Correspondante du magazine Amina pendant vingt ans et présidente de la branche belge du collectif « Ni putes ni soumises » de 2006 à 2009, Fatoumata Sidibé ne cesse de multiplier ses engagements depuis son arrivée en Belgique en 1980. Aujourd'hui, celle qui occupe l'un des sièges de député au parlement bruxellois, nous raconte son parcours artistique à l'occasion de la récente publication de son nouvel ouvrage « Les masques parlent aussi » qui allie savamment peinture et poésie. |
Fatoumata Sidibé, vous venez d'exposer à la maison de Saint-Gilles à Bruxelles toute une série de tableaux que vous avez peints au cours des dernières années. Un thème revient souvent, celui des masques. Pourquoi les masques?
Pourquoi pas les masques justement! On me pose souvent cette question là, et j'ai envie de répondre qu'il n'y a pas de démarche pensée et réfléchie derrière mon travail. Je me laisse porter par l'inspiration et il se trouve que ce sont les masques qui me rendent le plus souvent visite. Cela va faire dix ans que je peins et on m'a toujours posé cette question. Je n'en sais rien, je le saurai le jour où les masques me le diront, parce qu'il faut savoir que les masques parlent aussi, c'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai appelé mon exposition et le livre qui en découle Les masques parlent aussi. J'ai estimé que je n'avais pas de réponse mais plusieurs réponses à apporter à cette question. Finalement, je pense que les masques se sont imposés à moi, ce sont eux qui m'ont élue et choisie.
Vous dites que les masques vous ont choisie, qu'ils ont fait de vous leur élue. Pouvez vous nous en dire plus?
Je tiens d'emblée à préciser que les masques que je crée sont des masques bienveillants. Quand je crée un masque, tant que je ne lui ai pas insufflé une dimension positive et bienveillante, je ne le lâche pas! Quand il est terminé, je sens qu'il est animé et qu'il a en lui quelque chose de positif. Le premier masque que j'ai créé, c'était il y a une douzaine d'années. J'ai pris une feuille de papier et je me suis mise à dessiner; une fois le travail achevé, je me suis rendu compte que c'était un masque. Je dois vous avouer que j'ai vraiment eu peur en voyant ce que je venais de « poser » sur cette feuille de papier, je me suis demandé comment est-ce que j'avais pu dessiner une telle chose. Ce masque n'était pas effrayant du tout mais c'était un masque qui symbolisait la mort. J'ai tellement eu peur que pendant deux ans je n'ai rien peint ni dessiné. Ensuite, je me suis remise à peindre. Le tout premier masque que j'ai peint deux ans plus tard, je l'ai appelé « l'annonciateur », parce qu'entre le moment où j'ai commencé à le peindre et celui où je l'ai achevé, ma mère est décédée... Ce masque, bien qu'il venait m'annoncer une triste nouvelle, n'avait rien de « mauvais » intrinsèquement. Au fur et à mesure que j'ai avancé dans mon travail de peinture, j'ai fini par me rendre compte que les masques que je crée interpellent d'une manière ou d'une autre les personnes qui les regardent. En fonction des événements que les personnes vivent, certains masques les attirent plus que d'autres. In fine, j'ai envie de dire que mes masques ont un rôle de transmission: ils accompagnent, ils apaisent toujours dans un esprit positif.
Mme Sidibé, vous êtes députée bruxelloise, mais en plus de cela, vous êtes une femme artiste. Comment arrivez-vous à trouver le juste équilibre entre ces deux professions qui peuvent sembler e rien avoir en commun?
