Nafissatou Dia Diouf est l'une des étoiles montantes de la littérature sénégalaise. Avec plus de quatre grands prix à son actif, dans son dernier ouvrage « Sociobiz », elle n'hésite pas à détailler la société sénégalaise à travers le concept de « l'homo-sénégalensis ». Parfois drôle, parfois incisive, mais toujours juste dans sa démarche, elle place le curseur au bon endroit en livrant un instantané de cette société qui lui est si chère. Portrait et rencontre avec cette auteure à l'avenir prometteur. |
Adolescente, Nafissatou Dia Diouf, essayait de trouver des réponses à ses questionnements en se noyant dans la poésie. Très tôt, elle utilise la littérature comme un exutoire. Face aux injustices qui l'entourent, elle se dit que la poésie et toute sa finesse l'aideront sûrement à mieux appréhender le monde. « La poésie me permettait d'exprimer mes joies et mes peines. Je me souviens avoir écrit mon tout premier poème pour ma grand-mère. À l'époque j'avais huit ans, j'y parlais de son jardin à Saint-Louis du Sénégal. Aujourd'hui cela peut paraître un peu mièvre, mais j'en suis toujours aussi fière ».
Encouragée par sa famille et ses professeurs, la jeune Nafissatou se lance dans l'écriture et présente certains de ses écrits à une maison d'édition. À sa grande surprise le livre est accepté, et bien qu'elle ait reçu une note d'édition quelque peu contrastée, l'incitant à s'améliorer, son livre sera tout de même publié quelques années plus tard. Commence alors pour Nafissatou, le parcours vers la gloire. « Quand j'écrivais et que je faisais lire mes écrits à ma famille, j'avais souvent peur qu'ils soient complaisants, mais une fois que j'ai commencé à remporter des prix, j'ai vite compris que j'avais du potentiel et que je devais le développer ».
Seulement voilà, l'auteure est jeune et se rend compte grâce à l'éclairage de ses parents, que le domaine des arts et des lettres ne nourrit pas son homme en Afrique! Elle se tourne alors vers un univers complètement opposé à celui dans lequel elle évolue jusque là. D'un parcours lettré, elle bifurque vers un parcours chiffré! Titulaire d'une licence en langues étrangères appliquées spécialité commerce de l'Université de Bordeaux III, elle se dirige par la suite vers la logistique industrielle, toujours à Bordeaux, avant de faire une spécialité dans les Télécoms, domaine dans lequel elle évolue depuis au Sénégal. Deux univers qui a priori n'ont aucun point commun, mais qu'elle arrive à « marier » avec intelligence et raffinement.
« Le jour et la nuit, me direz vous » s'exclame-telle en souriant...! « La journée j'évolue en entreprise et le soir pour me détendre et me vider l'esprit, je m'assieds derrière mon clavier et je commence à m'inventer un monde. L'univers qui m'entoure est mon intarissable source d'inspiration ». C'est justement de cet univers qu'elle parle dans son tout dernier ouvrage Sociobiz. Piquant, provocateur, teinté d'une immense auto dérision, Naffisatou Dia Diouf dresse au fil de plusieurs chroniques, le portrait de la société sénégalaise.
Quand elle s'attaque à ses concitoyens, autant dire qu'elle n'y va pas de main morte. À titre d'exemple, dans son chapitre consacré au consumérisme typiquement sénégalais, elle dit: « Les citoyens sénégalais (et citadins surtout) n'ont rien à envier aux transatlantiques. Avec l'abondance des banques (qui ouvrent tous les jours), il y en a pour toutes les bourses et pour toutes les tentations... Les formules sont de plus en plus astucieuses, insidieuses et pernicieuses, à l'exemple de cette métaphore animalière Suul bukki, sulli bukki, comprenez: combler une dette pour en contracter une autre. »
Tout au long des chapitres aux titres savamment trouvés (Assises... pour une Afrique debout, Quelques sénégalaiseries en entreprise, Superwomen entre tableau de bord et couche-culotte), elle décortique la société sénégalaise, mais pas seulement cette dernière car au final, certaines situations et autres concepts pointés du doigt sont l'apanage de plusieurs peuples et pays africains.
« Ce livre m'a également permis de pousser un petit coup de gueule », dit-elle. « Quand j'observe le nombre de colloques et autres symposiums que l'on organise en Afrique, quand je vois tout l'argent que l'on met dans les perdiems, l'achat des billets d'avion, et tout le reste, je me dis qu 'il y a longtemps que l'Afrique se serait développée... et pourtant on continue à multiplier ce type d'initiatives sans qu'il n'y ait réellement de changements sur le terrain. »
Bien que les avis soient partagés autour de cette critique acerbe de la société au Sénégal, Nafissatou Dia Diouf insiste sur le fait qu'un écrivain existe avant tout pour éveiller les consciences. « Je raconte ce que je vis. J'aurais détesté être un écrivain de laboratoire. Ce que je raconte doit être crédible. Mon rôle en tant qu'écrivain, c'est de titiller, d'éveiller certaines consciences. C'est mordant, c'est vrai, mais j'essaye d'installer un désir de changement chez l'homo-sénégalensis, ce sera ma manière de contribuer au changement de ma société ».
Propos recueillis
par Wendi Bashi
Nafissatou Dia Diouf. SocioBiz. Chroniques impertinentes sur l'économie et l'entreprise. Dakar: TML Editions, 2010, 208 pages. ISBN: 2-9525152-4-7.