
Il est certain que la situation a changé. Le colon français à l'époque, aux Antilles comme en Afrique, était considéré par le Noir comme quelqu'un d'extraordinaire. Mais en réalité, qu'était-il?
C'était un pauvre type, un râté qui avait quitté la France pour venir faire fortune dans un village antillais ou africain. Ce type ne pouvait être qu'un raciste parce qu'il était tellement content de pouvoir dominer d'autres. C'était rien d'autre qu'un aventurier.
Les rapports que nous avons maintenant sont ailleurs. A Dakar les Français qui viennent le font dans le cadre de l'assistance technique. Ils ont fait des études. Ils viennent apporter quelque chose. On peut être pour ou contre ce qu'ils apportent. Mais il viennent apporter quelque chose. Cela n'a rien à voir avec celui qui venait pour acheter l'arachide à bas prix dans le village et faire fortune. Aujourd'hui, quand je parle de relations avec des amis blancs, je ne parle pas de fréquentation. Je parle de bons rapports avec les gens avec lesquels j'ai travaillé ou que j'ai rencontrés. Les relations, c'est plus une question d'individus et de convergence de mentalités qu'autre chose.
Votre roman aborde également la question du fétichisme. Est-ce que vous y croyez?
Je ne dirai pas si je crois ou je ne crois pas. Le fétichisme existe en Afrique et aux Antilles. En Afrique par exemple, avant les examens, il y a des parents qui vont voir le marabout pour savoir si leurs enfants vont réussir. Si le marabout leur dit que l'enfant va échouer, l'enfant ne fait plus rien. Il échoue. S'il leur dit qu'il va réussir, l'enfant travaille. S'il réussit, le parent dit que le marabout l'a aidé. C'est la même chose aux Antilles.
Le fétichisme est une de nos réalités. Aux Antilles, les gens vont souvent voir les quimboiseurs, de même que les Blancs qui y vivent.
Avez-vous jamais consulté un quimboiseur?
Non. Cela m'a d'ailleurs beaucoup gênée dans la rédaction de mon livre. Quand je l'écrivais, j'ai été en vacances aux Antilles avec mes enfants, en 1978. N'étant jamais entrée chez un quimboiseur, j'ai demandé à des amis comment c'est. C'est à partir de leurs explications et de certains souvenirs d'enfance que j'ai pu écrire cette partie de l'histoire du roman. Mais j'avoue n'avoir jamais vu de mes propres yeux un quimboiseur à l'oeuvre.
Avez-vous des projets littéraires?
Il y a un livre sur lequel je travaille maintenant. Je l'avais commencé bien avant celui que je viens de sortir. Il est d'un sujet tout-à-fait différent. L'histoire se passe au Sénégal. L'idée générale, c'est une Antillaise qui est mariée à un Sénégalais. J'essaie de voir à ma façon les problèmes que cela peut poser. Mariama Bâ, dans son roman "Une si longue lettre", parle des problèmes de la femme sénégalaise. Je ne peux pas écrire un livre pareil parce que n'étant pas très bien imprégnée des problèmes de la femme sénégalaise. Mais je peux parler de la femme qui n'est pas Sénégalaise, qui vit au Sénégal, dans une réalité sénégalaise. Je peux montrer comment cette femme perçoit cette réalité sénégalaise. Mon livre sera le point de vue d'une femme d'une autre région qui scrute la société sénégalaise dans ses réalités les plus profondes.
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