Scholastique Mukasonga signe ici son cinquième livre, un recueil de nouvelles et de contes, après son roman « Notre Dame du Nil », prix Renaudot 2012. Mieux que n'importe quel guide de voyage ou livre d'histoire, « Ce que murmurent les collines » raconte le Rwanda avant la guerre et le génocide. Toutes ces histoires forment un tableau savoureux du Rwanda. Les mots de Scholastique Mukasonga disent, même quand il arrive un malheur, toute la beauté de la vie, telle que sa mère la lui a contée... |
Vos nouvelles sont-elles autobiographiques, ou bien est-ce de l'autofiction?
Si quelques-unes de mes nouvelles reposent bien sur des éléments autobiographiques, ceux-ci ne sont que des prétextes à l'écriture. Je ne sais pas si on peut appeler cela de l'autofiction, je n'aime pas beaucoup ce mot. D'autres nouvelles (La vache du roi Musinga, Le bois de la croix) s'appuient sur des événements et des personnages historiques. Je renvoie le lecteur aux notes qui lui permettent de mesurer ce qui relève de la fiction et ce qui relève de l'histoire.
Les contes se mêlent souvent aux histoires. Est-ce aussi le cas dans la vie en Afrique? Se sert-on des contes dans la vie quotidienne pour éduquer et ou donner des exemples, des allégories?
Ma mère était une conteuse réputée. Chaque soir, elle nous racontait quelques-unes de ces histoires traditionnelles. Je regrette à présent de ne pas avoir été assez attentive et de m'être trop souvent endormie à la chaleur du foyer. J'espère tout de même avoir un peu hérité de son talent.
Je vous rassure, vos lecteurs, le prix Renaudot et ces nouvelles démontrent votre talent de conteuse. La magie et le bon sens populaire semblent faire bon ménage et imprégner le quotidien au Rwanda.
La royauté sacrée du Rwanda s'entourait de nombreux rites religieux qui ont été condamnés et persécutés par les missionnaires et l'administration mandataire belge. Notre culture a été pratiquement éradiquée. Dans quelques unes de mes nouvelles, j'essaie de renouer avec nos racines rwandaises.
En lisant ces nouvelles, on se rend compte de l'importance des différentes ethnies et des rivalités ancestrales, de la peur de l'autre, des autres, de ceux qu'on ne connaît pas, comme dans le cas du petit Cyprien...
Il n'y a pas d'ethnies au Rwanda. La société traditionnelle était très complexe. Outre la répartition en une quinzaine de clans qui jouaient un rôle politique essentiel, on distinguait trois groupes: Tutsi, Hutu et Twa. Mais il ne s'agit pas d'ethnies puisque tous parlent la même langue, cohabitent les uns à côté des autres (il n'y a pas de région hutu ou de région tutsi), participent de la même culture. Les Tutsis sont plus spécialisés dans l'élevage, les Hutus dans l'agriculture, les Twas sont potiers. La colonisation a interprété ces groupes en terme de races et d'invasion selon l'idéologie raciste du XIXe siècle.
Ces nouvelles seraient-elles une ode au Rwanda, un hommage au pays de votre enfance?
Le Rwanda de mon enfance était celui de la ségrégation et de la persécution des Tutsis tel que je le décris dans mes deux premiers livres, Inyenzi au les Cafards et La Femme aux pieds nus. Je crois que le nouveau Rwanda qui s'édifie doit renouer avec ses racines. C'est ce que j'essaie de faire dans quelques-unes des nouvelles de Ce que murmurent les collines.
Après le génocide et les bouleversements que le Rwanda a connus, ressentez-vous un devoir de mémoire envers le Rwanda&
Je crois avoir accompli mon devoir de mémoire dans mes deux premiers ouvrages consacrés aux déportés tutsis de Nyamata. Mais même si mes nouvelles s'en éloignent, on ne fait jamais le deuil d'un génocide.
Le pays de votre enfance a -t-il beaucoup changé depuis lors?
Le Rwanda d'aujourd'hui n'a rien à voir avec le Rwanda de la haine et de la ségrégation des années 60-90. Les Rwandais sont tournés vers un objectif commun: vivre ensemble dans une nation où tous parlent la même langue, ont la même culture, partagent les mêmes espérances. Avec les nouvelles générations se prépare un Rwanda nouveau: Rwanda 2020.
Propos recueillis
par Pascale Athuil
Scholastique Mukasonga. Ce que murmurent les collines. Paris: Gallimard, 2014.