Moi je dis toujours que je suis une et indissociable! J'arrive à faire la part des choses et à mettre des casquettes différentes. Mais vous savez, pour moi, les deux se rejoignent. Il n'y a pas de dissociation entre ces différentes facettes. Je me suis rendu compte que la vie est un puzzle, parfois on sème des choses dans le paysage sans forcément savoir ce qu'il en adviendra, ensuite on se rend très vite compte que tout s'imbrique. Tenez par exemple, le premier roman que j'ai publié à la fin de mes études, dans ce roman, il y avait déjà tous les engagements de ma vie: l'émancipation de la femme, l'aspiration à la démocratie, la liberté, l'autonomie! Quand j'ai commencé à militer pour « Ni putes, ni soumises », j'ai découvert que mon engagement était déjà inscrit quelque part dans Une saison africaine, mon premier roman publié chez Présence Africaine. La part des choses finalement, je ne la fais pas quand il s'agit de ma création. Dans tout ce que je fais, que ce soit en peinture en poésie, en politique, en journalisme. Pour moi tout se recoupe et je ne dissocie pas en mon for intérieur, mais j'arrive à mettre des casquettes différentes.
Est-ce qu'à un moment donné, il n'y a pas de conflits d'intérêt entre vos différentes « vies »? Comment la femme politique fait-elle pour passer aussi aisément à la femme artiste, et vice versa?
Il est évident qu'à certains moments mes différentes activités s'enchevêtrent et s'imbriquent les unes aux autres, mais cela ne m'empêche pas de savoir faire la part des choses. Il y a Fatoumata Sidibé l'artiste et il y a Fatoumata Sidibé la députée bruxelloise. Il y a des personnes qui s'intéressent à moi parce que je suis une femme politique, d'autres parce que je suis une artiste, parfois les deux! Finalement j'ai envie de dire que chacun s'intéresse à moi selon la lorgnette qui lui plaît. Au niveau artistique, maintenant j'existe en tant que peintre! Certaines personnes ne savaient pas que je peignais réellement, d'autres pensaient que je ne faisais que des gribouillis, le chemin a été long mais maintenant, j'estime que mes oeuvres sont reconnues à leur juste valeur. Pour bien faire la part des choses, j'ai deux cartes de visite, une carte de visite « politique » et une « artistique » pour que mes activités ne puissent en aucune manière se télescoper. J'essaye vraiment d'éviter qu'il y ait un mélange des genres.
Si c'était à refaire, que choisiriez-vous comme parcours? L'art ou la politique?
Honnêtement, si je n'avais pas toutes les activités que j'ai en dehors de ma carrière politique, je m'ennuierais sûrement beaucoup. Tout fait partie de ma vie et je pense que tout est possible. Demain, si j'ai envie je peux ouvrir un restaurant ou travailler aux Nations Unies, rien n'est fermé, toutes les portes me sont ouvertes. Je refuse de m'enfermer dans une case, mais je prends à bras ouverts toute expérience enrichissante. Je ne pense pas que j'ai à choisir entre les deux. Pour ma part, je pense que tout fait partie des étapes de la vie! Il y a des moments où on est plus à l'aise dans un domaine qu'un autre.
Est-ce que vos collègues au parlement bruxellois s'intéressent à votre travail artistique?
Pas vraiment.., ils ne s'intéressent pas beaucoup à la femme artiste, cela aussi et sûrement parce que j'ai toujours exposé dans des lieux où j'ai été invitée et pas forcément au parlement bruxellois. Je n'ai jamais vraiment fait de promotion autour de mon travail d'artiste, et j'avoue qu'en politique on ne s'intéresse pas vraiment à ce qu'il y a derrière quelqu'un. Il faut dire les choses comme elles sont, en général on s'intéresse à la bête politique et on ne gratte pas vraiment pour savoir ce qu'il y a autour. On se penche sur ce qu'il y a autour quand on est dans l'arène politique où bien souvent on s'étripe plus qu'autre chose. C'est dur de le dire mais c'est la vérité, on ne va jamais chercher ce qu'il y a derrière chaque homme et femme politique.
Revenons en aux masques, quelle relation entretenez-vous avec vos masques? En parcourant votre oeuvre on peut voir que vous les nommez, en préférez-vous certains plus que d'autres?
