Il y a 60 ans que le premier roman congolais a été publié. A l'occasion de cet anniversaire, une journée littéraire à laquelle ont participé de nombreux écrivains de la diaspora congolaise a été organisée à Paris. La jeune écrivaine Anaïs N'deko, 17 ans, y était. Elle a bien voulu répondre à nos questions. |
Comment se sent-on, lorsqu'on a 17 ans, et qu'on publie son premier roman?
Pour être tout à fait honnête, je n'y pense pas trop. En tout cas, je ne trouve pas ça bizarre, et je ne pense pas avoir changé. Bien sûr, je suis très heureuse d'avoir eu la chance de voir mon premier roman publié, mais je ne me sens pas différente. L'écriture est, depuis longtemps, très importante pour moi. Elle fait partie de moi, mais parfois, quand je me lis, je me dis: « Bon sang ! Tu es sûre que c'est de toi, ça ?! »
Qu'est-ce-qui a fait naître en vous ce projet d'écriture?
J'ai toujours eu en tête de nombreuses histoires. Ça débordait parfois, mais ce n'est que très tard que je me suis rendu compte que je pouvais les écrire. Ce qui a vraiment tout déclenché, c'est un rêve: j'ai rêvé de certains de mes personnages principaux, et même de leurs noms. Je savais qui ils étaient, je connaissais aussi leurs personnalités, à quoi ils ressemblaient physiquement, leurs voix et même leurs caractères. C'était pour moi une évidence. J'entendais leurs voix, je les voyais agir... je ne voulais pas les oublier, alors j'ai commencé à écrire. Mais il m'a fallu au moins trois essais avant de tenir le bon filon.
Parlez-nous de votre livre. Il est peuplé de créatures imaginaires. Pourquoi ce choix?
C'est un monde qui m'a, depuis toute petite, beaucoup attirée, fascinée même: les vampires, les sorcières, les loups garous et autres. Ils m'obsédaient presque, et à force de lire des romans fantastiques ou même parfois d'horreur, j'ai commencé à me poser des questions. Alors je me suis dit que plutôt que d'écrire un livre dont ces créatures seraient le centre, j'en écrirai un où les humains seraient au centre. Je me suis vraiment prise au jeu de l'écriture, en essayant au maximum d'être proche d'une certaine forme de réalisme et de donner au lecteur la possibilité de s'identifier à l'un des personnages.
Et malgré le caractère merveilleux et imaginaire de votre roman, celui-ci donne une vision bien réelle de la société...
Je ne pense pas que mon roman soit spécialement édifiant, mais en écrivant, j'ai volontairement exagéré les défauts de tous les personnages, avec la volonté de ne faire apparaître leurs qualités que très tard. Je ne voulais pas écrire un livre où, d'un côté, il y a les gentils, de l'autre les méchants. Je voulais qu'ils apparaissent tous plus ou moins arrogants, méchants, vicieux, orgueilleux et même parfois pervers. Pas parce qu'ils sont nés comme ça, mais parce qu'ils le sont devenus. Ces traits de caractère correspondent pour moi à la nature de l'homme. Je voulais en partie faire passer le message selon lequel l'homme aime se faire mal autant qu'il fait mal aux autres. Il se met lui-même dans des situations périlleuses, dangereuses, parfois par dépit, parfois par ambition ou mégalomanie.
Vous êtes née et avez grandi en France, d'un père Congolais et d'une mère Camerounaise: vous sentez-vous une filiation avec la littérature africaine?
Honnêtement, non. On ne m'a pas élevée avec cette littérature-là. Ce qui m'a réellement influencée, c'est la littérature anglo-saxonne et les récits antiques. Cependant, même si je ne me sens pas une filiation particulière avec la littérature africaine, je me sens très proche de la cause des Noirs, et plus particulièrement de leur histoire à travers le monde. C'est pour cela que j'ai choisi une héroïne avec des origines africaines, mais aussi européennes. Je ne me considère pas comme une écrivaine française, mais plutôt comme une écrivaine de langue française. Le français est ma langue maternelle, donc je trouve qu'il est normal que j'utilise cette langue pour écrire. C'est une langue que j'aime beaucoup et que je suis fière de parler. Même si, plus tard, je travaille dans un pays anglo-saxon, je pense que j'écrirai toujours en français et peu importe le lieu de l'intrigue.
Quels auteurs vous ont marquée? Qui sont vos modèles?
Oscar Wilde, avec "Le portrait de Dorian Gray", J. K. Rowling et la saga des "Harry Potter", Melissa de la Cruz et ses "Vampires de Manhattan". Parmi mes modèles, je place en premier Jésus, qui m'inculque tous les jours que Dieu fait une manière de vivre; ensuite il y a Martin Luther King. Voici un homme qui, pour moi, n'est pas un simple Noir revendicateur, mais une grande figure qui a non seulement marqué son temps, mais a aussi influencé la pensée de toute une génération.
Encourageriez-vous d'autres jeunes à se lancer dans l'aventure de l'écriture?
Je ne sais pas si c'est donné à tout le monde d'être écrivain, mais quand vous en avez vraiment envie, il faut se lancer sans hésitation. Je ne dis pas que c'est facile, mais c'est une très belle expérience.
Avez-vous d'autres publications en vue?
Oui, il s'agit de la suite de "The Angels of Darkness", dont le prochain tome s'appellera "Trahison". Il y aura ensuite trois autres livres.
Propos recueillis
par Liss Kihindou
Anaïs N'deko. The angels of darkness: I need you, you need me. Paris: Edilivre, 2013, 328 pages.