Il y a eu "Aya de Yopougon" primé au festival d'Angoulême, avec plus de 300 000 livres vendus et traduits en douze langues! Après avoir quitté ce quartier d'Abidjan où vivaient la belle Aya et ses amies, Marguerite Abouet publie une nouvelle BD dessinée par Singeon: "Bienvenue" ou les aventures d'une jeune Parisienne bougonne, gentille et sans le sou. |
Qui est Bienvenue et que fait elle?
Elle étudie aux Beaux Arts à Paris. Elle manque d'argent, enchaîne les petits boulots et vit en colocation avec Lola, sa cousine délurée. Entre les enfants qu'elle garde, le nouvel amant de sa mère, les peines de cœur de Lola, et la jeune fille suicidaire qui a décidé d'être son amie, Bienvenue a le sentiment de ne s'occuper que des autres et cherche un sens à sa vie...
Bienvenue, votre héroïne, c'est vous?
Bienvenue est un tout. Ainsi j'ai voulu montrer ce que c'est la peur des autres.
Cette peur, où et quand l'avez vous ressentie?
Lorsque je me suis séparée de mes parents, à l'âge de douze ans. Il fallait le faire pour avoir des chances en Europe. J'ai vécu alors chez mon grand oncle et avec mon grand frère. Arrivée là, je me suis trouvée dans un immeuble où les gens ne se connaissaient pas. J'avais un tel besoin de connaître leur vie que, du coup, je restais dans l'ascenseur pour parler à ces personnes, les rencontrer. Dans le métro aussi... C'est tout ça qui m'inspire. Même si cela ne me regarde pas, je suis prompte à écouter la conversation de la personne à côté. D'où ce besoin de reproduire ce que j'ai vécu ici.
Ecrire "Bienvenue" vous a démarquée de "Aya" semble-t-il?
Oui, ce ne fut pas évident... Des gens ont dit que je ne parlais que d'histoires de Noirs. C'est faux. En France, on vous colle toujours une étiquette. Je veux simplement raconter des histoires. Cela fait vingt-six ans que je vis en France: toute une jeunesse française! Les rencontres que je fais me nourrissent. J'apprends plein de choses, comment vivent les gens. J'ai créé toutes sortes de personnages. Mon écriture est optimiste. Je sais rire de tout et même de ce qui n'est pas drôle. Ceux qui me connaissent retrouvent mon caractère dans le personnage de Bienvenue qui est bougonne et gentille. Ces contacts sont stupéfiants. Ce mélange incroyable, c'est la vie parisienne!
Habiter dans des chambres de bonnes à Paris, vous avez apprécié?
Que l'on soit blanc en Afrique et noir en France, les problèmes sont les mêmes. Dans l'immeuble très chic où je vivais, je faisais la lecture à une femme. La première fois qu'elle m'a vue, surprise, elle a dit: "Comment ça se fait?". Elle pensait que j'étais blanche et elle a eu peur du noir. Ses amis savaient que je travaillais pour elle et ils ont regardé mon crâne. A la fin de sa vie, j'étais près d'elle parce qu'elle était toute seule.
Que représente Paris pour vous?
J'aime Paris plus que mon pays natal. En Côte d'Ivoire je ne me sens pas chez moi, et au bout d'un moment, Paris me manque. Dans un immeuble, on peut être le voisin d'un achoolo, d'un cuisinier, d'un Indien et de sa femme qui ressemble à une Blanche. On s'habitue, et tout va bien.
Dans vos précédents titres, vous évoquiez souvent l'immigration, mais dans "Bienvenue" on ne le sent pas.
En effet, il ne s'agit pas de la banlieue, mais plutôt d'une femme de trente ans, sans enfant ou avec un enfant unique, qui habite Paris. En écrivant je me fais plaisir. Dans "Bienvenue", j'écris juste le quotidien des gens. Je ne parle pas de l'immigration, puisqu'elle existe. Quant au mot diversité, il stigmatise. Il y a tout en France: religions, races, etc.
Votre duo avec Singeon?
Très agréable. C'est son premier récit réaliste. Mes nombreux personnages lui ont donné du fil à retordre. La structure était là, grâce au scénario, mais ça a été plus compliqué qu'il ne le pensait. Je lui ai accordé une grande confiance et l'ai laissé s'inspirer de ses propres souvenirs.
Un journaliste de "Libération" a dit de vous: "Elle joue à l'autruche". Qu'en pensez vous?
Rien. Je suis allée à Angoulême pour recevoir le prix du Premier album. Les lecteurs m'ont remerciée. A force de voir ce qui se passe, les gens sont plus sensibles et les critiques sont positives.
Vous avez créé l'association "Des livres pour tous"...
Oui et j'en suis la présidente. L'Afrique a besoin de livres pour s'aider elle-même. Heureusement, nous avons été soutenus par nos adhérents, des subventions et Editis, Gallimard, La Boîte à bulles, Milan ont envoyé des livres locaux sur place. Dans chaque bibliothèque il y a un bibliothécaire et un animateur pour le soutien scolaire, le théâtre, etc. Hélas, la diaspora ne nous aide pas. Dans les bureaux à Paris, nous sommes quatre et je suis la seule Noire. [...] J'encourage les lecteurs à s'investir dans ce genre d'actions, car toutes ne sont pas efficaces. Les bibliothèques permettent aux plus de quatre ans de travailler et de lire, et aussi pour les enfants scolarisés de s'émanciper.
Vous avez été assistante juridique, il y a quelque temps...
J'étais dans un cabinet d'avocats tout en préparant une capacité en droit. Mais il fallait vivre. J'ai suivi une formation, ensuite j'ai travaillé durant cinq ans et, la dernière année, j'ai écrit "Aya", mon premier livre. Comme il a eu du succès, à force de m'absenter du bureau, j'ai été renvoyée. J'ai eu la chance de vivre de ma plume.
Tant que ça marche, vous continuez...
Oui. Le tome 1 de "Akissi" est sorti en juin et il marche. Le tome 2 de "Akissi" va paraître le premier trimestre 2011, entre janvier et mars. Ces deux livres sont pour les lecteurs qui ont six ans. En novembre prochain, un tome 6 de "Aya" sortira en librairie, et en 2011 un film pour les 11 à 107 ans. Quant au deuxième "Bienvenue", il faudra attendre la fin de 2011.
Vos projets?
Suivre les bibliothèques: la première est à Abidjan, la deuxième à Dakar et bientôt partout. Souvenons-nous de ces professeurs qui disaient qu'ils ne proposaient pas de livres français aux élèves parce qu'ils ne lisent pas... et faire des films, tout ça en France
Propos recueillis
par Monique Chabot
Contact: https://www.deslivrespourtous.org/