Quand je fais des expositions, mes masques voyagent et mon intérieur se vide. Il faut savoir que je peins chez moi, une fois que je juge le travail fini, je vais en atelier pour avoir d'autres avis. Savoir et entendre ce que les autres pensent de mon travail est une étape indispensable dans mon processus de création, cela me permet d'avancer, d'apporter certaines corrections, etc. Cela va faire plusieurs années que je peins, j'avais une cinquantaine de tableaux à la maison, il était temps de les faire voir et de m'en défaire. C'est comme avec les enfants, à un moment il faut se dire qu'ils sont grands et qu'il va falloir les laisser vivre leur vie. Je ne dis pas que c'est facile, mais j'essaye de m'y faire. Je pense sincèrement que le moment était venu. J'aurais vendu mes masques plus tôt, je n'aurais jamais pu faire ce livre. Les masques m'ont dit: « l'heure est venue, il est temps que tu nous laisses partir ».
Combien de tableaux peignez-vous par an?
Je peins cinq à six tableaux par an et je le dis tout de suite, je n'ai pas envie d'entrer dans une logique commerciale. Je suis dans une démarche de création et j'avoue que je serais peinée et j'aurais du mal si on me disait de peindre quinze ou vingt tableaux pour répondre à une commande. je n'ai pas du tout envie d'entrer dans cette logique là! J'aime ce que je fais et je pense que c'est la rareté de ce que je fais qui donne un sens à ma démarche. Maintenant, je ne dis pas que je n'ai pas envie de vendre, mais je nuancerais cependant en disant que j'ai plus envie d'exposer! Pourquoi pas à Londres ou à Tokyo ou ailleurs sur la planète.
Dans votre livre Les masques parlent aussi, vous alliez savamment peinture et poésie. Pourquoi ce binôme?
Ce sont les masques qui m'ont parlé! je dis toujours que si on prend le temps de sentir les choses, tout vient ensuite naturellement. Le fait qu'il y a quelques années je n'ai pas vendu mes masques, cela m'a permis de mettre en place le projet qui a donné naissance à ce livre, tout d'un coup tout est devenu limpide dans mon esprit et je me suis dit: « Puisque ton expo s'appelle les masques parlent aussi, puisque tu écris, pourquoi tu ne pourrais pas les faire parler ». Pourquoi la poésie? Uniquement parce que c'est un genre d'écriture qui me plaît beaucoup. Il me permet de dire plusieurs choses en usant de métaphores. Pour moi un mot est une image, ce qui est assez intéressant dans ce livre, c'est l'oralité. Tout récemment quelqu'un m'a fait remarquer que mon livre et mon travail sur les masques allient masques et oralité, et pour moi cela se marie bien je dois le reconnaître. Je pense aussi que finalement la poésie a permis d'alléger le texte et de rendre la combinaison « poésie/peinture » agréable au fur et à mesure que l'on parcourt les pages du livre.
Est-ce que certaines couleurs vous parlent plus que d'autres dans votre travail artistique?
J'ai une préférence pour les couleurs chaudes: le rouge, le jaune, l'ocre, le brun etc., par contre j'ai beaucoup de difficultés avec les couleurs froides même si je suis très heureuse d'avoir enfin trouvé mon bleu et je travaille avec depuis un certain temps. Je suis autodidacte et donc pour moi les couleurs, c'est à l'intuition. Je ne pourrais pas vous dire qu'en mélangeant ceci avec cela, ça va donner telle ou une telle autre couleur. Je sais juste que je me laisse porter par mon instinct et souvent ça fonctionne. Pour moi, peindre c'est comme faire de la cuisine: je mets un peu de ceci, je rajoute un peu de cela et ainsi de suite jusqu'à créer une belle oeuvre. Je dirais donc que chez moi tout est intuitif!
Comment définiriez-vous le travail que vous faites?
Ce n'est pas évident de se définir, pour être honnête Je ne me suis jamais posé la question. Je suis incapable d'avoir une dimension intellectuelle par rapport à mon travail. je pourrais mais je n'en ai pas envie!
Propos recueillis
par Wendy Bashi
Contact: www.fatoumatasidibe.be