En lisant l'ouvrage de notre consoeur sénégalaise, certains touristes européens vont peut-être y réfléchir à deux fois avant de se lancer dans certaines expériences «sentimentales», notamment avec les mineures. Interview. |
Pourquoi un titre si provocateur: "La Nuit est tombée sur Dakar"?
Je ne jette pas la pierre à Dakar. Je ne suis pas la première à parler de cette ville. Il y a une profusion de littératures où l'on parle de Dakar comme d'une ville qui aspire ses habitants. J'avais envie de décrire ce que qui se passe dans une ville africaine moderne, d'évoquer les pièges de la ville. Ce n'est pas que Dakar soit horrible, c'est plutôt parce que j'aime cette ville que j'en ai fait le théâtre de mon roman.
C'est avant tout une histoire d'amitié entre deux jeunes filles, ce qui n'est pas courant dans un pays gangrené par la polygamie et où les femmes se regardent d'abord comme des rivales potentielles ?
Je suis très sensible à l'amitié féminine. Une femme seule peut entreprendre des choses importantes mais quand elles sont deux et qu'elles sont fortes, elles sont capables de choses encore plus grandioses. Ce livre est plus qu'une amitié. C'est la même personne éclatée en deux.
Vous éprouvez un matin plaisir à parler des situations assez insolites en évoquant, par exemple, le problème de la prostitution sous l'angle surprenant du choix et de la liberté N'y a-t-il pas là un risque de banalisation ?
Elles n'y sont pas obligées. C'est un choix délibéré qu'elles opèrent. Ce qui attire les femmes africaines qui sortent avec les Européens, c'est le côté matériel, évidemment, mais aussi un idéal. On voit les Occidentaux à travers les films. Ils appellent leurs femmes : "Chérie", les caressent... Il y a une certaine part de fantasme. Les deux font une magie, une attirance vers l'univers occidental. Mais, ici, nos héroïnes se rendent vite compte que ce n'est pas aussi rose qu'elles le pensaient. Chez les Européens aussi, surtout ceux qui vivent en Afrique, les problèmes de couples demeurent.
La fiction a rejoint la réalité quand, il y a quelques mois, la télévision française a présenté un reportage dénonçant le tourisme sexuel au Sénégal...
La prostitution existe dans toutes les sociétés. Il y a une intense activité économique et commerciale au port de Dakar, qui favorise ces pratiques. Il y a aussi des Sénégalais avec un certain pouvoir d'achat qui entretiennent certaines filles. C'est une forme de prostitution comme une autre. Ce n'est pas quelque chose d'inhérent à la société sénégalaise. On trouve ces situations partout. Ces deux filles ont prématurément donné leur innocence, leur virginité. On imagine souvent que ce sont des femmes qui ont roulé leur bosse. Ici, elles n'ont que dix-sept ans. L'homme abandonne la survivante à sa société alors qu'elle avait opéré une rupture avec celle-ci afin de pouvoir vivre avec un Européen.
Quand la mère de Dior l'informe qu'elle veut devenir une pleureuse, est-ce là une manière d'illustrer le fait que les liens unissant l'individu à la société restent indestructibles ?
Il n'existe pas de caste de pleureuses au Sénégal. La légende des pleureuses se réfère à une femme qui, alors qu'elle avait perdu son mari, a quand même pu avoir un enfant de ce dernier. C'est une métaphore pour parler de la douleur, de la souffrance. Il est insupportable pour une jeune fille de voir pleurer sa mère. La pleureuse est le trait d'union entre la vie et la mort. Elle prépare les morts et rassure les vivants.
Votre ouvrage est rédigé sous la tonne d'un reportage romancé. Est-ce un choix délibéré ?
J'aime le style dépouillé, clair. On arrive à faire passer beaucoup d'émotion avec un style simple, sans les fioritures des récits actuels avec cinq adjectifs alignés. Je pourrais le faire avec mon dictionnaire des synonymes mais ce n'est pas mon style. Ma simplicité est conforme à ce que j'ai envie de raconter.
Propos recueillis
par Florence Dini